Les épiceries sociales et solidaires, des espaces d’échange et de solidarité dans la ville
Pour cette interview, nous sommes allés à la rencontre d’Aymeric Poizat, chargé de développement au sein du réseau ANDES, l’Association Nationale de Développement des Épiceries Sociales. Les épiceries sociales et solidaires sont des structures qui luttent contre la précarité alimentaire. Pour autant, elles ne proposent pas uniquement aux personnes vulnérables un meilleur accès à l’alimentation. D’autres enjeux, comme la lutte contre l’isolement, le suivi social et le développement du vivre-ensemble font partie des missions qu’elles se donnent. Des défis importants à relever jusqu’à présent, pour lesquelles la recherche de solutions va devenir incontournable dans les mois et années à venir au regard de la crise.
Comment fonctionnent les épiceries sociales et solidaires ?
Une épicerie sociale et solidaire est un dispositif d’aide alimentaire et d’accompagnement social. Il faut voir cela comme une épicerie classique – de quartier, de village – qui veut rendre aux personnes qui rencontrent des difficultés économiques leur autonomie vis-à-vis de leur consommation. C’est-à-dire que quand un usager entre dans une épicerie sociale et solidaire, il fait ses courses comme tout un chacun. Nous y trouvons les mêmes produits que dans une épicerie classique (fruits et légumes, produits frais, produits d’hygiène, d’entretien, produits pour bébés…) et cela inclut également les produits « plaisir » tels que des produits de beauté ou des bonbons. Il est aussi organisé, dans la majorité des épiceries et notamment au moment de Noël, des partenariats avec des marques afin de proposer aux usagers des coffrets cadeaux revendus à des prix très bas. Les clients bénéficiaires font donc leurs courses de manière classique : la différence, c’est qu’ils ne payent qu’entre 10% et 30% de la valeur réelle de leur panier.
La possibilité d’accéder aux épiceries sociales et solidaires est décidée par orientation d’un travailleur social au sein du territoire de l’épicerie (Centre communal ou intercommunal d’action sociale (CCAS, CIAS), centre social départemental, etc.). Celui-ci va remplir un dossier d’accès sur des critères spécifiques, dont un critère financier, qui va être fixé plus haut que celui nécessaire pour obtenir l’aide sociale, afin de donner accès à l’épicerie à des gens considérés comme « gagnant trop » mais qui, en réalité, rencontrent tout de même des difficultés à payer leurs courses.
Concrètement, à quoi les épiceries ressemblent, vues de l’intérieur ?
Au sein de l’épicerie, en plus de l’espace de vente, le lieu le plus important est l’accueil. Il peut être conçu comme un petit café, et les usagers peuvent d’ailleurs y prendre une boisson chaude, même un petit-déjeuner complet parfois. L’idée est de créer un moment de convivialité, de rompre avec l’isolement à laquelle font face de nombreuses personnes précarisées. Dans l’épicerie se trouve également un espace d’activités, là où vont être proposés des ateliers : par exemple de cuisine, ou sur le thème du « budget malin » : des bénévoles donnent de petites astuces aux usagers pour mieux gérer leur porte-monnaie.
Quel est le rôle d’ANDES en matière de développement de ce type de structures ?
C’est un réseau d’épiceries sociales et solidaires qui aide les porteurs de projet dans le bon fonctionnement de leur structure. 35% sont portées par des acteurs publics (CCAS, CIAS communautés de communes…), les autres sont associatives. La grande majorité des personnes qui les font fonctionner sont bénévoles.
ANDES a par ailleurs neuf animateurs territoriaux qui s’occupent de créer des dynamiques départementales et régionales entre les épiceries. Cela se base sur le principe du partage de connaissances, grâce à des rencontres entre les adhérents, afin de partager leurs différentes expériences et problématiques. Les animateurs sont également responsables de toutes les formations au sein des épiceries (hygiène et sécurité alimentaire, accueil, cohésion d’équipe, alimentation, etc.). ANDES redistribue également le Crédit National Épicerie Solidaire (subvention de l’État pour l’aide alimentaire octroyée par la Direction Générale de la Cohésion sociale) aux épiceries en fonction du nombre de bénéficiaires.
