Les 5 Ponts : un lieu pour la réinsertion pour penser la ville inclusive ?
Depuis plus d’un an, le village solidaire des 5Ponts, géré par l’association Les Eaux vives, a ouvert ses portes sur l’île de Nantes. Au cœur d’un nouveau quartier d’habitations, il propose une série d’équipements (restaurant, hébergement, loisirs) à destination des personnes en difficulté sociale. Derrière ce projet, l’objectif est clair : créer une plus grande inclusivité et mixité en ville en favorisant la rencontre de différents publics et la création de liens avec l’ensemble des habitants et usagers du quartier.
Représentant un véritable lieu d’innovation sociale unique en France, quels enseignements pouvons-nous alors tirer d’un tel projet ? Peut-il inspirer les acteurs de la fabrique urbaine et les villes et nous permettre de construire des espaces et villes plus inclusives pour demain ?
Situation des personnes en difficulté sociale aujourd’hui
“Alors que 55% de la population mondiale est urbaine et que ce pourcentage est appelé à augmenter dans les décennies à venir, les villes font face à des défis économiques, écologiques et sociaux sans précédent.” Parmi ces derniers, la question des inégalités est de plus en plus mise en avant et touche un grand nombre de groupes minoritaires au sein de la population française (personnes handicapées ou précaires, femmes, populations immigrées, sdf…).À la rue ou en hébergement d’urgence, le nombre de personnes sans domicile fixe dépasse, à ce jour, les 300 000 parmi 4,1 millions de Français mal logés selon la Fondation Abbé Pierre.
Depuis le début de la crise sanitaire en France, la mise à l’abri des personnes sans domicile est devenue une priorité. Plus de 40 000 places d’hébergement ont été créées par le gouvernement.
Malgré le soutien de l’Etat et de la diminution des personnes vivant à la rue, les actions entreprises aujourd’hui restent insuffisantes. Chaque soir ce sont “4 000 appels au 115 qui se heurtent à un refus de prise en charge faute de place disponible, alors même que l’on sait qu’en général seule une personne à la rue sur cinq contacte le 115 le jour même”, mentionne le directeur des études de la Fondation Abbé Pierre. Encore aujourd’hui, sont recensées chaque année, 500 à 600 décès par an de personnes à la rue. En 2019, 659 personnes sont décédées selon le rapport du collectif des Morts de la rue.
Lorsque l’on sait qu’entre 2000 et 2016, entre 300 000 et 500 000 logements ont été construits chaque année (INSEE, 2021) et que la population augmente de 352 000 personnes par an, la possibilité de reloger les personnes sans-abri paraît donc réaliste si l’on réoriente une partie de ces logements sociaux vers ceux qui en ont le plus besoin.
En février 2022, les pays de l’Union européenne ont adopté un plan pour le logement visant un objectif de “zéro personne à la rue en 2030”. La Fédération européenne des associations nationales travaillant avec les sans-abri (Feantsa) estime à 700 000 le nombre de personnes dormant dans la rue, en hébergement d’urgence ou temporaire chaque nuit dans l’UE. “On va essayer de tendre vers zéro. On a toujours des gens qu’on n’aura pas récupérés. Mais il faut diminuer d’abord le nombre, et surtout raccourcir la durée où les personnes sont sans-abri, sans maison, sans logement”, a ajouté le commissaire européen aux droits sociaux Nicolas Schmit.
De nombreuses démarches contre le sans-abrisme sont également engagées par des associations et se développent en France. C’est le cas par exemple de l’association “Les Bureaux du Coeur” fondée à Nantes en par Pierre-Yves Loaec. Son objectif est de trouver des solutions temporaires pour loger les personnes en situation de grande précarité. Pour cela, l’association a eu l’idée de demander aux entreprises d’ouvrir leurs bureaux une fois vides, la nuit et le week-end. Par cette action, les personnes se retrouvant sans-abris, peuvent alors profiter d’un lieu chauffé et sécurisé, leur permettant de se reposer, de cuisiner et de se laver. Le cadre de l’entreprise permet également de créer un lien entre invités et salariés et aide les sans-abris à retrouver une dynamique sociale de qualité.
Cette action ne résout pas le problème du mal-logement, mais elle donne la capacité aux invités d’avancer véritablement dans leur vie et de sortir de la spirale de précarité.
Les 5Ponts : Lieu de vie solidaire et inclusif
Au regard de ces constats, les acteurs de la fabrique urbaine cherchent également à construire des villes plus inclusives, plus solidaires et à favoriser une réelle mixité dans les projets urbains.
L’ambitieux projet des 5ponts qui se construit depuis 2007 à Nantes, porté entre autres par l’association les Eaux Vives, la SPLA SAMOA et la Ville de Nantes, traduit bien cette volonté. Un projet soutenu et cofinancé par le Fond Européen de Développement Régional à travers l’Initiative Actions Innovatrices Urbaines pour son audace et sa créativité en matière d’innovation sociale.
Le projet les 5ponts correspond à ce qu’on appelle un village solidaire, consistant ici à répondre aux besoins spécifiques et complexes des personnes en situation de grande exclusion, sans domicile et personnes souffrant de handicaps psychiques et/ou physiques.
L’objectif est alors de faire cohabiter salariés, habitants et personnes sans domicile fixe, l’inclusion étant la finalité du projet.
