Les constructions légères: des solutions à la fois pour les crises climatiques et sociales ?

© Avel Chuklanov via Unsplash
7 Avr 2022 | Lecture 3 min

Alors que le dérèglement climatique cause toujours plus d’inégalités sociales dans le monde entier, les crises économiques, sanitaires, migratoires se multiplient et impactent elles aussi profondément nos sociétés. Au cœur de ces phénomènes, l’architecture incarne, de fait, une fonction fondamentale : celle du premier logis de l’humanité. Et l’évolution de la fabrique urbaine permet aujourd’hui d’expérimenter des outils, des modèles ou même des réglementations qui répondent, en partie, à ces nouveaux défis.

Décryptage de ces solutions éco-responsables que constituent les constructions en structures légères, tantôt éphémères, tantôt pérennes, conjointement liées à des enjeux d’urgence climatique et sociale. Un vaste et riche sujet dont certains projets phares ont récemment été présentés lors de la dernière exposition du Pavillon de l’Arsenal “L’empreinte d’un habitat : construire léger et décarboné”.

La structure légère est un processus architectural qui combine divers caractéristiques et avantages, dont, naturellement, le faible restreint de la construction, mais aussi l’utilisation de matériaux comme le bois ou le métal, plutôt que la brique ou le ciment. L’objectif étant d’optimiser au mieux le coût, le temps et la qualité de la construction. Dans le guide des “Constructions mixtes – constructions souples”, René Motro, professeur et directeur du Laboratoire de Mécanique et Génie Civil de l’université Montpellier II, affirme que “les structures légères, caractérisées par leur faible poids propre mais aussi par leur composition structurale et de multiples aspects innovants dans leur conception et leur réalisation, ont connu un développement sans précédent depuis une cinquantaine d’années. Elles offrent des solutions architecturales répondant à la nécessité de construire des espaces de grandes dimensions avec un nombre réduit de points porteurs.”

Par l’optimisation des matériaux et des ressources, par la sobriété énergétique ou encore par l’économie faite en production de déchets qu’elles induisent, elles participent donc activement à réduire l’empreinte carbone des nouvelles constructions. Elles apparaissent, de fait, comme une solution durable pour lutter contre la crise climatique, à l’échelle de la fabrique urbaine. Elles représentent également une solution abordable face aux enjeux qu’entraîne la croissance démographique de nombreux pays et la nécessité de construire davantage de logements. Elles peuvent enfin faire preuve d’une grande efficacité dans une situation d’urgence sociale, étant adaptées à des contextes géographiques variés, économes, flexibles et rapides à mettre en œuvre. Ces trois différentes crise, croissance et urgence étant souvent naturellement liées.

Comment les structures légères, et les personnes qui les conçoivent et réalisent, participent-elles à répondre aux défis majeurs de nos sociétés ? Quels projets et expérimentations ont d’ores et déjà été initiés ? Et finalement, quelle est ou quelles sont les temporalités à intégrer à ce type de construction ? Une solution d’urgence doit-elle forcément être temporaire ou peut-elle être pensée dans sa pérennité ?

Maison Ferembal, construction démontable conçue par l’architecte et designer Jean Prouvé © Flickr

Maison Ferembal, construction démontable conçue par l’architecte et designer Jean Prouvé © Flickr

L’inévitable dualité entre dérèglement climatique et crise sociale

Il n’y a malheureusement aujourd’hui plus de doute à avoir sur l’existence d’un dérèglement climatique et de son origine anthropique. Le dernier rapport d’évaluation du GIEC n’a fait que le confirmer, et même le renforcer. Les conséquences environnementales, économiques et surtout sociales de ce phénomène devraient, par ailleurs, se manifester plus rapidement que ce qui avait été prévu dans les recherches et publications précédentes. Le rapport alerte ainsi des effets actuels et futurs, désormais généralisés et en grande partie irrémédiables, du réchauffement climatique sur les populations et les écosystèmes. Sécurité alimentaire, vulnérabilité sanitaire, approvisionnement en ressources, les scientifiques à l’initiative de ce nouveau document insistent grandement sur l’intégration complète de la dimension justice sociale au sein des démarches de transition écologique.