Au niveau national, ANDES a aussi quatre ateliers chantiers d’insertion (Les Potagers de Marianne), qui récupèrent les invendus sur les Marchés d’intérêt National afin de les redistribuer aux épiceries.
Pour quelles raisons avez-vous créé un fonds pour faire émerger de nouvelles épiceries ?
Le fonds de soutien à la création de 100 nouvelles épiceries a été créé tout récemment. Il est issu essentiellement de dons privés, obtenus notamment via des campagnes de crowdfunding, mais aussi grâce à des partenariats financiers avec des acteurs de l’industrie de la distribution et de l’agroalimentaire. C’est un grand succès. Nous espérons être à plus de 100 à terme, et pouvoir renouveler ce fonds. Malheureusement, il répond à un besoin grandissant : ce qui avant était de l’aide alimentaire, est devenu un problème social criant. Avant la crise sanitaire, nous étions à 14% de la population en dessous du seuil de pauvreté. Après celle-ci, nous serons bien au-dessus.
- Pour en savoir plus sur le fonds, vous pouvez cliquer ici.
A quels enjeux faites-vous face de manière générale, et plus précisément dans le contexte de la crise sanitaire ?
Avant la crise, les précarisés étaient peu visibles, voire invisibles. Aujourd’hui, nous avons commencé à les voir. Ces personnes sont de plus en plus nombreuses et vivent des situations sociales de plus en plus difficiles. La crise sociale issue de la crise sanitaire aura été révélatrice, notamment aux yeux des décideurs locaux. Elle a engendré une augmentation très significative de la demande – 30-40% dans le réseau ANDES – et a été marquée par l’arrivée de nouveaux publics, tels que des travailleurs indépendants, des intérimaires, des retraités et beaucoup de jeunes.
Pour nous, l’enjeu est de répondre à ces besoins en augmentant le nombre d’épiceries, en intégrant et en ralliant les décideurs locaux. Il faut les convaincre de soutenir ou de créer par eux-mêmes des épiceries sociales et solidaires sur leur territoire. Nous avons l’expertise de les accompagner : notre réseau est constitué d’environ 400 épiceries partout en France, et nous avons acquis une expérience depuis 20 ans dans la création de ces structures. Le fonds de soutien permet la prise en charge de l’accompagnement, ce qui fait que la collectivité n’a pas besoin de financer l’expertise. De plus, le fonds apporte une petite subvention participant aux premiers investissements de la future épicerie sociale.
Même si l’on préfèrerait pouvoir dire que nous n’avons pas besoin d’augmenter le nombre d’épiceries, dans la réalité, c’est l’enjeu auquel nous faisons face aujourd’hui. Il y a un besoin d’épiceries partout, notamment en milieu rural. Les initiatives sont complémentaires, mais il peut être beaucoup moins difficile d’entrer dans une épicerie sociale et solidaire que d’aller récupérer des colis alimentaires gratuits.
Quelle est votre vision de la ville de demain ?
Ce sont des villes qui doivent être plus solidaires, définitivement. Nous essayons de développer des épiceries mixtes avec différents usagers : d’un côté, un public socialement orienté, et de l’autre, des clients lambda (dits « clients solidaires ») qui cherchent d’autres moyens de consommer des produits, un peu plus haut de gamme, en circuits courts, issus d’une agriculture locale. Une ville solidaire est aussi une ville où l’on se mélange, entre les personnes ayant une situation économique stable ou pas. Qu’importe qui on est et d’où on vient : on peut tous participer à la vie de la cité. On ne pourra pas se comprendre en tant que population, en tant que ville, sans des espaces d’échanges et de solidarité, comme peuvent l’être les épiceries sociales et solidaires.
- Afin d’en savoir plus sur le réseau ANDES, rendez-vous sur leur site web en cliquant ici.