Les bidonvilles dans la ville durable
Calcutta, Jakarta, Le Caire… Quand on prononce le mot « bidonville », on se transporte généralement à des milliers de kilomètres, dans des pays pauvres. Autrement dit, cette réalité semble loin de nous, réservée à une partie de l’humanité ou bien associée à un temps aujourd’hui révolu. Pourtant, ce n’est pas parce qu’on ne les voit pas, ou qu’on ne veut pas les voir, que les bidonvilles n’existent pas encore chez nous, dans notre bonne vieille France. Alors dans une ville qui se veut durable et inclusive, comment davantage prendre en compte cette partie de la population dans la fabrique de la cité ?
Une réalité mal connue
Les bidonvilles d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier, même si évidemment un trait commun subsiste : la misère. Depuis les années 1990, cette forme d’habitat précaire est majoritairement peuplée d’immigrés venus d’Europe de l’Est, Rom et non Roms, qui s’installent sur des terrains vagues ou inoccupés dans des conditions insalubres. Le bidonville fait tâche dans le paysage urbain et on préfère généralement tourner les yeux plutôt que d’affronter cette pauvreté. Pourtant, en France en 2017 on recensait 571 bidonvilles abritant 14 800 personnes. Rien que dans l’agglomération nantaise ce sont 34 bidonvilles abritant 1 751 personnes que l’on peut côtoyer. Ces véritables villes dans la ville ne sont aujourd’hui pas suffisamment intégrées dans le tissu urbain et forment des enclaves de précarité aussi bien au niveau psychologique que physique et sociale.
Le bidonville : un espace de créativité et une source d’inspiration
Mais doit-on voir seulement le bidonville du côté de la misère ? Pourrait-on l’envisager autrement ? Car le bidonville c’est le royaume de la débrouille, le règne du faire avec peu, l’expérience de la sobriété au quotidien. Le bidonville pourrait donc constituer une sorte de laboratoire pour envisager des pratiques liées à la ville durable. Si longtemps on a cherché à éradiquer les bidonvilles, on se rend désormais compte que c’est sur le site, et notamment par le dialogue que l’on peut tenter d’améliorer la situation. Et c’est grâce à ce dialogue et aux rencontres avec les habitants que l’on peut se rendre compte de la richesse intérieure du bidonville, que l’on peut faire face à son étonnante production en terme d’innovation urbaine. Ces modèles mis en place pourraient même inspirer la ville durable en devenir : on parle de plus en plus de ville temporaire (dont par exemple Shigeru Ban est l’un des éminents représentants) ou de ville en mouvement (qui peut rappeler les réflexions de Peter Cook et de sa « plug-in city »), autant de notions que le bidonville est contraint d’affronter de par sa nature même. Au-delà de l’habitat en lui-même, le bidonville est le lieu de l’innovation frugale par excellence : économie circulaire, recyclage, adaptabilité, ces notions qui peuplent le quotidien des habitants des bidonvilles sont aujourd’hui au cœur des réflexions qui entourent la ville durable. Alors plutôt que d’en faire un espace d’exclusion, ne pourrait-on pas inclure davantage ces pratiques dans le but d’une meilleure porosité entre bidonville et ville ?
Pour une intégration sociale durable des bidonvilles
C’est justement à cette question de l’intégration des bidonvilles au sein de la ville que s’est attelée Morgane Levesque, étudiante en deuxième année de cycle Master Ville durable à L’École de design Nantes Atlantique, pour son Projet de Fin d’Études. Elle s’est donc demandée comment réduire l’exclusion et créer davantage de liens avec la ville durable. Après avoir analysé les nombreuses problématiques rencontrées par les habitants des bidonvilles, elle a relevé un dénominateur commun, la question de l’eau : « l’eau est une source de vie pour les êtres humains, elle fait partie de notre vie quotidienne. Mais dans le cadre du bidonville, l’eau peut devenir une source de problèmes importants, que ce soit pour aller la chercher, pour pouvoir subvenir à ses besoins ou même quand il pleut et que l’eau s’infiltre dans les habitats ». Morgane a alors centré son travail autour de trois axes, tous liés à la question de l’eau : favoriser un habitat décent, rendre les pratiques d’hygiène plus faciles et plus accessibles, limiter les temps de transport quotidiens. Avec ces propositions, Morgane entend intégrer davantage les bidonvilles dans la ville et surtout favoriser le quotidien des enfants, citoyens de demain et passerelle naturelle vers le reste de la cité, via l’école notamment.
Par Zélia Darnault, enseignante à L’École de design Nantes Atlantique
Vos réactions
Article très intéressant.
Pour prolonger sur ce sujet, deux articles publiés sur ce site il y a 3 ans :
interview de Sameep Padora : https://www.demainlaville.com/la-ville-durable-est-un-ecosysteme-complexe/
« la ville formelle a beaucoup à gagner en s’inspirant de la polyvalence d’usage des espaces extérieurs dans la ville informelle »
et le bidonville laboratoire d’un urbanisme bottom up : https://www.demainlaville.com/le-bidonville-laboratoire-dun-urbanisme-en-bottom-up/