Il y a, par exemple, un consensus global sur le fait que les personnes étant en situation de précarité ou de marginalisation (personnes sans domicile fixe et mal logées, habitant des territoires disposant de peu de ressources financières, d’une capacité moindre de résilience…) seront, et sont déjà, les plus impactées par les catastrophes naturelles. Des aléas climatiques qui devraient assurément se multiplier dans les prochaines décennies. Et qui nécessitent, entre autres, la mise en œuvre d’hébergements d’urgence, indépendamment d’actions fortes et globalisées en faveur de la transition, portées par les sphères privées, publiques et civiles, évidemment.

Nous avons collectivement traversé la crise sanitaire et assisté, dès le début de la pandémie, à la construction, en quelques jours seulement, d’immenses moyens logistiques pour faire sortir de terre un nouvel hôpital à Wuhan. Ce genre de contexte appelle inévitablement à des solutions rapides et les catastrophes naturelles n’échappent pas à la règle. L’architecte japonais Shigeru Ban, connu pour ses engagements humanitaires et reconnu internationalement pour avoir reçu le prix Pritzker en 2014, a dédié une grande partie de sa carrière à la conception de structures légères et temporaires au sein de zones sinistrées. Surnommé “l’architecte de l’urgence”, il a notamment développé des habitats préfabriqués en carton, les fameuses Paper Log Houses, pour venir en aide aux survivants du tremblement de terre de Kobe, au Japon, en 1995.

L’intérieur d’une Paper Log House, de Shigeru Ban, à Kobe © Flickr

L’intérieur d’une Paper Log House, de Shigeru Ban, à Kobe © Flickr

Il a également eu l’idée, accompagné par l’équipe de l’ONG Voluntary Architect’s Network, de détourner des containers maritimes pour créer un système d’hébergement agile, à destination des sinistrés d’Onagawa. 14 semaines ont suffit à développer ce projet comptant trois immeubles de deux étages et six immeubles de trois étages qui ont accueilli près de 189 familles. Des systèmes ingénieux répondant à des besoins immédiats, qui démontrent aussi que “de la contrainte, temporelle et économique, naissent des process innovants.”

Des situations d’urgence sociale pouvant engendrer diverses temporalités

Comme évoqué précédemment, certaines situations, comme celles liées aux catastrophes naturelles, impliquent des réponses instantanées, bien souvent à caractère éphémère. D’autres situations, en revanche, bien qu’étant urgentes à régler, ne peuvent être pensées dans une logique purement temporaire. C’est le cas des personnes fuyant le régime politique ou les conditions précaires inhérentes à leur pays. Un phénomène de migration de masse qui, de plus, devrait s’accentuer considérablement avec les réfugiés climatiques. C’est aussi le cas des personnes sans domicile fixe dont l’aide et l’accompagnement ne peuvent être limitées à une courte durée. Et l’architecture, dont légère, représente naturellement un levier d’actions important.

En effet, bien que l’un des principes d’une structure légère repose sur son agilité et sa facilité à être montée puis démontée, elle peut tout de même se pérenniser selon les enjeux auxquels elle doit répondre. En bordure du bois de Boulogne perdure, par exemple, un projet initié par l’association Aurore et conçu par les agences Moon Architectures et Air Architecture. Le centre d’hébergement d’urgence “La Promesse de l’Aube” devait initialement être investi pendant trois années seulement. Six ans après sa création, les besoins sont réels et toujours aussi prégnants, et l’ensemble des modules en structure bois, entièrement préfabriqués en atelier, qui constituent le programme, sont toujours en place.

Le projet n’avait pas reçu le meilleur accueil de la part des riverains à sa livraison, en novembre 2016, faisant notamment l’objet de deux tentatives d’incendies. Pourtant à son ouverture, Cyrille Hanappe, l’un des architectes du centre, confie lors d’un entretien mené par Tewfik Hakem pour France Culture : “Il y a eu un très bon niveau d’entraide avec des gens qui venaient faire des dons, qui participaient, qui donnaient des cours. Ce sont des gens du quartier qui étaient hostiles a priori et sont très favorables a posteriori. […] il y a un nouveau regain d’attention par rapport à la question de l’exil, des réfugiés et des migrants. Peut-être qu’avec la guerre en Ukraine, la proximité culturelle plus forte avec certaines personnes peut permettre à ces mêmes personnes de comprendre d’autres choses sur d’autres migrants qu’ils rejetaient avant. En tout cas c’est ce que j’espère”. Un projet temporaire qui commence finalement à investir durablement l’espace, le paysage et aussi le quotidien des habitants et usagers à proximité.

