L’économie collaborative à la conquête de Cuba

Ville multicolore. Crédits : Bud Ellison sur Flickr
1 Oct 2015

Face à la hard law d’un territoire à forte valeur potentielle comme Cuba, l’économie collaborative semble la plus à même de passer entre les mailles du filet.

Avec le dégel des relations diplomatiques entre Cuba et les Etats Unis, ainsi que la libéralisation progressive de l’économie de l’île, c’est un nouveau monde qui s’ouvre pour le plus grand territoire des Caraïbes… et un eldorado d’investissement pour les entreprises du reste de la planète. Or, dans ces premiers mois cruciaux pour la conquête concurrentielle, certains géants de l’économie collaborative à l’image d’Airbnb semblent avoir déjà conquis leur public.

Reflets de cubanités. Crédits : Jordi Martorell sur Flickr

Reflets de cubanités. Crédits : Jordi Martorell sur Flickr

Il n’est un secret pour personne que les régimes cubains de la fin du XXe siècle ont placé l’île dans une certaine autarcie économique, mais également technologique. Le récent processus de libéralisation orchestré par Raul Castro se veut mesuré pour une transition “plus à la chinoise qu’à la russe”. L’auto-entrepreunariat pensé par le leader cubain s’organise autour de deux cents professions, d’horloger à cuisinier, en passant par « remplisseur de briquet à gaz ». Pour l’heure, pas de cabinet d’architectes ou d’avocats, pas de véritables hôtels ou restaurants. Des lois qui évolueront certainement dans les prochaines années, mais on le sait, le temps juridique est infiniment plus long que le flexible business tel qu’on le connait. Autrement dit, les acteurs étrangers ont tout intérêt à s’implanter sans tarder, et la seule concurrence qu’ils rencontreront sera celle qu’ils connaissent déjà sous d’autres latitudes. Le 22 juillet dernier s’est d’ailleurs tenue une réunion à huis clos à la Maison Blanche, relate Libération d’après le quotidien espagnol El País, en présence des chefs d’entreprise, membres de think tank et lobbyistes les plus influents du pays. Le mot d’ordre y était clair : « N’attendez pas la levée de l’embargo, allez à Cuba et infiltrez-vous dans les failles légales ». Dès lors, quoi de mieux que le commerce collaboratif pour se glisser dans l’étau ? Quoi de mieux qu’un modèle qui donne déjà des sueurs froides à nos propres législateurs ?

C’est dans ce cadre idyllique pour le tourisme et idéal pour le business qu’Airbnb est en passe de tirer son épingle du jeu. Avec déjà plus de deux mille annonces de « casas » cubaines proposées sur son site, l’île a toutes les chances de devenir la destination numéro 1 d’Amérique Latine pour la compagnie immobilière. Normalement, seules 12 catégories de personnes (journalistes, humanitaires…) sont autorisées à séjourner à Cuba, mais là encore, les intéressés apprennent à contourner la loi. Mais si le timing est parfait, le terrain demeure délicat : Cuba reste une île quasiment dépourvue d’internet, et aux règlements financiers exclusivement en espèces (qui plus est, compartimentés en deux monnaies distinctes). Comment alors orchestrer les échanges sur un tel marché ? Plus encore, comment appliquer un modèle logiquement permis par internet et la dématérialisation ? C’est ce que nous allons tenter d’analyser grâce à la percée d’Airbnb, semble-t-il déjà réussie. Schéma d’une infiltration réussie, avec une longueur d’avance qui sera encore ressentie dans plusieurs années.

Règle 1 : Des grands sabots dans des chaussettes de velours

Quand Airbnb envoie ses premiers agents à Cuba prendre la température, elle sait que l’image initiale qu’elle donnera – que ce soit aux propriétaires, aux gestionnaires actuels du marché ou aux autorités – sera primordiale pour la suite de ses opérations. Se montrer pédagogue avec les premiers, partenaires avec les seconds, respectueux et inespérés aux yeux des troisièmes. C’est la raison pour laquelle la compagnie californienne s’est principalement appuyée sur les entrepreneurs locaux (agences de location), au détriment de son esprit « de particulier à particulier ». Aussi, tout en montrant patte blanche devant le régime Castro, Airbnb sait très bien que ses recettes se feront sur le grand nombre de touristes ne faisant pas à l’origine partie des douze catégories autorisées, mais qui auront tout de même passé la frontière. Là-dessus, Jordi Torres, directeur d’Airbnb chargé de l’Amérique Latine, assure que « Ce ne devrait pas être le cas. ». Allons donc…

