Les hôtels : vers un changement de modèle ?
Lorsqu’ils logent dans un hôtel, plus qu’un logement temporaire, c’est un véritable lieu de vie que les voyageurs recherchent aujourd’hui. Services de restauration, partenariats avec des centres d’activités et de loisirs, espaces de travail ou de détente, il est aujourd’hui nécessaire pour le secteur de l’hôtellerie d’adapter son offre aux nouvelles demandes et envies des potentiels futurs clients.
Depuis les années 1960 avec l’industrialisation du secteur, l’offre était standardisée et les produits normalisés. Les hôtels représentaient des lieux de passage, qui avaient pour principale fonction l’hébergement. À présent, ils deviennent de réels lieux de destination, de convivialité et de partage. La révolution hôtelière en cours est-elle en train de créer une nouvelle forme de cohésion sociale et territoriale en plein cœur de la ville ?
Les millennials, un déclencheur d’innovation pour le secteur de l’hôtellerie ?
Une nouvelle génération apparaît dans l’espace public, elle dynamise les flux urbains et réinvente complètement la manière de voyager et de se loger. Il s’agit des millennials issus de la génération Y, c’est-à-dire toutes les personnes nées entre 1980 et 2000. En quête d’aventures authentiques, le voyage devient une réelle expérience sociale et l’hôtel un point de rencontre entre visiteurs et locaux.
D’après un article publié par Tendance Hôtellerie, l’un des modèles les plus appréciés par les millennials est l’auberge de jeunesse. Avec une majorité de dortoirs communs et quelques chambres individuelles, l’offre repose sur une ambiance chaleureuse et accueillante, qui facilite les interactions entre voyageurs. Mises en place dans les années 1930, et largement modernisées dans les années 1990, les auberges de jeunesse affichent généralement des tarifs peu élevés dans des métropoles pourtant très visitées, et dans lesquelles la concurrence hôtelière ne cesse de s’intensifier. Un aspect qui les rend particulièrement attractives pour les jeunes.
Pour se démarquer dans le marché, les standards évoluent donc et se diversifient. La capacité de l’établissement peut varier de quelques dizaines à quelques centaines de places. Les services proposés oscillent entre le simple lit en dortoir à tout une gamme de services, jusqu’à la présence d’une boîte de nuit en rez-de-chaussée. Même les engagements et revendications de l’auberge peuvent faire la différence pour certains voyageurs. Dans cette logique de démarcation, on constate d’ailleurs l’intégration de concepts différenciants, qui plongent les résidents dans un univers propre.
De nombreux investisseurs ont ainsi transformé ce modèle, principalement associatif, pour en faire des auberges privées 2.0. Les métropoles du monde entier ont assisté à l’implantation de ces nouveaux établissements sur leur territoire. La chaîne d’hôtel low cost Generator a d’ailleurs inauguré en 2015 une auberge de jeunesse moderne, dans laquelle se rassemblent des jeunes de toutes origines confondues, des artistes et DJs locaux, autour d’espaces bar et «chill-out». Il existe une vraie demande des nouvelles générations pour ces initiatives qui facilitent les rencontres et les festivités lorsque l’on visite une ville étrangère.
Pour les jeunes engagés, un concept s’est par ailleurs développé à Lyon, celui de l’auberge solidaire, participative et écologique : l’Alter’Hostel. L’idée est de créer un nouveau tourisme, mais aussi de concilier un hébergement constitué de dortoirs avec une vie en communauté, et cela dans un esprit éco-responsable. Le service de restauration utilise des produits locaux, l’utilisation des poubelles de tri et la pratique du compost est vivement recommandée aux voyageurs et les produits ménagers sont faits maison. La démarche d’Alter’Hostel permet également aux voyageurs d’appréhender davantage la vie locale, par le biais d’ateliers participatifs ou d’actions bénévoles dans des associations partenaires. En plus de favoriser les interactions sociales au sein d’un quartier, ce nouveau modèle d’hôtel contribue au développement de l’économie locale. En mettant en relation les associations et les voyageurs, en incluant des producteurs régionaux dans le service de restauration, et même en proposant de régler en gonette (la monnaie locale citoyenne), l’Alter’Hostel propose une idée originale et collaborative pour découvrir la ville de Lyon !
