Les pépinières urbaines : expérimenter pour fabriquer autrement

2 Juil 2024 | Lecture 4 min

Sur le continent africain, l’Agence Française de Développement (AFD), développe depuis plusieurs années des pépinières urbaines. De Ouagadougou à Abidjan, en passant par Dakar et plusieurs villes tunisiennes, ces véritables laboratoires de participation citoyenne œuvrent au quotidien à renforcer les liens entre pouvoirs publics et habitants pour le développement de projets urbains, notamment par l’aménagement collectif d’espaces publics.

En quoi consistent véritablement les pépinières urbaines ? Quels outils et innovations sociales mettent-elles en œuvre ? Et comment ces pratiques participatives peuvent-elles nous inspirer ? Rencontre avec Simon Nyam, consultant et coordinateur du dispositif pour le compte de l’AFD.

Depuis sa création, l’AFD œuvre pour accompagner et accélérer les transitions de nombreux territoires. Rythmées par les Objectifs de Développement Durable, notamment des enjeux de justice sociale et climatique, ses actions sont menées dans le but de répondre à des besoins locaux concrets. À quelles demandes et besoins répondent ces pépinières urbaines ?

“Le dispositif est né d’un double constat. Dans un premier temps, il s’agit de répondre à une problématique de temporalité. Quand nos équipes s’engagent dans la réalisation d’un projet urbain, il peut s’écouler entre 8 à 10 ans entre le moment où les financements sont sécurisés et le projet est annoncé à la population et le moment où les diverses infrastructures sont livrées. Cela crée nécessairement une frustration de la part des habitants, d’autant plus que leurs besoins et leurs attentes évoluent au fil des années. Dans un second temps, nous avons pris conscience que certains sites financés par l’AFD étaient parfois peu ou mal utilisés. Une salle de sport qui ne répond pas à une pratique identifiée au préalable, un cheminement piéton non emprunté car ne correspondant pas à une ligne de désir… autant d’aménagements urbains au sein desquels la parole habitante n’avait pas été assez prise en compte.

Pourtant, les usages sont absolument centraux dans ce type de démarche et surtout, la capacité à anticiper les futurs usages d’un lieu peut permettre de définir plus clairement son utilité et sa qualité. C’est la raison pour laquelle nous avons développé le dispositif des pépinières urbaines, afin d’impliquer les habitants dans la conception et de renforcer le dialogue entre usagers et pouvoirs publics. Et en facilitant la participation citoyenne, nous faisons finalement le pari d’une meilleure appropriation des équipements créés et d’une gestion collective et plus pérenne”.

Les pépinières urbaines se développent sur des projets comprenant une composante d’aménagement d’espace public. Elles s’inspirent notamment des méthodologies et outils qui structurent aujourd’hui l’urbanisme transitoire. Comment intègrent-elles conjointement des constructions temporaires et pérennes ?

“Comprenant une forte dimension d’innovation, il est important de rappeler que les pépinières urbaines ne sont pas figées, elles s’adaptent en fonction des échecs et des réussites de chaque opération. De même, depuis 2018 avec les premiers projets pilotes en Tunisie et au Burkina Faso, cette dualité temporaire / pérenne a naturellement évolué.

Tunisie © Pépinière urbaine de Tunisie

Tunisie © Pépinière urbaine de Tunisie

Celle de Ouagadougou s’inscrivait, par exemple, dans le cadre d’un grand projet urbain associé PDDO2 (Projet de Développement Durable de Ouagadougou Phase 2) et l’idée initiale était de préfigurer les futurs aménagements. Tout comme un projet d’urbanisme transitoire, Des aménagements temporaires ont été installés sur 5 sites sportifs et 2 sites culturels, avec pour objectif d’activer l’espace à moindre coût, de manière frugale, pour dynamiser la pratique sportive avant la livraison des terrains définitifs. Des associations locales ont également été mobilisées autour de cette démarche, et des appels à micro-projets ont été lancés pour contribuer à l’animation des sites. Les acteurs locaux se sont, de fait, engagés dans l’organisation d’événements festifs, de tournois, de festivals… Cependant, et malgré la dynamique collective que cela a engendrée, cet aspect provisoire n’a pas toujours convaincu la population, habitant dans un quartier sous-équipé dont les infrastructures sont d’ores et déjà sur-utilisées.

Le deuxième projet pilote s’inscrivait, quant à lui, dans le programme PROVILLE, intervenant pour équiper plusieurs quartiers prioritaires de la politique urbaine tunisienne. Avec une approche plus sociale, le projet a accompagné des ONG locales dans la mise en place d’équipements socio-collectifs élémentaires. Des bibliothèques communautaires, des terrains sportifs, des squares et aires de jeux pour enfants ont été implantés de manière définitive, pérenne et en complémentarité avec le programme PROVILLE.

L’AFD encourage donc à travers les Pépinières urbaines cette double approche, et mène des opérations mêlant différentes temporalités. Pour autant, aujourd’hui, nous préférons parler d’approche par prototypage que d’approche temporaire ou transitoire, car cela nous permet d’analyser ce qui fonctionne bien et ce qui doit être transformé, pour garantir la création d’espaces durables et appropriés.”

L’enjeu principal des pépinières urbaines est bien de laisser la part belle à la participation citoyenne et d’impliquer les habitants tout au long du processus. Et avec eux toute une communauté, locale et internationale, s’investit pleinement. Comment fonctionne ce vaste écosystème d’acteurs ?

