Les logements vacants, quels potentiels de transformation ?
L’APUR a sorti, en fin d’année 2023, une enquête sur les logements vacants de la région parisienne. Véritable fléau des villes, surtout en période de crise immobilière et où la tendance est à la diminution des constructions neuves, les logements vacants ont pourtant un réel potentiel de valorisation.
Quels sont les leviers qui existent et ceux qui restent à inventer ?
La vacance, un phénomène complexe
L’augmentation concomitante du nombre de personnes mal-logées, voire sans abri, et des logements inoccupés, amène régulièrement des personnalités publiques, politiques et des citoyens à réclamer la réquisition des logements vides.
En théorie, la loi française permet au Maire ou au Préfet, dans des situations d’urgence, de prendre temporairement possession d’un bien immobilier. Comme le souligne Catherine Sabbah dans son dernier livre, “depuis la mise en œuvre du droit au logement en 2006, l’État, qui est légalement obligé de loger les familles prioritaires, pourrait se servir de ces textes. Dans les faits, la réquisition est la plupart du temps considérée comme un abus de pouvoir portant sur la propriété privée et rarement mise en œuvre.”
Une autre difficulté tient à la teneur des 3 millions de logements inoccupés. Ce chiffre bien réel avancé par l’INSEE reflète de nombreuses situations variées : des logements en vente, en attente de l’emménagement ou d’un règlement de succession, etc. D’autres sont également inoccupés du fait de l’absence d’une forte demande sur le territoire, du refus ou de l’impossibilité de réaliser les travaux nécessaires ou même d’un désintérêt pour le bien, particulièrement pour des logements reçus en héritage. En restreignant la définition, l’estimation actuelle reste tout de même de 300 000 logements vacants depuis plus de deux ans en zone tendue.
Pour lutter contre ce phénomène, dû à des propriétaires qui refusent pour différentes raisons de mettre leur logement sur le marché, une taxe sur les logements vacants a été introduite en 1999 pour les zones tendues, mais sans obtenir les effets escomptés. Une autre voie a alors été prise, basée sur l’incitation plutôt que la seule dissuasion, avec notamment la mise en place de la garantie Visale pour rassurer les propriétaires, et peut-être demain la garantie universelle des loyers.
Concrètement, combien de logements peut-on récupérer ?
En étudiant en détail le cas de Paris, l’APUR a mis en lumière la différence entre la vacance de longue durée et les autres phénomènes de manière plus précise qu’à l’échelle nationale. Tout d’abord, le taux de logements vacants a atteint 19% du parc parisien en 2020, contre 14% en 2011. Une augmentation due en partie à ces fameux logements vacants de longue durée, mais aussi aux résidences secondaires et aux logements occasionnels utilisés pour des raisons professionnelles. Cela résulte également de l’essor des meublés touristiques type Airbnb avec un taux de fraude élevé malgré une politique de régulation assez avancée à Paris.
Sur ces 19%, soit 262 000 logements, la moitié rentre dans le cas de la vacance. Et là encore, si on exclut la vacance frictionnelle, c’est-à-dire la situation entre le déménagement et l’emménagement, il reste tout de même 19 000 logements inoccupés, soit ce que produit la ville de Paris en pas moins de 5 ans.
Cette statistique peut être sous-estimée en raison des stratégies fiscales des propriétaires qui peuvent déclarer un logement vacant comme secondaire, sans oublier la distinction parfois subtile entre vacance frictionnelle et structurelle (un logement vacant 1 an et 11 mois rentre dans la première catégorie).
Mais plutôt que de simplement considérer ce problème à travers les logements vacants, il peut être beaucoup plus parlant — et alarmant — de comparer la production de logements neufs de 2011 à 2020 (soit 37 000) à l’apparition de logements inoccupés sur la même période (72 000). Soit une perte nette de 35 000 résidences principales.
Pour la compenser, l’APUR mentionne également que des incitations diverses pourraient permettre à une partie des 86 500 résidences secondaires parisiennes uniquement utilisées pour les loisirs, vacances et weekends d’être mise sur le marché. Plus encore, il est estimé que 25 000 logements sont loués illégalement sur des plateformes de location touristique alors qu’ils sont comptabilisés comme des résidences secondaires. Ce qui pourrait commencer à s’atténuer avec la mise en place de chaque année davantage de régulations de ces meublés par l’État et les collectivités, ainsi que par des moyens de contrôles accrus.
