L’économie collaborative des nouveaux services de restauration : Un renfort pour l’urbanité ?
Il y a un peu plus de deux semaines, Uber lançait sa nouvelle offre baptisée UberEats. La société qui avait il y a quelques mois défrayé la chronique à l’occasion de son affrontement avec les taxis parisiens, qui remettaient en cause la légalité et l’éthique de leur offre UberPop, revient sur le devant de la scène pour frapper un grand coup.
Cette fois-ci, on ne parle plus seulement de transports de personnes, mais de livraisons de repas. La société de voitures de tourisme avec chauffeurs professionnels mise donc sur un nouveau service consistant à se faire livrer en quelques minutes un plat cuisiné par un restaurateur, et ce grâce à la même application dédiée à la réservation d’un VTC. D’abord testé aux Etats-Unis dans une dizaine de villes, UberEats débarque donc en France dans certains quartiers de Paris, comme le 8e, le 1er, le 2e ainsi qu’une partie du 9e arrondissement.
Bien que la médiatisation de la marque américaine fasse irrémédiablement parler d’un tel concept, il n’est pas vraiment novateur puisque la livraison à domicile existe depuis bien longtemps. Cependant depuis quelques temps, de nouvelles startups se sont lancées sur le marché vous proposant de vous livrer non plus seulement des pizzas, sushis, ou autres burgers, mais toute une série de repas très variés puisque provenant de vos restaurants préférés.
Pour revenir à Uber, la démarche employée surfe avant tout sur la vague très prolifique du gagnant-gagnant : gagnant pour l’entreprise américaine, puisque les heures de déjeuner et de dîner sont une période creuse pour le transport de personnes et gagnant pour les restaurateurs puisque ce sont de nouveaux clients, qui bien que pressés par le rythme de leur journée, peuvent profiter de leurs services tout en restant à leur bureau. Néanmoins, même s’il est pris en charge par de nouveaux acteurs économiques non dédiés originellement à la livraison, ce nouveau modèle ne fait que reproduire un service déjà existant, à savoir celui de la sous-traitance de la livraison de produits par une autre entreprise.
Quand le crowdsourcing urbain se met au service de nos papilles
Là où se situe vraiment l’innovation, et où les codes sont vraiment bousculés, c’est lorsque tout un chacun peut être mis à contribution d’un service marchand, autrement dit, lorsque l’économie devient véritablement collaborative. UberPop avait innové en ce sens en proposant à des conducteurs occasionnels particuliers d’effectuer des courses pour lesquelles ils étaient rémunérés. Mais face à un secteur bien trop encadré, la compagnie américaine s’était brulée « les roues » …
Mais dans un secteur moins codifié que celui de la livraison de repas, la brèche pouvait s’ouvrir plus facilement pour la mobilisation des foules. Tok Tok Tok, une plateforme qui fait appel à des « personal runners », pour aller faire la queue dans les magasins, ou dans les restaurants, pour vous livrer directement à votre domicile, l’a bien compris. C’est d’ailleurs le cas de bien d’autres startups basées sur le même modèle : TakeEat Easy, ou encore Deliveroo.
Lancé en 2011, Tok Tok Tok vous permet donc de vous faire livrer à n’importe quelle heure le repas que vous souhaitez, en fonction de la disponibilité du restaurant désiré. Et pour cela, rien de plus simple pour Tok Tok Tok, puisque c’est bien tout un chacun qui peut, au lieu d’aller à la salle de sport le soir venu, se prendre une heure pour se transformer en personal runner. Que vous soyez, plutôt vélo, skate ou courses à pied, le service rendu pour votre client sera le même, tant que vous assurez une livraison dans les délais prescrits sur le site internet de Tok Tok Tok.
Bien entendu, ce service de pair à pair est régi par une interaction financière. Votre personal runner veut bien vous chouchouter mais à condition qu’il soit rémunéré, une rémunération qu’il obtient donc grâce au repas qu’il livre à un particulier. Une nouvelle bonne manière d’arrondir ses fins de mois tout en faisant un peu de sport !
Satisfaire nos papilles tout en s’ouvrant à de nouvelles expériences sociales
Mais si vous n’êtes pas très sportif, que vous avez tout autant l’envie de mettre un peu de beurre dans vos épinards, que la cuisine vous passionne et que vous n’êtes pas contre l’idée de rendre service autour de vous, surtout lorsque c’est à destination d’internationaux, rassurez-vous, vous pourrez vous aussi goûter aux nouvelles joies de l’économie collaborative.
