Les ascenseurs : entre fantasmes et réalités

Démonstration du frein de chute (par parachute) par Elisha Otis au Crystal Palace en 1853
6 Juin 2019

20% des français prennent l’ascenseur quotidiennement. Rien d’étonnant lorsque l’on sait qu’il est le premier transport public utilisé au monde. Très présent dans les films américains, l’ascenseur représente un temps mort dans une action, une parenthèse obligée dans la pratique des buildings. Pourquoi suscite-t-il un imaginaire aussi fort ? Qu’est-ce qu’il représente dans le quotidien des habitants ? En quoi est-ce un espace de sociabilité ? Ou comment pourrait-il encore plus le devenir ?

L’ascenseur est le transport public le plus utilisé au monde

L’ascenseur est le transport public le plus utilisé au monde ©Unsplash

Construire un immeuble de plus de 4 étages sans ascenseurs aujourd’hui ? C’est impossible. L’ascenseur est devenu, au fil des années un élément de transport indispensable, à beaucoup d’usagers. Ce sont actuellement environ 100 millions de trajets qui sont réalisés par jour par 550 000 ascenseurs en France. Besoin de monter des courses, difficulté à se déplacer, nombre d’étages à monter trop important, les ascenseurs assurent et permettent à tous une mobilité assez récente : la mobilité verticale. Derrière sa fonction primaire, celle de monter ou de descendre, l’ascenseur est vecteur de nombreux imaginaires : cet espace restreint et fermé, où l’intime est mis en tension par la proximité physique créée, peut alors être le lieu de tous les possibles. Les nombreuses scènes, tantôt d’horreurs ou tantôt érotiques, en sont témoins : prendre l’ascenseur ne laisse personne indifférent !

Depuis l’apparition de bâtiments à plusieurs étages, les hommes ont toujours cherché à faciliter la circulation verticale : à l’Antiquité, la construction des grands monuments en pierre (comme les Pyramides ou le Colisée, ont obligé les constructeurs à réfléchir à des systèmes de monte-charge pour hisser les plus lourds blocs de pierres au sommet des édifices. Au Moyen-Âge et à la Renaissance, les évolutions techniques vont peu à peu permettre de sophistiquer les modèles ancestraux, mais surtout donner la possibilité de développer des systèmes pour monter des personnes. En 1743, la “chaise roulante” fait son apparition à Versailles. Grâce à la traction des bras et un système de poulis, il était alors possible de monter aux étages supérieurs sans demander le moindre effort pour la personne bénéficiaire du dispositif.

Avec l’ère industrielle du XIXème siècle, et l’augmentation des hauteurs des bâtiments, le développement de l’ascenseur s’accélère. C’est en 1853 que le premier ascenseur “moderne” est inventé grâce à la mise en place d’un système de parachute permettant de retenir les monte-charges en cas de rupture des câbles.

Démonstration du frein de chute (par parachute) par Elisha Otis au Crystal Palace en 1853

Démonstration du frein de chute (par parachute) par Elisha Otis au Crystal Palace en 1853 ©Commons Wikimédia

Les premiers ascenseurs installés aux Etats-Unis (suite à leur exposition dans le hall du Crystal Palace à New-York) atteignaient alors la vitesse de 0,2 mètre par seconde (contre 3 mètres par seconde en moyenne aujourd’hui). Ces nouveaux dispositifs sont souvent des pièces d’art à part entière. D’ailleurs, c’est également à cette époque que l’on choisit de les équiper de miroirs : les usagers trouvant souvent les cabines trop lentes, les fabricants décident alors d’en installer pour les occuper et surement aussi limiter l’impression de confinement. Tradition qui a d’ailleurs perduré dans le temps.

L’installation des ascenseurs au sein des immeubles résidentielles s’est surtout déployée au cours de la deuxième moitié du  XXème siècle : de 1963 à 1978, le nombre d’ascenseurs en France va être multiplié par 3,5. Son industrialisation va permettre son déploiement à la fois dans de nouvelles constructions mais également dans d’anciens bâtiments. Ces derniers perdent peu à peu de leur esthétique au profit de leur efficacité.

Aujourd’hui leur utilité n’est plus à démontrer. Les ascenseurs sont de plus en plus confortables, économes en énergie, mais surtout accessibles aux personnes âgées et handicapées, assurant alors la desserte de tous les niveaux pour tous. Pourtant les ascenseurs sont la hantise de nombreux usagers : conversations forcées, panne ou encore promiscuité physique, que raconte l’expérience de ce lieu aux qualités spatiales souvent pauvres ?

L’ascenseur, un non-lieu ?

