Les offices de tourisme, en voie d’obsolescence ?

2 Avr 2024 | Lecture 4 min

A l’ère des bouleversements numériques et des questionnements sur le tourisme de masse, le traditionnel office de tourisme est-il en péril ? Cette question a été maintes fois posée ces dernières années par les professionnels des offices de tourisme eux-mêmes, lors de colloques ou rencontres professionnelles. Elle sert de point d’entrée pour une exploration des défis qui viendront influencer la trajectoire future de ces structures.

Créés au début du XXème siècle, les offices de tourisme, autrefois ancrés dans des structures conventionnelles, ont subi d’importantes réorganisations, d’abord administratives, en particulier suite aux lois Maptam de 2014 et NOTRe de 2015. Depuis ces changements législatifs, la compétence en matière de promotion du tourisme, incluant la création d’offices de tourisme, est désormais exercée de plein droit par les communautés urbaines, métropoles et communautés de communes.

Parallèlement, les offices de tourisme font face à des changements sociétaux majeurs, comme la concurrence sur Internet, l’évolution des comportements touristiques, les nouvelles attentes des visiteurs etc. Dans un contexte où une abondance d’informations touristiques est accessible sur Internet, entre blogs et vlogs (blogs vidéos), maintenir une certaine popularité est devenu une propriété. Tik Tok est, par ailleurs, très rapidement devenue l’application incontournable pour découvrir de nouvelles destinations voyage mais aussi pour planifier et organiser ses vacances. Le hashtag #voyage (français uniquement) en témoigne avec 6,7 milliards de vues, et #tourisme 410,5 millions de vues. Le constat est sans appel : la fréquentation des offices de tourisme est globalement à la baisse, une observation partagée par l’ensemble des fédérations régionales et nationale. Face à cela, différentes expérimentations et innovations voient le jour, esquissant les contours de l’office de tourisme du futur, de la connexion aux habitants permanents à Évreux, à la dégustation de vin à Vienne-Condrieu, voire même à l’audacieuse transformation en parc d’attractions à Saint-Omer… Tour d’horizon de ces différentes propositions qui montrent que ces lieux, souvent vus comme obsolètes, constituent des laboratoires prospectifs de la ville de demain.

De nouveaux touristes de proximité à séduire

Pendant la crise de la Covid-19, l’incapacité de se rendre à l’étranger a contraint de nombreux citoyens à revoir leurs plans de vacances et à reconsidérer les richesses de leur propre pays. C’est ainsi que le tourisme de proximité a émergé comme une alternative séduisante. Actuellement, l’inflation pousse également les Français à se tourner vers cette option, moins onéreuse, ainsi que la prise de conscience écologique qui s’accroît chaque année.

Dans les offices de tourisme, le tourisme au sens classique, c’est-à-dire une personne étrangère au pays ou au territoire qui vient y passer plusieurs jours pour le découvrir, cède de plus en plus la place aux usagers locaux. Les offices de tourisme n’ont pas été créés pour accueillir ces néo-touristes, mais c’est désormais une réalité. Certains se sont donc mis à leur proposer des services spécifiques : billetterie, visites adaptées, évènements etc. Des rôles d’ambassadeurs de territoire ont aussi émergé pour leur donner une importance particulière. Dans le Lot par exemple, il suffit d’être Lotois, de résider dans le Lot et d’avoir envie de faire découvrir la région à ses proches pour être ambassadeur Lotois. Ce programme existe depuis dix ans et offre l’accès gratuit à cinquante sites touristiques dès lors que vous accompagnez un visiteur payant. L’office de tourisme du Pays de Figeac, toujours en Occitanie, a aussi choisi de se rapprocher de ses habitants en mettant en place des visites de producteurs locaux souhaitant valoriser leur filière et faire découvrir leur savoir-faire. Un guide de l’office fait aussi lui-même, chaque semaine, la visite du site Raynal et Roquelaure, numéro 2 français des plats cuisinés, implanté depuis 150 ans sur le territoire.

Pour attirer l’attention de ces néo-touristes, déjà familiers avec une partie du territoire, et les inciter à franchir les portes des offices de tourisme, l’idée de bon nombre d’entre eux est d’insuffler une bouffée de modernité et de dynamisme, tout en demeurant en symbiose avec la communauté locale. Cela passe notamment par des stratégies marketing audacieuses et des changements de nom. À titre d’exemple, à Évreux en Normandie, l’office de tourisme s’est renommé en “Comptoir des Loisirs” afin de séduire ses propres habitants, Évreux n’étant pas une destination touristique française majeure. “Notre combat pour les années à venir est vraiment la fierté des habitants” affirme Christophe Gavet, Directeur du Comptoir des Loisirs.