Système constructif d’un module de “La promesse de l’Aube”, présenté au Pavillon de l’Arsenal © Lola Roy

Système constructif d’un module de “La promesse de l’Aube”, présenté au Pavillon de l’Arsenal © Lola Roy

Le logement : un outil de résilience pour nos territoires ?

Bien qu’elles soient malheureusement aujourd’hui d’actualité, ces situations de crises ne sont pas nouvelles. Et l’habitat représente à la fois le problème et la solution, autant pour l’enjeu climatique que social. En effet, les grandes périodes de reconstruction et de relogement que la France, entre autres, a vécues, participent à résoudre une partie de la crise du logement. Les politiques d’envergure d’après-guerre, par exemple, et l’émergence des grands ensembles ont permis à des centaines de milliers de personnes d’accéder à un logement et à un certain confort dont elles ne disposaient pas auparavant (accès à l’intimité, à l’eau courante, équipements sanitaires…). Cependant elles peuvent également, sur le volet purement climatique, engendrer une forte pollution, par l’utilisation de matériaux comme le béton, la création de nombreux déchets, participant ainsi à l’émission massive de gaz à effet de serre. Évidemment, l’idée n’est pas de revenir sur ces actions qui relevaient d’une grande nécessité à l’époque. Mais de s’intéresser à des architectes, ouvriers et humanistes qui réfléchissaient déjà à des moyens, à des outils, à des systèmes constructifs pouvant répondre conjointement aux défis sociaux et environnementaux.

Dès 1954, l’abbé Pierre lançait un appel à la solidarité suite à cette fameuse vague de froid qui a été particulièrement difficile à vivre pour les personnes les plus démunies. L’architecte et designer français Jean Prouvé répondra à cet appel en concevant un prototype de maison à bas coûts, réalisable par une main d’œuvre non ou peu qualifiée et constructible rapidement. Le cahier des charges du fondateur du mouvement Emmaüs prévoyait un “habitat de type F3, reproductible et économique, composé de deux chambres et un salon, avec cuisine et salle d’eau”. Jean Prouvé créa “La maison des jours meilleurs”, dont l’ossature porteuse était formée d’une poutre en tôle pliée et d’un noyau central en acier, abritant la cuisine et la salle d’eau, ainsi que de panneaux-sandwichs en bois thermoformé et d’une couverture de bacs d’aluminium, au-dessus d’un soubassement en béton. Cette construction ne sera jamais homologuée, bien qu’elle fut saluée par de nombreux professionnels, notamment Le Corbusier qui lui avait montré toute son admiration : “Jean Prouvé a installé sur le quai Alexandre III la plus belle maison que je connaisse, le plus parfait moyen d’habitation, la plus étincelante chose construite. Et tout cela est en vrai, bâti, réalisé, conclusion d’une vie de recherche. Et c’est l’abbé Pierre qui la lui a commandée !”.

Il est aujourd’hui essentiel de créer des liaisons et des actions concrètes, durables et viables entre les besoins immédiats qu’engendrent les crises sociales et ceux, peut-être moins visibles mais tout aussi urgents, des conséquences du dérèglement climatique. Les capacités de résilience de nos territoires peuvent, heureusement, être activées en situation d’urgence. Mais tous les territoires ne bénéficient pas équitablement du même potentiel. La fabrique urbaine et les personnes qui pensent, conçoivent et construisent nos villes portent donc, avec une multitude d’autres sphères publiques, privées et civiles, une forme de responsabilité dans cet enjeu majeur. L’architecture légère peut, à son échelle naturellement, participer à lier justice sociale et climatique. Et comme l’affirme bien Philippe Rizzotti, l’architecte à l’initiative de l’exposition “L’empreinte d’un habitat : construire léger et décarboné” présentée au Pavillon de l’Arsenal du 22 octobre 2021 au 27 février 2022: “On sait faire, il faut s’en donner les moyens. Il y a un train à prendre !”.

LDV Studio Urbain
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