Les sols urbains, un indicateur de notre rapport au vivant
Le 5 décembre 2020 avait lieu la journée mondiale du sol. L’occasion de faire un bilan sur notre manque de connaissance à propos de ce monde vivant extraordinaire à l’abri de notre regard. Les sols sont la pierre angulaire du vivant. A l’échelle d’une cuillère à café, ils peuvent accueillir un million d’êtres : ils hébergent plus de 25% de la biodiversité de notre planète. Pourtant nous ne connaissons que 1% des espèces du sol. A titre de comparaison, nous estimons connaître environ 80% des espèces de plantes.
Issus d’un processus génératif extrêmement long à notre échelle, ils sont depuis le début du vingtième siècle retournés, pollués, lessivés, nappés de dérivés pétrochimiques. A l’heure ou la biodiversité est en péril, le sol doit être considéré comme un bien commun inestimable, il doit être au centre de notre attention.
Les arbres sont souvent présentés comme les super héros du stockage carbone et à juste titre ! Ils sont essentiels à notre avenir, mais savez-vous que les sols contribuent plus au stockage du carbone que les arbres et l’atmosphère réunie ? Le sol rend de multiples services (captation CO2, filtration, recyclage de la matière organique) mais pour cela il doit abriter une activité biologique fonctionnelle qui est souvent peu considérée car peu connue.
La protection de l’activité biologique des sols apparaît donc comme un enjeu majeur de notre temps au même titre que la protection des forêts et la baisse des émissions de CO2.
Le caractère vivant du sol est-il exclu des problématiques urbaines ?
La question du sol est abordée depuis quelques années pour les territoires agricoles, il est au cœur des problématiques d’érosion notamment, mais très peu sur le territoire urbain et péri-urbain.
Il y a bien quelques objectifs nationaux comme le zéro artificialisation net (ZAN), des cadres comme les pourcentages de pleine terre obligatoires ou encore les épaisseurs de terres minimales exigées sur les projets d’aménagement suivant les PLU.
Pourtant, dans ces instruments politiques, le sol est considéré comme un objet inerte, remplaçable et n’ayant d’importance que par son épaisseur et envisagé comme un matériau utile exclusivement à la plantation des végétaux et à l’infiltration des eaux, ou au stockage temporaire de celles-ci. Une fois ce constat établi, quelles solutions peuvent être envisagées à grande échelle ?
Le terme de trame brune est apparu récemment dans les enjeux urbains, il met en valeur la nécessité de penser le sol en terme de continuum, à l’image de l’intégration de la trame verte.
Limiter l’artificialisation
Aujourd’hui les élus municipaux sont souvent trop seuls à devoir arbitrer de la possibilité d’urbaniser sur des terres agricoles, la pression foncière rend la préservation des terres peu intéressante financièrement. Le résultat est qu’on observe un rythme d’artificialisation supérieur à celui de l’augmentation de la population.
Il est nécessaire de les accompagner et de créer une nouvelle gouvernance pour rééquilibrer les forces en faveur de la préservation des sols.
Optimiser l’usage de la terre
Des outils sont aussi à développer pour favoriser la valorisation des sols entre projets d’aménagements et ne pas gaspiller cette ressource, c’est le minimum que nous devons viser.
Se passer de l’excavation de la terre – dans un idéal de zéro artificialisation
De nouvelles possibilités techniques permettent de nous passer de l’utilisation de terre arable issue du milieu naturel : c’est la promesse des technosols.
Constitués de déchets urbains (horizons profonds, compost de déchets verts, béton concassé) – ils peuvent se substituer à l’usage de terre végétale. Leur usage est encore balbutiant – à défaut de filière structurée. L’usage de sédiments fins obtenus dans le cadre de l’exploitation des barrages hydroélectriques est aussi exploré comme potentielle composante d’alternative à la terre végétale pour l’aménagement.
Ces solutions pourraient être particulièrement pertinentes dans le cadre des projets d’aménagements urbains où la végétalisation est fortement encouragée, notamment en toitures. La végétalisation des villes est aujourd’hui souvent réalisée sous perfusion car implantée sur des substrats parfois très éloignés d’un véritable sol. Ils s’apparentent à des supports de cultures quasiment inertes, et comprennent parfois des composantes peu écologiques comme la laine de roche.
Ils ne sauraient se substituer à une véritable trame brune et donc sans une protection efficace des sols en milieu urbain. La “pleine terre” ne peut pas être remplacée par des substrats allégés, contrairement à l’illusion générée par les calculs d’abattements.
Là encore une réflexion est à initier avec les différents acteurs de la ville et de la construction, pour distinguer dans nos trames les sols minéraux et industriels, des sols naturels ou issus du recyclage urbain … et également permettre dans les projets immobiliers l’usage de substrats plus “artisanaux” en s’affranchissant des contraintes imposées par les avis techniques requis dans les projets. Le sol, comme le végétal, est vivant, il ne peut pas être décrit/ circonscrit et maîtrisé comme un revêtement minéral. Nous voulons plus de liberté pour la terre en ville.
Lui donner de la place, en désartificialisant. Cela nécessite une véritable ambition politique, qui dépasse la gouvernance d’une ville, comme l’enjeu autour de l’eau, il dépasse nos frontières humaines ou nos périmètres d’actions usuels ! L’enjeu est désormais de réfléchir à une symbiose Ville Terre, car la ville de demain ne se pensera pas sans les sols.
Il est nécessaire d’apporter une coordination et une cohérence spatiale, c’est le travail qu’engage l’ésaj avec la fondation Ville Terre.
Présentation des auteurs
Erika KERISIT est ingénieure agronome, enseignante à l’ésaj – L’école des paysages de la transition écologique et co-fondatrice de la fondation Ville Terre. Sacha LENZINI est paysagiste-concepteur et urbaniste, directeur de l’ésaj et co-fondateur de la fondation Ville.