Les cours d’écoles, reflets de l’évolution de nos villes

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22 Nov 2022 | Lecture 3 min

Que ce soit pour participer à la lutte contre les îlots de chaleur, pour aménager la ville avec le temps via la chronotopie ou pour repenser et combattre les inégalités de genre en ville, les cours d’écoles occupent ces dernières années une place centrale dans les réflexions urbaines. Sont-elles amenées à devenir le laboratoire principal du futur de nos villes ?

À l’école des conflits d’usages

«De base moi je voulais des cages de foot et un ballon de foot mais comme par hasard y a rien, y a que … je ne sais pas comment ça s’appelle…. des copeaux. Et après y a de la terre, et après y a rien » : c’est ce qu’expliquait un jeune écolier de la Sauvagère dans le 9e arrondissement de Lyon à son maire Grégory Doucet, qui était pour sa part quelques secondes auparavant très fier de présenter le résultat de la concertation menée avec les enfants par l’association d’éducation populaire Robins des Villes, spécialiste de la question depuis de nombreuses années.

Ces quelques mots, qui ont laissé le premier édile de Lyon bouche bée (derrière son masque), et qui a été vue plus de 2 millions de fois sur Twitter, résument bien les conflits d’usage qui surviennent chaque jour et auxquels les spécialistes de la fabrique urbaine doivent répondre. On a affaire ici plus spécifiquement à un conflit d’usages lié au genre, que la géographe Edith Maruéjouls a contribué à mettre en lumière et à l’agenda des municipalités ces dernières années : alors que quelques garçons privatisent 80% de la cour, et notamment son centre, les filles se retrouvent pour la plupart reléguées en périphérie de celle-ci. D’autant plus reléguées que ces marges sont souvent morcelées et non continues alors que l’espace des garçons est bien plus unifiée puisque destinée aux jeux de ballons, et avant tout au football.

Cette occupation genrée de l’espace ne se limite évidemment pas au cadre scolaire, et il a été montré que ¾ “des budgets publics destinés à promouvoir ou encourager les pratiques sportives reviennent aux hommes”, ce qu’on peut observer directement dans l’espace public avec des espaces sportifs (parcs de street workout, city stades, skateparks etc.) dominés par la présence d’hommes. Le réaménagement de la cour d’école de la Sauvagère, et plus généralement de toutes celles de Lyon s’inscrit ainsi dans une réflexion plus générale des rapports de genre à l’échelle de la ville, et dans des actions plus larges comme celle du budget sensible au genre.

Des laboratoires de la citoyenneté urbaine 

En plus de “répliquer” ou même de préfigurer les conflits d’usages et le fonctionnement d’un espace public plus large, les cours d’écoles constituent également des laboratoires de co-conception qui pourraient inspirer les plus grands. Ces projets de réaménagement débutent habituellement par un diagnostic d’usages qui fait appel à l’expertise des usagers (écoliers, mais aussi les professeurs et autres personnels), à leurs approches sensibles et analytiques pour établir des cartographies d’usages de la cour, comme on peut le retrouver dans d’autres formes de diagnostic extra-scolaire (balades urbaines, intertexting, marches exploratoires, etc.).

La méthodologie construite et mise en pratique par Robins des Villes à l’école de la Sauvagère comme dans de nombreuses autres consiste à laisser place aux désirs et aux rêves des écoliers, une fois ce diagnostic effectué. L’idée est de partir des utopies et de demandes pas toujours très réalistes, avant d’introduire un “briseur de rêves”, c’est-à-dire des contraintes qui sont introduites pour rendre le projet réaliste. Une pratique particulièrement intéressante puisqu’elle permet d’imaginer des esquisses de projets débarrassés de toute contraintes, notamment technique, ce qui est plus difficile pour un adulte habitué à les prendre en compte en amont.

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En considérant les enfants comme des citoyens et usagers-experts à part entière, et en partant de leurs désirs les plus fous, on s’assure ainsi d’aménager la cour la plus proche des envies, et donc de favoriser une appropriation individuelle et collective de l’espace individuel, ce qui prépare à s’approprier plus aisément l’espace urbain en général, notamment pour les filles.

Les concepteurs, et les adultes en général, ne sont pas en reste et bénéficient également de l’apport de l’approche des écoliers. Tout d’abord de leur approche sensible et experte, mais aussi d’une capacité que nous perdons de plus en plus dans un monde contraint : le rêve.

Les cours d’école, oasis dans un désert bétonné ?

Bien que la cour d’école constitue ainsi être une “mini-ville” et un laboratoire de la ville de demain, elle reste avant tout un morceau de la ville existante. Et tout comme le reste de la ville, les formes qu’elle prend aujourd’hui sont l’héritage d’une histoire au long cours.

Le véritable commencement des cours d’écoles formatées que l’on connaît aujourd’hui est à dater de 1833, avec la loi Guizot portant sur l’instruction primaire, qui oblige notamment les communes de plus de 300 habitants à proposer et conserver un local “convenablement disposé”. Alors que la cour d’école est ouverte sur l’environnement et le reste de la ville, constituant un lieu de passage et même d’appropriation pour tous les citoyens, la fin du XIXe siècle voit l’augmentation et l’agrandissement des bâtiments scolaires dans une époque de grande urbanisation, et la relégation des cours d’école à l’arrière des bâtiments, clôturées et globalement inaccessibles en dehors des usagers.

À l’image du reste des villes, et notamment de leurs espaces publics, les cours d’écoles ont massivement été bétonnés et aménagés de manière à favoriser la surveillance visuelle par des vastes espaces libres, difficilement appropriables. Ainsi, “la cour de récré des années 1980 devient un lieu paradoxal où les enfants peuvent faire ce qu’iels veulent tout en disposant d’un cadre matériel relativement prescriptif.” Censées réduire les risques de bobos – et de saleté – grâce à la surveillance permise et la très faible absence d’espaces boueux ou naturels, les cours d’école voient pourtant de nombreuses violences, physiques comme liées au harcèlement, prendre part. Cette prise de conscience n’est ainsi sûrement pas étrangère au changement de paradigme en cours vers des cours d’écoles bien moins asphaltées.

Que ce soit à Lyon, Rennes, Bordeaux, Paris, Toulouse ou encore Dunkerque, les nouvelles cours d’école de la génération climat accueillent, à l’image de nombreux projets urbains contemporains, des aménagements de gestion des eaux pluviales, des potagers pédagogiques, des protections solaires de type pergola ou encore ces fameux copeaux de bois

Si cette nouvelle manière d’aménager nos cours d’école est très enthousiasmante (et nous rend presque jaloux des futurs écoliers), le risque est de constituer un nouveau modèle standard, appliqué partout tel quel. Comme dans tout le reste des projets urbains, ce qui est le plus important et qui constitue la réelle valeur ajoutée, c’est bel et bien la prise en compte des usages, réalisée avec plus ou moins d’attention de la plupart des projets évoqués. Comme le dit une chargée de projet de l’association Robins des Villes : « La végétalisation, c’est un cheval de Troie pour amener d’autres thématiques, comme la mixité d’usage et le partage égalitaire de l’espace entre tous ».

 

 

 

 

LDV Studio Urbain
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