Le programme immobilier ouvert en juin dernier, imaginé par l’agence d’architecture TETRARC, comprend un ensemble de trois immeubles disposant d’un accueil de jour et une halte de nuit ouverts en permanence pour les personnes sans abri, des logements mixtes (50 logements sociaux HLM et 21 en accession à la propriété), un plateau de bureaux pour les entreprises du secteur ESS, mais aussi une ferme urbaine, un café, un restaurant et un marché solidaire. Le tout regroupé autour d’une “place du village” couverte par des voiles. Jusqu’à présent, les services d’aide sociale étaient dispersés sur l’ensemble de la ville. Une situation qui ne permettait pas aux personnes bénéficiaires de se poser. Les 5ponts rassemblent aujourd’hui l’ensemble de ces services au sein du village et facilitent ainsi le suivi social des personnes dans le besoin.
Rendus attractifs par des prix légèrement en dessous du marché, les appartements se sont facilement et rapidement vendus. Les locataires comme les propriétaires sont évidemment en connaissance du projet. La “preuve qu’on peut fabriquer la ville différemment, de manière inclusive et collaborative”, déclare Johanna Rolland, maire de Nantes.
Il s’agit avec ce projet d’aller au-delà d’une simple mise à l’abri (services d’hébergement, de restauration, d’hygiène et d’accompagnement social). L’équipement des 5ponts se base sur les besoins et de la demande des personnes accueillies pour créer un lieu de partage qui permet à toutes et tous, de s’approprier les lieux, de participer à la vie de cet espace et ainsi de créer collectivement une société plus inclusive. “Les personnes sans-abri ou en situation d’exclusion cumulent les vulnérabilités : les réponses à leurs besoins doivent être transversales, adaptées à chacun et ancrées dans une dynamique collective” énonce l’agence de communication Gleech travaillant sur le projet 5ponts.
Ce projet constitue alors un véritable laboratoire de mixité sociale. “L’objectif c’est de créer un lieu où on accepte la différence. Où des personnes aux parcours de vie opposés se croisent au quotidien, se parlent, passent du temps ensemble […]. C’est fondamental pour balayer les idées préconçues et permettre que les situations des plus fragiles évoluent”, explique Denis Aftalion, président des Eaux vives Emmaüs.
Les 5Ponts : Aide réinsertion vie active
En plus d’un accompagnement social continu, le centre d’accueil des 5Ponts s’inscrit dans une dynamique de réinsertion des plus précaires.
L’association Les Eaux Vives expérimente dans le cadre du projet, un dispositif novateur pour faciliter l’insertion par l’emploi appelé “Premières heures”. Dans l’idée du Housing First, il est imaginé ici un concept de “Job first” dans lequel, certaines personnes accueillies par l’association peuvent bénéficier d’un travail adapté à chacune et chacun afin de les accompagner progressivement, à leur rythme, dans leur réinsertion professionnelle et en définitif, dans leur réinsertion dans la société.
Ce dispositif, qui a fait ses preuves, sera renforcé au sein du village des 5Ponts avec la possibilité de participer, au sein des espaces de l’association, au ménage, à la lingerie, en cuisine, au restaurant ou au café solidaire, ou encore à la ferme urbaine pour du maraîchage.
Concrètement, c’est un CDD sans condition d’embauche de quatre heures par semaine dans un premier temps, pouvant aller jusqu’à vingt-six heures en fin de contrat, dans lequel l’employé bénéficie d’un encadrement spécifique. “Si une personne arrive alcoolisée, par exemple, on l’acceptera quand même, mais on lui dira que ça pose un problème au niveau de la sécurité. Ces personnes peuvent avoir un besoin physiologique de boire de l’alcool à cause de leur addiction”, précise Christine.
Un système permettant également de redonner aux personnes isolées, une activité dont ils sont fiers, un objectif et une raison de se lever le matin. Sur les quarante personnes que l’association a employées en un an et demi avec ce type de contrat, une trentaine d’anciens sans-abri ont retrouvé un travail ou ont suivi une nouvelle formation.
Alors, qu’en est-il aujourd’hui et quels enseignements pouvons-nous en tirer pour demain ?
Ouvert il y a un maintenant plus d’un an, le projet montre quelques difficultés aujourd’hui pour se concrétiser. En effet, malgré la volonté de l’équipe d’encadrants d’établir un contact avec les autres habitants du quartier, les occasions ne sont pas encore nombreuses. La première raison réside dans le caractère provisoire de l’agencement actuel. Car Eaux vives est toujours la seule association à s’être installée. Un jardin urbain et un marché solidaire manquent encore à l’appel. La crise du Covid a eu une répercussion sur le projet, bousculant les plans de financement.
“Les serres du 6ᵉ étage du complexe sont donc encore vides. Tout comme la surface commerciale et les bureaux construits dans le village. À l’ouest, le chantier du futur hôpital universitaire sur l’île de Nantes renforce le sentiment d’un espace pas encore tout à fait habité.”
Seulement, plusieurs évènements se préparent actuellement pour faire se rencontrer les habitants du quartier. Le centre regroupe, chaque midi, soixante accueillis et salariés de la structure venus déjeuner dans le restaurant solidaire. Ils sont les seuls à pouvoir en profiter pour le moment, mais le restaurant va bientôt ouvrir ses portes au grand public. Les Eaux vives compte également onze personnes en temps partiel en contrat “premières heures”.
Ainsi, comme tout projet d’aménagement, un temps est nécessaire afin qu’il puisse se mettre en marche.
Ce qui est certain aujourd’hui, c’est que les villages solidaires permettent de changer le regard sur la manière de concevoir les villes et du vivre ensemble. Par leur concept de mixité et d’inclusivité, ces nouvelles formes d’habiter aident les personnes en situation de précarité à retrouver un environnement et une vie stable. Leur donner la possibilité de se loger, de travailler, de créer des liens, de se sentir inclus dans la société, dans leur quartier, c’est rendre possible la fin du sans-abrisme et l’exclusion sociale.