A la frontière entre l’espace privé (celui du travail ou du domicile) et l’espace public, l’ascenseur fait bien plus que juste monter et descendre. Zone de flux, que l’on investit et traverse le temps d’un instant, il rythme la vie de milliers d’usagers. Il peut apparaître comme un lieu de répit dans les quotidiens éreintants des usagers, et offre la possibilité d’interagir avec les autres dans un cadre confiné. Mais l’ambiguïté de son statut, et son espace restreint, provoquent souvent chez ses usagers un sentiment de gêne vis à vis de ce qu’il s’y passe.

L’anthropologue Edward T Hall décrit la proximité physique dans les ascenseurs comme une violation de “proxémie”. En observant le comportement des personnes dans l’espace qu’offrent les ascenseurs, il a remarqué que nous n’occupions pas cet espace de la même manière que d’autres. Premièrement, la surface spatiale des ascenseurs oblige à une proximité qui est plus forte qu’en temps normal : il définit que pour une personne occidentale, l’espace intime est brisé lorsque quelqu’un s’approche de 45 cm en moyenne, ainsi l’espace personnel est de 1,2 mètres et l’espace social de 3,6 mètres. Alors forcément, dans une cabine d’ascenseur, tout est remis en question : l’espace intime est modifié et chacun met en place des stratégies pour re-créer une zone de confort personnelle.

Erving Goffman, sociologue du milieu du XXème siècle, décrit quant à lui les ascenseurs comme des “microcosmes sociaux”. Il définit que des rites sont créés par les usagers et guident les interactions. On met alors en place inconsciemment ces rites (civilités, bonnes manières mais aussi stature physique), en évitant par exemple le contact des yeux ou en se tournant le dos. L’arrivée du téléphone a d’ailleurs permis de pouvoir s’occuper le temps du trajet en évitant l’interaction avec son voisin. Le respect de ces micro-rites permet de protéger son espace intime et de diminuer l’effet de gêne.

Des stratégies de mise en place sont alors déployées par les usagers. Qui n’a pas déjà préférer prendre les escaliers en voyant monter dans l’ascenseur de son immeuble un voisin trop bavard ou dérangeant ? Et lorsqu’on se retrouve face à lui dans l’ascenseur, après les inévitables ‘bonjour” et les conversations sur le temps, il n’est pas toujours aisé de trouver un sujet qui comblerait le silence gênant qui vient de s’installer dans la cabine. Certains osent même le fredonnement pour éviter d’entendre un ange qui passe…

Ascensumophobie, ou quand prendre l’ascenseur est impossible

Outre la transformation des codes sociaux qui peuvent être un motif d’évitement de ces espaces, certains usagers souffrent d’une véritable peur des ascenseurs : l’ascensumophobie. Cette phobie est en réalité beaucoup plus répandue que l’on ne le pense. La peur est liée à plusieurs phénomènes. Le premier est évidemment celui de la claustrophobie, c’est à dire le fait d’entrer dans un espace clos de petite taille et sans ouverture sur l’extérieur. Elle provoque l’impression de manquer d’air et une sensation d’écrasement liée à l’angoisse provoquée.

Le manque de qualité spatiale des ascenseurs renforcent souvent la sensation d’écrasement

Le manque de qualité spatiale des ascenseurs renforcent souvent la sensation d’écrasement ©Unsplash

Le deuxième est celui de la peur mécanique : rester bloqué quelques minutes ou heures dans cette cage, ou encore le décrochement de cette dernière, est pour de nombreuses personnes un motif d’évitement des ascenseurs. Bien qu’il soit l’un des moyens de transport les plus sûrs du monde, on estime qu’un ascenseur tombera en panne environ 3 fois par an (le plus souvent à cause de gênes occasionnées par les usagers eux-mêmes). C’est d’ailleurs la mauvaise expérience qu’a vécu Nicolas White, salarié du magazine Business We, qui un vendredi soir de 1999, à 23h en remontant de sa pause cigarette, est resté coincé plus de 41h dans la cabine tombée en panne.

Ces peurs sont souvent inconsciemment amplifiées par la mise en scène d’accidents et d’angoisse dans les films. La majorité des séquences tournées dans des ascenseurs ont une fin relativement tragique. Ainsi, dans L’Ascenseur (film fantastique des Pays-Bas Grand Prix du Festival du film d’Avoriaz) un ascenseur fou provoque la décapitation de 4 protagonistes, ou encore le célèbre Shining, nous montre une marée de sang sortant des portes des ascenseurs.