“Les pépinières urbaines sont composées de 3 acteurs principaux : la maîtrise d’ouvrage du grand projet associé, représentée par les pouvoirs publics ; le bailleur et financeur qui contractualise directement avec les pépiniéristes, incarné par l’AFD ; et l’opérateur pépiniériste, un acteur tiers qui assure le lien entre la MOA et les habitants. Ce dernier est naturellement central puisqu’il est responsable de la mise en œuvre et du bon déroulement du projet, de l’élaboration du diagnostic collaboratif à la co-conception et construction de la pépinière. Son rôle consiste également à trouver la solution de gestion la plus adaptée au quartier concerné. Il s’agit généralement d’un groupe d’ONG portant une vision urbaine, politique, institutionnelle et rassemblant des compétences plurielles à la croisée de l’engagement communautaire et social, de l’architecture et du design.

Passage à niveau de Rufisque, région de Dakar © Studio Baïnem

Passage à niveau de Rufisque, région de Dakar © Studio Baïnem

En réalité, c’est toute une communauté locale qui se mobilise, notamment dans les décisions et validations. Un exemple adapté à la bonne compréhension des multiples dynamiques partenariales et collaboratives qui rythment le déploiement des pépinières urbaines est le site de Pikine, dans la région de Dakar. L’objectif de l’intervention sur ce quartier était de travailler sur l’insertion urbaine du futur TER en optimisant l’utilisation du foncier résiduel afin d’inviter les habitants à investir le réseau. De nombreuses réflexions sur les usages actuels et à venir ont été menées, plusieurs outils ont été testés avec les habitants et en lien avec le CETUD (autorité régulatrice des transports à Dakar), l’opérateur pépiniériste (groupement du GRET, du collectif Etc et d’UrbaSEN) et des associations locales dont la fédération sénégalaise des habitantes (puissant réseau d’amélioration des cadres de vie et relai local).

Mais surtout, toute une méthodologie de chaîne décisionnaire s’est développée pour faciliter le cheminement de la pépinière. Ainsi, dans cet ordre précis, chaque autorisation a été demandée au propriétaire foncier, puis au préfet et au maire, puis au chef de quartier, puis à l’imam et enfin aux marraines de quartier. Les validations concernant la conception communautaire ont quant à elles étaient approuvées dans le sens inverse de cette chaîne. Une organisation minutieuse qui a permis à l’opérateur pépiniériste d’avancer progressivement, et d’analyser, à chaque étape, les différentes revendications locales.”

Chaîne décisionnaire, nouveau processus de construction, gestion communautaire… L’innovation semble être au cœur du dispositif. Comment se manifeste-t-elle concrètement ?

“L’innovation est plurielle au sein des pépinières urbaines. Elle est à la fois écologique avec des systèmes de réemploi des matériaux utilisés, sociale avec cette ambition d’impliquer activement les habitants dans l’évolution de leur lieu de vie ou dans l’utilisation de fonciers résiduels, et très souvent institutionnelle. En effet, l’une des solutions les plus innovantes qui a été développée pour ce dispositif repose sur la gestion communautaire des aménagements créés.

Dans la majorité des Pépinières, un comité de gestion, composé d’habitants et de représentants de la communauté locale, se constitue pour acter des décisions relatives à l’accès, l’animation et  l’entretien du site. D’autres solutions ont été pensées, comme c’est le cas en Tunisie et au Kenya où les opérateurs pépiniéristes procèdent par appels à initiatives. Après un travail d’engagement communautaire, de sensibilisation et de communication autour de la pépinière urbaine, l’opérateur pépiniériste lance un appel à projet dédié aux ONG locales. Un projet de conception ou d’animation d’espace public est alors sélectionné et c’est bien cette équipe, appuyée par des architectes et designers de l’équipe pépiniériste, qui va concevoir, construire puis gérer l’équipement.”

Dakar © Studio Baïnem

Dakar © Studio Baïnem

Votre poste entraîne nécessairement des temps de travail de terrain. Quelle pépinière ou expérience d’immersion sur site vous a le plus marqué ?

“C’est autant le dispositif en lui-même que les thématiques abordées sur certains sites qui m’intéressent personnellement. La pépinière de Ouagadougou, par exemple, a fait l’objet d’un véritable engagement communautaire, notamment envers certaines minorités. L’investissement des associations locales a permis d’équiper des équipes de basket-fauteuil et de basket féminines. De même en Tunisie, les ONG ont, par exemple, conçu des équipements à l’instar de vestiaires non mixtes, pour que les femmes puissent plus aisément pratiquer les terrains sportifs.

Dans la région de Dakar, les associations comme les habitants ont également œuvré massivement pour le déploiement des Pépinières urbaines. Sur le passage à niveau de Rufisque, des permanences architecturales ont été organisées en phase diagnostic, invitant des habitants à penser les aménagements, et les artisans locaux à construire eux-mêmes des espaces verts et des espaces dédiés aux gargotières.

Sur le site de Pikine, toutes les étapes du projet ont porté des initiatives ingénieuses. Pendant la phase de diagnostic, un Penc (mot wolof désignant l’endroit où se prend la décision et la prise de décision elle-même) Mobile, proposé par un pépiniériste-designer, traversait le quartier pour recueillir la parole des usagers. Plusieurs outils ont été déployés : une radio citoyenne, un court-métrage participatif, des moments informels et conviviaux autour d’un thé… La phase de co-conception a, quant à elle, mobilisé un groupe d’enfants avec des outils et méthodes d’animation adaptés. Provenant d’une méthodologie ONU-Habitat, un atelier de co-conception à l’aide du jeu vidéo Minecraft s’était même déroulé. Enfin, la phase de co-construction, pilotée par UrbaSEN, a donné lieu à la création de chantiers-écoles pour former les habitants, à la transformation de déchets en ressources pour construire, à base de matériaux modulables, des terrains de basket… Une effervescence d’actions collaboratives, créatives et engagées en faveur des premiers concernés par les projets de l’AFD : les usagers.”

LDV Studio Urbain
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