Le “vivier” de logements, s’il n’est pas illimité, reste tout de même plus qu’important au regard de la production annuelle de logements, mais recouvre des situations très différentes qui appellent à des leviers tout aussi variés.
Une variété d’outils à mobiliser pour transformer le potentiel des logements vacants
Face à la complexité du phénomène des logements vacants, une palette variée d’outils réglementaires, fiscaux et incitatifs peut être mobilisée pour encourager la remise sur le marché de ces biens inoccupés. Ces outils vont au-delà de la réquisition, très souvent évoquée, mais qui reste dans les faits quasi-impossible à mettre en œuvre.
Les documents d’urbanisme réglementaires tels que les PLU (Plans Locaux d’Urbanisme) ou les règlements municipaux de construction, bien qu’utiles pour protéger le logement, ne permettent pas de favoriser des résidences principales plutôt que de futurs logements inoccupés. L’application stricte de règles contre la transformation d’usage ou l’instauration de servitudes de résidence principale pourrait s’avérer nécessaire pour contrer ce phénomène.
Afin de garantir et de protéger cet usage comme résidence principale du logement, le contrôle ou en tout cas l’accès aux données devient le nerf de la guerre. D’autant plus que la diversité des situations d’usage et d’inoccupation demande une grille de lecture et des jeux de données très précis. Le fichier LOVAC récemment créé permet par exemple de distinguer les logements vacants depuis plus de deux ans de la vacance “totale” au sens du recensement. Cette entrée reste limitée, puisque les stratégies fiscales de certains propriétaires les amènent à déclarer des logements durablement vacants comme résidence secondaire. Il s’agit donc pour les collectivités de se saisir de nombreuses bases de données et approches pour construire une lecture précise du vivier de logements “récupérables”.
Cet enjeu est encore plus prégnant dans le cas des meublés touristiques, dont les données sont bien plus partielles, et sont entre autres issues du webscraping depuis Airbnb, c’est-à-dire l’extraction de données directement de leur site internet. La mise en place de numéros d’enregistrement permise par la loi ELAN donne également l’occasion aux collectivités de demander aux plateformes l’état de leurs locations avec tout un jeu de données. Cependant, il est assez épineux d’aller contrôler leur véracité au vu du nombre de logements concernés. Justement, suite aux actions conjointes du collectif Alda et des élus du territoire, un comité de lutte contre les baux frauduleux a été mis en place.
Cette activité de “gendarme” des locations Airbnb est amenée à devenir de plus en plus importante alors que sont expérimentées dans des collectivités et mises au débat au Parlement différentes mesures comme l’instauration de quotas, la limitation du nombre de jours de location, la suppression des avantages fiscaux associés, ou encore le règlement de compensation, qui oblige un “propriétaire voulant louer de manière permanente un meublé de tourisme de type Airbnb à produire un nouveau logement de surface équivalente et situé dans la même commune”.
Une autre possibilité est à chercher dans la fiscalité dissuasive, qui a déjà prouvé son efficacité par le passé. Une révision de la taxe sur les logements vacants, en augmentant le taux ou en indexant le montant sur la durée de vacance, pourrait inciter les propriétaires à remettre leurs biens sur le marché. De même, une augmentation de la majoration de la taxe d’habitation pour les résidences secondaires pourrait être envisagée, afin de décourager la détention de logements non utilisés comme résidence principale.
Des dispositifs favorisant, rassurant et incitant les propriétaires à louer leurs biens peuvent jouer un rôle clé. La garantie Visale, l’aide aux travaux, ou encore un accompagnement plus personnalisé des propriétaires, sont autant de mesures qui peuvent sécuriser et encourager la mise en location.
Enfin, sur le plan de la construction, le développement du parc de logements sociaux (et intermédiaires) apparaît comme une solution durable pour répondre à la demande de logement tout en limitant la vacance.