Un choix particulièrement audacieux a été fait à Saint-Omer, dans le Pas-de-Calais, pour éveiller l’intérêt des touristes : la transformation de l’office de tourisme en metteur en scène de territoire, celui d’un parc d’attraction territorial baptisé “Omerveilleux Parc.” Divisé en sept mondes, le parc propose un imaginaire unique, présent jusque dans la décoration et les produits dérivés de l’office. Julien Duquenne, directeur de l’office, explique : « On a commencé à écrire au sein de l’office de tourisme, ça a été le cas d’un film qui s’appelle “La chambre des rêves” mais qui est une fiction, et petit à petit tout le monde s’est pris au jeu […] on s’est dit : il faut un récit autour de tout ça. » À l’instar de tout parc d’attractions, l’accès au parc nécessite un pass d’entrée, qui offre des visites gratuites de certains sites, des réductions dans les magasins et autres avantages.

Numérisation et diversification : les mots d’ordre pour répondre aux défis touristiques 

Les nouveaux outils numériques – tablettes tactiles, vitrines interactives, bornes numériques – sont aujourd’hui envisagés comme une valeur ajoutée essentielle pour répondre aux nouvelles attentes des touristes. Ces dispositifs, au service du développement touristique, ouvrent en effet un éventail de possibilités pour mettre en valeur son territoire, notamment en le scénarisant par des visites virtuelles. Ils sont également utilisés pour répondre à une exigence de continuité en jouant le rôle de relais pendant les heures de fermeture de l’office de tourisme ou lors des périodes d’affluence. Dans le Tarn, dès 1996, des bornes numériques interactives ont été implantées pour couvrir l’ensemble du territoire sur trois ans. Une opération lancée par le Conseil général pour faciliter l’itinérance touristique qui a démarré avec l’installation d’une borne à Castelnau-de-Montmiral et s’appuie aujourd’hui sur un maillage de 16 bornes qui comptabilisent plus de 50 000 visites par an.

Borne interactive touristique 24h/24 à Beauvais ©Flickr

Borne interactive touristique 24h/24 à Beauvais ©Flickr

L’enjeu réside toutefois dans la recherche d’un équilibre, où l’on ne mise pas exclusivement sur le numérique, mais où l’accueil humain et les conseils de qualité demeurent primordiaux. Toutes les enquêtes le montrent, selon Atout France, l’agence de développement touristique de la France : les visiteurs attendent avant tout “un ami qui vous veut du bien”, un conseil personnalisé, une réassurance. Donc, le point fort de l’accueil en office de tourisme est le contact humain, la relation avec un conseiller ou une conseillère. Simplement, aujourd’hui, dans un certain nombre d’offices, les conditions d’accueil ne sont pas satisfaisantes, explique Jean-Luc Boulin, Directeur de la MOPA, Mission des offices de tourisme et pays touristiques d’Aquitaine.

La préoccupation croissante quant à la qualité de l’accueil aujourd’hui est notamment liée à la désertion de nombreux offices de tourisme en dehors de la saison estivale. Le regroupement des offices, une tendance croissante en France, s’avère être une première solution pragmatique, mais c’est l’évolution vers des lieux et tiers-lieux polyvalents, qui semble révolutionner le paysage. Cela permet en effet de développer de véritables épicentres de la vie locale, dynamiques tout au long de l’année. Un exemple concret de cette transformation est l’office de tourisme de Vienne-Condrieu, en région Auvergne-Rhône-Alpes. Il ne se contente pas d’être une simple source d’information touristique, mais évolue pour devenir une destination à part entière. Outre les services d’information classiques, il propose une cave de dégustation de vin, la location de vélos, un restaurant, et même un bar, favorisant ainsi les rencontres. À Clairac, dans le Sud-Ouest, l’office de la commune a été transformé en un véritable tiers-lieu, situé dans une halle qui abritait autrefois le musée du train. Né du constat d’un office peu fréquenté et déconnecté de ses habitants, il abrite aujourd’hui un café associatif à tarif libre, un espace de coworking, un accueil pour les associations, et bien d’autres services. Lorsqu’un touriste arrive, après lui avoir offert un café, la coordinatrice du lieu le met directement en contact avec un usager du lieu : l’habitant est le plus à même de parler de son territoire.

Cette transformation évoque une nouvelle ère pour les petites villes et villages, où l’office de tourisme n’est plus un simple point d’information saisonnier, mais plutôt un catalyseur d’énergie locale toute l’année. En réunissant les forces vives de la localité, ces lieux repensés illustrent le potentiel immense des offices de tourisme pour revitaliser non seulement le tourisme mais aussi la vie quotidienne dans les territoires parfois oubliés ou délaissés à tort. C’est une invitation à repenser ces espaces, à les transformer en des lieux de vie polyvalents, où chaque saison apporte son lot d’activités, de découvertes, et de partages.

LDV Studio Urbain
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