Mais rassurez-vous, les ascenseurs sont également le lieu de scènes hilarantes dans de nombreux films. On gardera en souvenir la scène où Hubert Bonisseur de la Bath, dans OSS 117, sort habillement d’une cabine d’ascenseur alors qu’il est enfermé avec deux agents chinois et deux agents allemands qui souhaitent sa mort. Un ressort comique que l’on retrouve aussi dans des films cultes, comme l’hilarant Le Père noel est une ordure avec sa scène culte où Josiane Balasko reste bloquée dans l’ascenseur d’un immeuble parisien, et même Astérix Mission Cléopâtre qui parodie les ascenseurs modernes. De quoi rassurer les craintifs, car bien souvent les ascenseurs dans les films sont les lieux de situations insolites !

Le lieu de tous les possibles ?

“J’arrive à me glisser juste avant que les portes ne se referment

Elle me dit “quel étage”, et sa voix me fait quitter la terre ferme,

Alors les chiffres dansent, tout se mélange,

Je suis en tête-à-tête avec un ange”

Comme le suggère le chanteur Calogero dans son titre En apesanteur, le voyage en  ascenseur est l’occasion de rencontres fantasmées. Un sondage a d’ailleurs été réalisé par le très sérieux institut de sondage Ipsos (entreprise de sondage française) pour la fédération des Ascenseurs en 2018, afin de chercher à comprendre les imaginaires collectifs associés aux situations de cohabitation dans les ascenseurs. Les réponses sont assez révélatrices : l’ascenseur est bel et bien dans l’imaginaire collectif un lieu de fantasme. En effet, 45% des interrogés révèlent être prêts à déclarer leur flamme dans un ascenseur, 32% à draguer un inconnu et 25% à y faire l’amour. L’exiguïté des lieux et la transgression des codes habituels de lieu semble stimuler l’imagination des français.

Mais certes sources de fantasmes, les ascenseurs sont aussi des lieux publics où la sociabilité est la plus poussée. Ce sont les rares espaces où les conversations entre deux inconnus sont les plus souvent entamées. Un constat certainement lié au fait que les moments d’échanges sont chronométrés et qu’ils sont engagés sachant qu’ils auront une fin rapide. Il s’est d’ailleurs imaginé un exercice de communication utilisé en marketing : “l’elevator pitch” qui équivaut à convaincre une personne dans un temps donné (le temps d’un trajet), en mettant en avant ses capacités, afin de se présenter en quelques mots bien choisis et de laisser une bonne impression. De quoi s’entraîner en grimpant les étages !

Que promet l’ascenseur du futur ?

Même si la cabine d’ascenseur semble être le lieu de tous les possibles, beaucoup déplorent ses qualités spatiales. Néons désagréables, moquettes vieillottes, l’esthétique des ascenseurs reste encore à travailler. Dans le sondage réalisé par Ipsos cité précédemment, les améliorations choisies par les questionnés sont en premier l’ajout d’une musique lors de la montée (43% des interrogés), mais également celle d’écrans digitaux informant les usagers (sur la météo par exemple). Suppléments qui risqueraient de diminuer les situations de sociabilité déjà fragiles… Certains plébiscitent également l’installation de strapontins ou de sièges dans les cabines pour améliorer le confort des personnes à mobilité réduite et personnes âgées, proposition intéressante quand on sait que la population mondiale vieillit.

Les formes et matières des ascenseurs tendent à se diversifier également. Pour limiter les effets de claustrophobie et proposer une expérience sensible de l’ascenseur, certains architectes choisissent de proposer des cabines en verre. Cela permet d’obtenir des points de vue insolites pendant les trajets d’ascension. Un des ascenseurs les plus insolites a été installé à Berlin dans le hall de l’hôtel Radisson puisque ce dernier est intégré à un aquarium géant de 25 mètres de haut dans lequel 2500 poissons nagent.

L’ascenseur est intégré au plus grand aquarium du monde

L’ascenseur est intégré au plus grand aquarium du monde ©Commons Wikimedia

En diversifiant l’expérience voyageurs, les fabricants souhaitent faire de ces objets des véritables joyaux de technologies qui évoluent avec les besoins des usagers. Avec la construction de tours de plus en plus hautes, la meilleure maîtrise des impacts de la vitesse sur les corps, ainsi que la volonté d’innover dans ce secteur, cela nous promet des ascensions de plus en plus qualitatives et sensitives ! Les ascenseurs ont l’air de vouloir nous monter toujours plus vite, toujours plus haut. Certains voient grand en évoquant même des ascenseurs qui nous permettraient d’aller directement dans l’espace. De quoi lui ouvrir de multiples possibilités et nouveaux horizons !

LDV Studio Urbain
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