C’est d’ailleurs devenu une véritable volonté pour divers complexes hôteliers : recréer une cohésion entre les voyageurs et les locaux. Dans certains territoires, notamment les grandes métropoles, les locaux entretiennent généralement une forme d’hostilité envers les touristes. Avec la mise en place de services collectifs, de restaurants à moindres coûts, de programmations d’événements attractifs, les interactions se simplifient et les acteurs de la ville, même passagers, se rencontrent. À Milan, l’auberge Madama&Bistrot organise une soirée karaoké hebdomadaire qui réunit autant de locaux que de voyageurs. C’est également l’une des priorités que s’est fixé le groupe hôtelier Accor : replacer l’hôtel au cœur de la ville en dynamisant les rez-de-chaussée, dans le but de créer du lien entre les habitants et les touristes.
D’autres optent pour une manière encore plus inclusive de voyager et de découvrir de nouveaux territoires : se loger directement chez l’habitant et partager une partie de son quotidien. La plateforme AirBnb se démocratise considérablement depuis quelques années. Elle permet de profiter d’un logement, partagé ou entier, de s’approprier un quartier et de participer ainsi à un tourisme participatif et collaboratif. On peut cependant lui reprocher d’être devenue trop commerciale, avec des logements sur la plateforme de moins en moins authentiques. Une autre plateforme, Couchsurfing, propose ce même service mais gratuitement. La démarche consiste à recevoir des personnes chez soi, sans aucune transaction monétaire, et d’accompagner les voyageurs recueillis en suggérant des visites et activités locales, afin de les inviter à vivre une expérience humaine et novatrice.
Une (r)évolution qui concerne aussi un tout autre public
Les concepts novateurs et les hôtels 2.0 ne s’adressent pas uniquement aux nouvelles générations. Le public en demande d’innovations s’élargit et de nombreux établissements, généralement plus conventionnels que les auberges de jeunesse, se transforment pour attirer une clientèle exigeante.
La chaîne Okko Hôtels propose des établissements 4 étoiles, des services de restauration qualitative, des boutiques en rez-de-chaussée ou encore un espace de remise en forme. La particularité de leur offre repose surtout sur le détails des services proposés, avec l’installation de machine Nespresso, d’accessoires Apple ou de services de vidéos à la demande dans les chambres. Leur stratégie vise à offrir un cadre aussi convivial et chaleureux qu’une auberge, tout en proposant des services d’une qualité supérieure, pour une clientèle généralement plus aisée. Sur le même principe, le Mob Hotel de Saint Ouen met par exemple à disposition de ses clients un cinéma en plein air, une vraie singularité pour le secteur de l’hôtellerie !
Le développement d’établissements haut de gamme et modernes se répand également dans le tourisme d’affaires. De plus en plus d’hôtels se concentrent sur l’accueil des professionnels en mission et mettent un point d’honneur à satisfaire au mieux leurs demandes en leur proposant un cadre de travail attractif et adapté.
Avec la possibilité de réserver des salles de réunion, de travailler dans un espace de coworking, ou même de programmer des séminaires d’entreprises, l’hôtel devient alors un lieu de travail éphémère. Plusieurs sites de réservation en ligne ont d’ailleurs entamé une démarche pour proposer un tourisme d’affaires à la carte, avec des offres ciblés pour les professionnels. C’est le cas de MyRoomIn et de son label business, ou encore de AirBnb et son offre Business Travel.
Pour révolutionner le marché de l’hôtellerie d’affaires, Rattan Chadha, fondateur de CitizenM une chaîne d’hôtels néerlandaises, propose un nouveau concept : des espaces décloisonnés et hybrides pour un cadre de travail moderne et convivial. Avec une trentaine d’hôtels répartis dans le monde entier, et des espaces de coworking dotés d’un accès WiFi, d’ordinateurs et d’imprimantes, les établissements CitizenM invitent les professionnels à choisir un modèle haut de gamme et connecté pour leurs déplacements. Plus original, l’hôtel Barrière de Cannes propose de réaliser les séminaires d’entreprises et réunions les pieds dans le sable !
