L’éloge de la pluie et de la boue

7 Juil 2021 | Lecture 3 minutes

Et si l’eau en ville n’était plus une contrainte à canaliser mais une source de bienfaits et de plaisirs ? Rompant avec l’image d’Épinal de la carte postale ensoleillée, de plus en plus de villes pluvieuses réinventent leurs aménagements urbains et leur marketing pour faire de la pluie un élément central de leur urbanité.

Vous êtes-vous déjà demandé ce qu’il advient des eaux de pluie à Paris ? Pour la plupart, elles rejoignent le tout à l’égout, un réseau unitaire mis en place par Eugène Belgrand à l’époque haussmannienne. Et comme le résume de manière un peu caricaturale l’urbaniste hydrologue Christian Piel : « En gros, quand il pleut à Paris, on pollue les milieux naturels. » L’affirmation peut sembler étonnante, elle mérite qu’on la développe un petit peu.

Un problème de plomberie

Certains d’entre vous ont peut-être eu la chance de visiter les égouts de Paris (les autres peuvent aller au musée des égouts près du Pont de l’Alma). Ils ont découvert un vaste réseau de galeries qui reproduit en sous-sol les rues de la capitale. Pensés d’après les théories hygiénistes, ils sont conçus pour collecter toutes les eaux et ne plus souiller la ville. Car auparavant, les eaux de pluie stagnaient dans la rue et les eaux usées étaient évacuées vers la campagne par des hommes latrines. Eugène Belgrand élabore donc un réseau hiérarchisé, collectant les eaux des habitations et les acheminant vers un réseau structurant qui les rejette en aval de la Seine.

Or le réseau d’égout est unitaire, c’est-à-dire qu’il mêle eaux usées et eau de pluie. Par temps sec, les eaux usées coulent dans les égouts et sont traitées dans des stations d’épuration comme celle d’Achères qui centralise aujourd’hui 60% des effluents urbains franciliens. Par temps de pluies, toutes les eaux convergent en même temps vers ces stations en bout de chaîne, au risque qu’elles ne parviennent plus à traiter toute l’eau qu’elles reçoivent. Dans ce cas, elle doit alors rejeter l’excédent. La formule prend alors tout son sens : quand il pleut, on pollue…

Le plan pluie

Les théories hygiénistes, la création des égouts puis la bitumisation des rues ont imperméabilisé la ville et diffusé l’idée que la pluie et l’eau en général était une nuisance à collecter et évacuer. Mais ces dernières décennies, un changement de paradigme s’est opéré dans la gestion des eaux pluviales. L’idée est désormais de les capter à la source – c’est à dire là où elles tombent – et d’éviter qu’elles ne rentrent dans le réseau d’égouts. Cette pirouette est lourde de sens, l’eau de pluie qui ne rentre pas dans le réseau ne devient pas un déchet, elle peut alors être considérée comme une ressource.

C’est l’enjeu du plan ParisPluie mis au point par la capitale en 2018. Nicolas Londinsky, adjoint du chef de service de l’eau et de l’assainissement de la ville de Paris détaille son fonctionnement lors d’une table ronde organisée par le CAUE de Paris sur la valorisation de l’eau de pluie. « La ville a approuvé un zonage pluvial, c’est un outil réglementaire majeur qui permet d’assurer une meilleure gestion à la source dans tous les projets d’aménagements de la ville. Le principe est d’absorber les petites pluies qui représentent 80% des pluies parisiennes, plutôt que d’essayer de contenir les grosses pluies exceptionnelles. » De cette façon, il estime que les rejets peuvent être divisés par 10.

Créer la trame bleue

« Pour notre réseau, le prochain saut qualitatif est de permettre la baignade dans la Seine. Cela implique de mobiliser fortement à l’échelle métropolitaine afin de réduire drastiquement les déversements d’eaux usées pour réduire la bactériologie de la Seine. Les Jeux Olympiques et Paralympiques sont un véritable accélérateur pour atteindre cet objectif et permettre une baignade pérenne. »

Pour Christian Piel, présent à la table ronde, ParisPluie est un plan majeur qui inspire de nombreuses collectivités en France et ailleurs. «  On est passé d’une gestion très génie civil à une gestion écologique », explique-t-il. « Plutôt que de créer une ville avec des impacts et de les compenser par des ouvrages, on va créer une ville qui n’est pas impactante. » Une ville qui grâce à sa végétalisation accrue est plus spongieuse. Depuis les toitures, l’eau descend ensuite dans des noues, puis rejoint des parcs de pleine terre au cœur des îlots. Ainsi, elle peut s’infiltrer dans les sols, ou s’écouler bien plus lentement que sur du bitume ce qui réduit le débit qui circule dans les égouts.

Les calculs sont bons

Les bienfaits d’une telle approche sont bien connus, outre la réduction des pollutions liées aux rejets d’eaux usées, il s’agit de la lutte contre les îlots de chaleur ou l’amélioration de la biodiversité. La captation des eaux de pluie permet également des économies en eau courante, notamment pour les sanitaires, l’arrosage et le nettoyage. Les budgets sont également mieux utilisés puisqu’un aménagement de collecte des eaux de pluie bénéficie également aux espaces verts, à la santé publique, parfois même à l’agriculture urbaine, à l’emploi local ou aux écoles.

C’est le cas notamment depuis la mise en place du programme cours Oasis dont nous vous parlions ici. Initié en 2017 par la Mairie de Paris, il entend désimperméabiliser les cours de récréation. Sur les 600 établissements de la capitale, une cinquantaine a déjà été transformée, 125 pourront l’être d’ici 2024 ce qui représente 12 hectares. Christian Piel cite d’ailleurs l’exemple du futur quartier Bercy Charenton qui intègre pleinement ces problématiques au point de ne plus craindre la crue centennale de Paris. Avec les aménagements spécifiques, tous les usages de la ville (commerces, bureaux, habitats) pourraient se maintenir malgré la crue exceptionnelle.

Dans un établissement scolaire du 15ème arrondissement, la cour de récréation a été aménagée pour permettre à une petite rivière de s’écouler – CAUE de Paris/Facebook

Vive les bottes, vive la boue !

Ce changement de regard existe aussi dans les pays du nord, comme le raconte le Guardian. À Göteborg en Suède, la municipalité a sollicité l’artiste et designer Jens Thoms Ivarsson pour réfléchir à une façon de valoriser la pluie. « L’agence de tourisme s’entête à vendre des photos de Göteborg ensoleillée, même s’il y pleut 40% du temps » relève ce dernier. « Ils essaient de fermer les yeux sur le fait que la ville soit pluvieuse car ils voient cela comme un aspect négatif ». L’artiste a donc développé une panoplie d’aménagements publics ludiques mettant en scène la pluie et l’eau.

Illustration du projet Rain Gothemburg dans une cour d’école en Suède – Link Arkitektur

Le terrain de basket pourra se transformer en petit lac, ici l’entrée d’un local technique génère une cascade, là-bas des petits rochers suggèrent des icebergs. Au milieu, une petite rigole serpente doucement et permet aux enfants de patauger. C’est un nouvel imaginaire de la ville, du jeu et de l’eau qui se déploie ainsi. Une seule condition, accepter de mouiller un peu la chemise.

Usbek & Rica
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