Fondé en juillet 2014, VizEat permet aujourd’hui aux voyageurs de se faire « inviter » chez un habitant local, afin de partager un repas préparé par le cuistot amateur du soir ! Pour Jean-Michel Petit, co-fondateur, avec Camille Rumani, de la start-up parisienne, « le premier réseau social n’est pas Facebook, mais bien la table! ». Slogan étonnant mais optimiste lorsque l’on voit comment l’interaction des urbains est de plus en plus gérée par internet. Mais l’intention est sincère pour la startup qui vient de conclure un partenariat avec AirBnB (dans le cadre du Airbnb Open, les hôtes VizEat parisiens recevront à diner chacun chez eux quelques uns les 6 000 meilleurs hôtes Airbnb du monde entier). Car une condition est fixée, pour devenir hôte et choisir le prix de son menu : l’hôte doit partager le repas avec les invités, afin que l’expérience de partage et de rencontre soit complète.
L’économie collaborative pour susciter de l’activité chez ceux qui ne se sentent pas d’évoluer dans le monde de l’entreprise
Au contraire si vous êtes plutôt timide, mais que la seule expérience de cuisiner pour les autres vous suffit pour arrondir vos fins de mois, l’opération lancée par le restaurant éphémère IJburg Serveert vous plaira sûrement. Les 11, 12 et 13 septembre derniers, sur l’île artificielle de IJburg, située sur les bords d’Amsterdam, les habitants, jusque là rôdés à la pratique du partage de repas, grâce notamment au site internet Share Your Meal, ont pu profiter, depuis leur domicile, de repas préparés par Maybel, Astrid, Jennifer, Sita, Jolanda et Marjan, six cuisinières amatrices. Livrés par vélos, les quelques habitants de IJburg qui ont profité de l’opération spéciale ont donc savouré de très bons repas “faits maison” !
Là encore donc, le circuit court est à l’honneur dans la ville, et alimenté par les particuliers eux-mêmes, qui reçoivent une rémunération pour ce service rendu. Néanmoins ce que l’on peut remarquer dans cette nouvelle forme d’économie collaborative mettant au coeur de son dispositif le crowdsourcing urbain, c’est que le territoire lui-même, et par delà ses habitants, sont considérés comme une ressource dont on réussit à tirer des bénéfices. Certes le dispositif déployé est avant tout gagnant pour tout le monde, mais c’est un fait, l’action est déployée avec l’objectif de tirer profit de nouvelles ressources auxquelles on ne pensait pas auparavant en faisant fi de l’environnement économique des alentours.
Quand l’économie de partage vient en renfort de l’urbanité
Un autre modèle est cependant à l’œuvre, de façon bien moins étendue, mais dont il faudrait peut-être tirer quelques enseignements. Ce modèle, c’est celui employé par un hôtel qui avait été développé dans le quartier Transvaal à La Haye aux Pays-Bas. Cet hôtel imaginé par l’équipe d’architectes RAL2005 en coopération avec des artistes et des entrepreneurs locaux a profité de l’excédent d’emplacements vides dans un quartier marqué par la régénération urbaine et le renouvellement, pour y installer des chambres d’hôtel séduisantes un peu partout.
Les services de l’hôtel – comme le restaurant, le bar ou un magasin – ont de plus été assurés par des commerçants locaux du quartier lui-même. Ainsi les rues du quartier tout entier sont devenus les couloirs de l’hôtel et sa population est devenue le cœur vivant de l’hôtel. Cet hôtel qui a existé pendant plus d’un an et demi a influencé de manière très positive le processus de renouvellement urbain et de dynamisme du quartier.
Cette nouvelle économie collaborative basée sur le système de l’échange et du partage de pair à pair, pourrait donc franchir une nouvelle étape et ainsi étendre son champ d’action jusque essentiellement marqué par l’aspect économique. Autrement dit l’économie collaborative influençant directement ou indirectement la revalorisation de secteurs en besoin de redynamisation, pourrait alors ouvrir la voie vers ce qu’on appellerait la ville collaborative. En résumé, la ville collaborative au service de la ville elle-même…
A suivre…