L’économie sociale et solidaire
Face à la seule logique du marché et à l’élimination des structures collectives, dans une société où le pouvoir d’achat ne progresse plus, où les inégalités s’accroissent et où la classe moyenne vit dans la peur du déclassement, l’économie sociale et solidaire constitue une alternative pour nombre de jeunes, souvent très diplômés, qui cherchent à donner du sens à leur vie et à changer le monde à travers des projets parfois modestes, mais concrets et efficaces.
Leur envie d’entreprendre et de faire (les « makers ») s’appuie sur un engagement citoyen et un désir de partage, mais ne repose pas que sur le bénévolat. À la différence d’actions purement philanthropiques, ils cherchent un modèle économique viable et pérenne.
Les outils numériques et le développement de l’économie collaborative leur servent à créer des communautés d’usage locales et à travailler en réseaux. Dans certains cas, ils peuvent être des « accélérateurs de territoire ». Cette dimension entrepreneuriale pose d’ailleurs la question de la limite entre l’économie sociale et solidaire (ESS) et l’économie marchande (Amap versus Uber) mais elle montre aussi que l’ESS peut être un modèle pour l’économie de demain.
Parmi les nombreux champs d’action de l’ESS, l’urbanisme transitoire offre un modèle vertueux qui crée de la valeur humaine et sociétale et résout des problèmes auxquels les villes, aménageurs et urbanistes ne savent pas bien répondre. En gérant une friche pendant la durée de son réaménagement ou en occupant des rez-de-chaussée vacants jusqu’à ce qu’un commerce durable puisse s’y installer, les porteurs de projets temporaires installent la vie avant son occupation définitive. Ils proposent de l’hébergement d’urgence, de la réinsertion, des locaux pour des jeunes entreprises ou pour des artistes, associent les habitants à l’élaboration du projet et leur permettent de s’approprier le site.
Quand on connaît l’extrême difficulté de construire une ville vivante et qui offre toutes ces dimensions – ce que le XXe siècle n’a pas su faire – on se dit que cet urbanisme « temporaire » pourrait être un modèle. Sa dimension temporelle est fondamentale. Nous disons depuis longtemps que le projet urbain doit porter à la fois sur l’espace et le temps mais nous n’arrivons pas à le faire faute d’acteurs efficaces dans ce domaine. On a enfin des gens qui gèrent le « temporaire », « le temps intermédiaire » entre le projet et sa réalisation finale parfois très lointaine (et aussi l’usage temporaire des rez-de-chaussée… – voire même de tous les bâtiments – désormais réversibles !). Le renouvellement urbain est la loi éternelle de la ville : démolition partielle, reconstruction (substitution à différentes échelles et éléments de permanence)… C’est l’équivalent de la « destruction créatrice » de Joseph Schumpeter, laquelle doit être accompagnée d’un soutien social (formation, allocation chômage…). La destruction créatrice de la ville c’est sa capacité permanente de développement, de modernisation et d’innovation. C’est la clé de sa résilience et pour que cela marche il faut l’accompagner d’un soutien social et économique : c’est le rôle de l’économie coopérative, collaborative et solidaire. C’est aussi celui de l’économie circulaire (les ressources circulent et ne sont pas détruites). C’est la gestion responsable du processus temporel que ces jeunes entreprises préfigurent : l’avenir est dans le squat !
Christian DEVILLERS – Architecte / Urbaniste
©Barbara Grossmann
Eléments initialement présentés dans l’exposition « Décloisonnons la ville ! » à la Cité de l’architecture & du patrimoine, du 30 janvier au 11 mars 2019. Plus d’informations dans le catalogue de l’exposition.