Ville multicolore. Crédits : Bud Ellison sur Flickr

Ville multicolore. Crédits : Bud Ellison sur Flickr

Règle 2 : Accepter les mœurs…

Parvenir à se faire accepter par une population passe aussi par l’adaptation aux pratiques locales. À titre d’exemple, à Cuba, les gens  paient en liquide. Du fait de l’embargo, les systèmes comme Visa ou Payal n’existent pas sur l’île. Airbnb a donc dû trouver la bonne parade, entre des touristes qui ne connaissent pas les règlements en liasses de billets et une population locale inaccoutumés aux autres moyens de paiement. Pour cela, la compagnie passe par une agence intermédiaire basée à Miami, afin de matérialiser les sommes versées par les touristes en monnaie fiduciaire, pour les transférer ensuite vers l’île.

Règle 3 : … et savoir en tirer profit

Il faut dire que si certaines habitudes peuvent compliquer la fluidité des échanges, d’autres font de Cuba une terre promise au commerce collaboratif. Entre la chute de l’URSS et l’embargo américain, Cuba a longtemps connu des privations de ressources qui l’ont obligé à appliquer une politique d’économie d’énergie, finalement assez proche de la nôtre ; de là également lui est venue cette recyclage d’objets du quotidien. C’est un parallèle intéressant avec la société occidentale qui, confrontée à cette même problématique, a vu se réveiller l’économie collaborative. Par ailleurs, d’un point de vue communicationnel, il y a de bonnes marges de manœuvre en s’appuyant sur l’existant ; ainsi, nombre de propriétaires cubains ont découvert l’existence d’Airbnb par l’intermédiaire des « paquetes », petits fichiers informatiques illégaux contenant des téléchargements divers (films, musiques, actualités…) troqués au marché noir et amplement répandus sur l’île.

Casa cubana. Crédits : Bud Ellison sur Flickr

Casa cubana. Crédits : Bud Ellison sur Flickr

Règle 4 : Le modèle plus fort que la technologie

Les petites annonces entre particuliers n’ont pas attendu ebay ou le bon coin pour s’agrafer aux panneaux des villes. Il est important de rappeler qu’internet est juste un moyen plus simple, plus vaste pour l’économie collaborative, mais ce n’est certainement pas le seul. C’est là peut-être l’un des rares bémols d’Airbnb sur ce terrain : ne pas avoir trouvé une parade générale à la pénurie internet cubaine, à la connectivité estimée entre 3 et 5% de la population et extrêmement chère. Conséquence directe : des échanges très limités entre locataires et propriétaires, des relations gérées par la famille ou les amis à l’extérieur de l’île, ainsi que d’innombrables emails non pris en compte à temps. Notons toutefois que les propriétaires en sont souvent les grands perdants, car l’offre de casas cubaines demeure pour l’heure supérieure à la demande.

Règle 5 : Se démarquer de la concurrence

Faire la différence avec les autres acteurs, c’est avant tout savoir satisfaire ses clients mieux que quiconque. C’est principalement sur ce point que le statut de « plateforme communautaire » et non d’entreprise d’Airbnb va être un atout à Cuba. Car dans un système économique initial où la location chez l’habitant s’avérait fortement coûteuse pour le propriétaire (modèle des « casas particulares » taxé par l’Etat), l’offre alternative d’Airbnb se montre imbattable. De plus, à la différence des autres sites d’annonces similaires, Airbnb inclut un acompte en cas d’annulation, ce qui le rend plus attractif pour les propriétaires. Côté demandeurs, le géant californien n’a pas froid aux yeux quand il s’agit de faire sensation, à l’image de son annonce du 20 juillet dernier :

To our guests who booked trips to #Cuba this week, good news: We’re celebrating the embassy re-opening and your stay is on us!

— Airbnb (@Airbnb) 20 Juillet 2015

« A tous nos utilisateurs qui ont réservé des voyages à #Cuba cette semaine, bonne nouvelle : nous fêtons la réouverture de l’ambassade et votre séjour est pour nous ! »

 Pour aller plus loin :

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