Les 1001 facettes des parcs linéaires
En apparence simple, cette forme de parc urbain se développe dans les villes du monde entier avec des ambitions et des applications très diverses. Souvent, ils sont le support d’une reconquête verte ou urbaine de sites contraints ou désinvestis, ayant pourtant un certain potentiel. Espaces verts aux multiples facettes, les parcs linéaires apportent ainsi, dans de nombreux cas, un renouveau urbain de grande ampleur et porteur de sens pour le territoire.
Voyageons à travers plusieurs projets urbains pour révéler la richesse de cet objet du paysage urbain, sans cesse réinventé, qui s’adapte au fil des contextes et époques pour répondre à des enjeux en constante évolution.
Faire (re)naître les aménités du territoire
La linéarité s’exprime en ville par la trame viaire, mais aussi paysagère. C’est d’autant plus vrai lorsque l’espace urbain est traversé par un cours d’eau ou bordé d’une côte maritime, comme un fil vert aux aménités naturelles déjà présent sur le territoire. Il s’agit alors de suivre la courbure des rives. Ces espaces naturels, souvent utilisés dans un premier temps comme des espaces fonctionnels pour la circulation maritime, les échanges et le développement de commerces ou d’industries, sont aujourd’hui des espaces en reconquête. Leur fonction récréative et leurs atouts sont alors de nouveau valorisés à leur juste valeur, faisant de ces endroits, de véritables opportunités pour le devenir des villes.
Ainsi, depuis plusieurs années, de nombreuses villes, dans le monde entier, aménagent leurs berges pour en faire des espaces publics attractifs, afin de donner aux habitants et usagers, un espace à s’approprier et à pratiquer. Et cela parfois même dans une logique ambitieuse de renouvellement d’image, comme cela a pu être le cas dans la capitale espagnole. Projet nécessitant un investissement conséquent, Madrid Rio se dessine le long des rives du Manzanares, autrefois peu investies, pour laisser place à un vaste espace dédié aux loisirs, avec des équipements ludiques et culturels. Désormais lieu incontournable de promenade pour les Madrilènes, les différentes zones proposent une expérience d’usage particulière, adaptée à chaque âge, des plus petits au plus grands.
Parfois, ces espaces naturels n’existent plus mais renaissent dans les mémoires par la présence de parcs qui en deviennent les ultimes témoins. Les anciens cours d’eau deviennent alors les colonnes vertébrales de nouveaux projets, comme cela a pu être le cas avec un ancien Grand Canal Aztèque, emblématique de l’histoire précolombienne de Mexico. Un projet qui vient épouser l’ancien lit pour dessiner un parc tout en longueur, qui propose différents équipements et espaces dédiés aux usages des riverains pour dessiner une artère où se détendre et respirer au coeur de la verdure, avec des mobiliers urbains permettant de se poser et des équipements sportifs proposant une pratique physique ludique en plein cœur de la ville dense.
Plus proche de nos univers urbains, en Île-de-France, l’ancien lit de la Bièvre se redécouvre pour faire renaître le cours d’eau qui avait été massivement pollué par les industries du XIXème siècle. Le destin de cette rivière de 33 km de long, en proche couronne parisienne, a été celui de disparaître de Paris à Antony. De 1870 à 1960, progressivement, la Bièvre a été recouverte et enterrée pour des raisons sanitaires. Depuis plusieurs décennies, le département du Val-de-Marne a mené une étude générale menée sur l’ensemble du parcours de la Bièvre pour évaluer les possibilités d’ouverture, menant à la création de différents tronçons de réouverture, afin de permettre aux habitants de se reconnecter à ce cours d’eau historique grâce à un nouvel aménagement paysagé.
Recréer du lien et apporter de la cohérence
Lorsque la linéarité n’est pas justifiée par un élément naturel, comme peut l’être un cours d’eau, alors se pose la question de la continuité. Dans les grandes villes, les coupures urbaines sont nombreuses : axes routiers, voie ferrée, ensemble bâti.. Véritable enjeu d’aménagement, elles viennent contraindre principalement les mobilités actives, qu’il s’agisse des piétons ou des vélos.
Comme l’expliquait l’économiste Frédéric Héran dans un article pour Enlarge your Paris, «la vitesse favorise une fonctionnalisation de l’espace qui génère de grandes emprises infranchissables». En effet, l’avènement de la voiture a contribué à l’explosion de ces coupures urbaines amenant une nouvelle échelle, inadaptée pour des pratiques de mobilités douces. La transformation des villes de ces dernières années, visant à réintroduire une pratique des déplacements doux, a donc eu comme enjeu de réduire ces espaces de fracture à contourner, parfois gigantesques. Espace de balades, boulevard apaisé pour le passage de tramway, le parc peut être un outil essentiel pour matérialiser cette volonté de basculement des usages de déplacements.
Autre contrainte à laquelle font face les villes dans leur expansion, c’est le manque d’homogénéité. Dans leur développement, des quartiers à l’évolution divergente peuvent alors se joindre et parfois, des disparités ou des fractures peuvent alors se créer. Les raisons sont multiples, mais elles ont un lien avec le décalage permis par une évolution à deux vitesses entre plusieurs morceaux de ville. Les métropoles du Sud sont particulièrement concernées, avec des différences sociales plus marquées, mais il est aussi possible de rencontrer ces fractures dans nos villes en pleine transformation. Pour répondre à cet enjeu, la cohérence est à reconstruire.