Les nouvelles technologies au cœur du marché hôtelier
Quels que soient la génération ou le public visé, le standing adopté par l’établissement, ou encore les services proposés, ces nouveaux concepts qui révolutionnent le marché hôtelier ont tous un point commun : l’intégration des nouvelles technologies dans leur stratégie de développement.
La digitalisation des hôtels et l’utilisation du numérique est omniprésente avant, pendant, et après le voyage. C’est en effet devenu comme un automatisme de naviguer sur internet pour comparer les prix annoncés par le secteur hôtelier, puis de réserver un établissement en ligne après l’analyse de critères facilement accessibles. Sur place, les voyageurs profitent généralement d’aménagements connectés, d’un réseau WiFi plus ou moins performant, et de services dématérialisés. Après son expérience, le client peut à nouveau se rendre sur une plateforme et partager virtuellement son avis à l’établissement et à la future clientèle.
D’ailleurs, depuis 2017, un salon réunissant les secteurs de la restauration et de l’hôtellerie autour des nouvelles technologies et du digital a vu le jour. L’idée du Food Hotel Tech est de présenter aux secteurs concernés les opportunités que pourraient leur offrir les nouvelles technologies, ainsi que les bonnes stratégies à adopter. Exposants, startups et visiteurs échangent ensemble sur les challenges à venir, présentent leurs dernières innovations, dans le but de toujours plus correspondre aux nouvelles attentes.
Pour cela, dans une logique d’intelligence collective, l’accent est mis sur la coopération et les partenariats entre le secteur hôtelier et les startups innovantes. Des acteurs qui peuvent par exemple développer des services inédits. C’est ainsi qu’est née la startup Wipolo. Elle met à disposition de l’utilisateur une application mobile “compagnon de voyage” qui centralise l’ensemble des services proposés par les hôtels, tout au long du séjour des voyageurs, pour optimiser leurs demandes et leurs attentes.
Jusqu’où peuvent aller les complexes hôteliers dans la transformation de leur modèle ?
La révolution hôtelière permet de faire découvrir plus facilement de nouveaux territoires aux voyageurs, et selon les standards, de créer une expérience locale et inclusive. Plus que des services et un lieu 2.0, certains hôtels se démarquent maintenant par leur originalité et leur concept insolite.
C’est notamment le cas des territoires ruraux qui proposent un voyage et des sensations inédites. Ces lieux d’expérimentations permettent de découvrir la ville autrement, d’habiter des endroits insoupçonnés du territoire. À Riantec, le phare de Kerbel s’est transformé en chambre d’hôtel et offre aux voyageurs un panorama imprenable sur le Morbihan. Dormir dans des grottes, des bulles, des cabanes flottantes ou encore dans des gares réaménagées, est un concept que les touristes commencent à rechercher et apprécier. Les hôteliers sont aujourd’hui contraints d’affirmer une forte identité, un concept novateur, pour rester attractifs. Parfois très décalés, ces hôtels offrent une telle expérience de vie que les personnes tendent à se couper de la ville et rester exclusivement dans leur hébergement. Ces nouveaux modèles finiront-ils par enfermer le touriste dans un lieu spécifique, ou contribueront-ils au contraire à la découverte de la ville par l’attractivité de leur offre ?
Moins insolite mais tout aussi déroutant : la chaîne Thomas Cook lance un nouveau concept, le Cook’s Club. Ce modèle s’adresse aux millenials et aux plus âgés à la recherche d’une ambiance calme : il n’accepte pas les enfants de moins de 16 ans. Une offre haut de gamme qui questionne cependant sur le devenir du secteur hôtelier. Si certains hôtels interdisent aux plus jeunes de séjourner chez eux, est-ce que certaines auberges de jeunesse pourraient bientôt refuser une population âgée d’un certain âge ? Les hôteliers commenceraient-ils à occulter toute forme d’inclusivité et de cohésion intergénérationnelle ? Espérons que demain, les hôtels restent des lieux de rencontres et non pas des bulles d’entre-soi, car sinon que deviendront nos voyages urbains …