Le parc devient alors un fil vert qui offre une proposition urbaine flexible, d’une part grâce à la cohérence du végétal capable de s’inscrire dans des contextes variés, d’autre part à travers la possibilité d’initier une palette d’appropriations variées dans un usage de parc urbain à la définition vaste. Ainsi, cette forme linéaire rend possible des jonctions entre différents espaces. À Copenhague, le célèbre Superkilen, propose justement, malgré sa linéarité, trois univers distincts pour proposer des équipements favorisant plusieurs usages : une zone rouge pour le sport avec un mobilier issu du monde entier, des lignes ondulées pour « salle de séjour urbaine » dédiée à rassembler les habitants et un « parc vert » proposant des pelouses et du relief pour de l’activité sportive de plein air.
Ce principe de linéarité ponctuée par des séquences est celui qui a été choisi pour le parc linéaire de la ville Rillieux-la-Pape. Pour ce parc qui traverse intégralement d’Ouest en Est cette commune de la métropole lyonnaise, il s’agit de créer un lieu de vie central qui permettra de faire le lien entre les différents espaces de la ville, tout en rythmant cette continuité paysagère par un découpage en 5 séquences. Chaque zone possède des vocations bien spécifiques autour d’usages distincts, tels que le sport, la culture, le loisir ou l’agriculture urbaine. Un parfait exemple des possibilités qu’offre la forme linéaire, venant tisser une continuité permettant de lier des quartiers aux spécificités propres et d’atténuer les fractures urbaines, tout en établissant des jonctions porteuses d’usages et d’ambiances adaptés aux quartiers traversés.
source : Ville de Rillieux-la-Pape
Une reconquête verte des interstices urbains pour une revitalisation du territoire
“La meilleure façon de conserver le patrimoine, c’est de s’en servir” affirmait l’architecte italien Camillo Boito. Certains parcs urbains linéaires ont vu le jour de cette manière, en donnant sens à un patrimoine existant qui n’était plus investi. Comme les cours d’eau, les anciennes infrastructures sont souvent des traces structurantes des villes. Cependant, le défi est parfois de taille, car contrairement aux paysages qui font l’évidence d’une reconquête verte, les voies de chemin de fer ou anciennes routes artificialisées proposent, elles-aussi, une linéarité à investir qui implique néanmoins un travail d’appropriation et d’identité.
À Chicago, la Bloomingdale Line s’est transformée en espace vert, alors que dans les années 1990 le trafic ferroviaire ralentissait pour finalement prendre fin. La mutation des quartiers le long de la ligne, de lieux industriels à résidentiels, a changé les besoins. Au fil des années, la voie ferroviaire est devenue une friche végétale, des arbres ont poussé entre les voies et les plantes ont investi les espaces libres. Dans les années 2000, la Bloomingdale Line devient un sentier de nature agréable, avec une vue inédite sur la ville. En 2003, plusieurs réunions publiques ont lieu pour faire de cet espace un des parcs de la ville avec une réutilisation ambitieuse de cet ancien corridor ferroviaire industriel. En 2015, la ville de Chicago en fait un parc linéaire surélevé qui offre une respiration végétale indispensable pour ce cadre de vie où les espaces verts se font rares.
Pour la ville de Miami, ce sont les dessous de la ligne de métro qui sont réinvestis. Véritable projet, à la fois d’infrastructure et d’image, The Underline a été développé comme une marque pour proposer une identité propre à ce contexte donnant alors une nouvelle dimension à cette infrastructure aérienne en investissant les emprises au sol pour créer un parc support d’usages. Plus qu’un simple parc, The Underline porte l’idée de passerelle entre les quartiers de Miami et les communautés d’habitants de chacun d’eux, pour offrir des espaces pertinents en fonction des besoins locaux. L’idée est de créer une colonne vertébrale sociale et de mobilité active, pour relier pleinement les habitants entre eux et à leur environnement naturel local. C’est aussi l’ambition d’accompagner un vaste projet de prise de conscience des enjeux écologiques et d’apporter une réponse concrète au changement climatique.
La linéarité, des particularités riches en réponses
Les parcs linéaires peuvent donc apporter une revitalisation selon les besoins et créer, ou mettre en cohérence, des espaces disparates à rassembler, dans une logique de cohésion urbaine, sociale et environnementale. Ils sont aussi des leviers d’usages et de transformations de pratiques, surtout pour les mobilités actives, proposant des univers facilitateurs. Au cœur de ces projets, se joue donc le lien entre les habitants et leur quartier, entre les citoyens et leur environnement, que cela soit autour d’expériences urbaines, des aménités du site, des changements de comportement ou encore de la mémoire collective.
Ce lien fait sens à toutes les échelles, de la ruelle verte à Montréal avec une approche micro-locale de renaturalisation par les riverains, à des projets plus vastes comme l’ancienne voie ferrée reliant Singapour à la Malaisie, devenue the Rail corridor qui traverse la Cité-Etat du Nord au Sud, pour connecter différents espaces culturels et naturels dédiés aux habitants. Vecteurs de liens et fédérateurs, ces parcs linéaires sont une source d’inspiration pour la transformation de nos villes. Tout l’enjeu est de rendre possible leur déploiement pour apaiser les différentes fractures des espaces urbains et tisser des réseaux d’usages diversifiés, afin d’accompagner la transition des villes de demain.