Le WIP, laboratoire de la ville circulaire
Ouvert en Octobre 2018, La Grande Halle, ancien atelier électrique de la Société Métallurgique de Normandie à Colombelles, représente le symbole de l’histoire industrielle de la ville. Jusqu’alors inutilisée, celle-ci devient aujourd’hui un tiers-lieu circulaire, citoyen et coopératif, où foisonnent les initiatives créatives.
Processus innovants à l’image de la permanence architecturale, lieux infinis, réemploi des matériaux de chantier, sobriété énergétique, réactivation patrimoniale et bien plus encore : le WIP constitue un laboratoire fascinant de la ville de demain.
Le WIP, le symbole d’une histoire de territoire
En banlieue nord-est de Caen dans le Calvados, la ville de Colombelles est en train d’écrire une nouvelle page de son histoire. Pendant plus de 76 ans, en plein cœur de la ville, la Société métallurgique de Normandie (SMN) a fait vivre tout un territoire. Ouverte en 1917 et établie sur plus de 160 hectares sur le plateau de la ville, l’usine employait au plus fort de son activité environ 6000 personnes. Les nombreuses cheminées, halles et voies ferrées sont venues profondément transformer le paysage urbain de la ville. Mais plus largement c’est également toute la ville qui s’est développée autour de ce cœur industriel. Plusieurs quartiers d’habitations se sont peu à peu bâtis autour de l’usine pour loger les ouvriers, et des équipements ont été construits pour développer une vraie vie de village. L’usine a, par ailleurs, amplement contribué à la reconstruction de la ville suite aux bombardements de la Seconde Guerre mondiale.
Mais à partir des années 60, le rythme de production s’essouffle, et l’usine perd peu à peu ses ouvriers et son prestige. Elle ferme ses portes en 1993, laissant derrière elle 160 hectares de friche industrielle au sol pollué, mais aussi plus largement la ville de Colombelles, appauvrie par la disparition des taxes. Une question reste alors en suspens : comment transformer cet espace pour qu’il engendre de nouvelles dynamiques pour la ville ?
D’une mémoire ouvrière à une mémoire collective
Telle est l’ambition portée par le projet de requalification et plus particulièrement l’équipe du WIP. De l’ancien site industriel, il ne reste aujourd’hui que deux traces : une tour de refroidissement et la grande halle. Les 160 hectares de l’usine ont, en effet, à partir des années 2000 peu à peu été dépollués pour accueillir de nouvelles activités. En périphérie Ouest, plusieurs zones économiques se sont déployées afin de créer de nouveaux pôles d’excellence sur le territoire. Au nord du site, c’est la ZAC Jean Jaurès qui s’est créée et qui à terme accueillera 850 habitants. Plus incongru, au cœur de la zone, une ferme de panneaux solaires a pris place. Elle est aujourd’hui la plus grande ferme de France en milieu urbain avec près de 29 000 modules photovoltaïques répartis sur une vingtaine d’hectares.
C’est donc un nouveau paysage qui s’est peu à peu constitué, effaçant progressivement les traces de ce passé industriel qui a fait vivre la ville, et plus largement le territoire, pendant plusieurs décennies. La question de réhabilitation des derniers vestiges physiques du site, à savoir la cheminée de refroidissement et la grande halle, s’est très vite posée avec deux ambitions distinctes : celle de participer au travail de la mémoire ouvrière chère à de nombreux colombellois, ainsi qu’aux associations locales qui participent à transmettre cette mémoire ; mais également construire collectivement un lieu de vie qui puisse participer activement à la création d’une nouvelle mémoire collective pour la ville.
L’idée de la création d’un lieu unique s’est donc imposée naturellement. Dès 2014, des réunions publiques autour du projet ont pris place afin que l’ensemble des parties prenantes (la ville de Colombelles, Normandie Aménagement, acteurs locaux et habitants) puisse échanger autour du projet et faire maturer les premières idées. Pendant la même période, Normandie Aménagement lance les premières études de faisabilité de réhabilitation de la grande halle dans laquelle le futur tiers lieu devrait prendre place.
Work In Progress, prendre le temps d’expérimenter
Derrière la construction de ce lieu, c’est tout un processus innovant qui s’est mis en place. En 2016, une association s’est constituée avec la volonté de créer une Cité de chantier, un lieu temporaire permettant de préfigurer les futurs usages qui seront déployés dans la future halle réhabilitée. Accompagnée du collectif d’architectes ETC, l’équipe est venue construire au pied de la halle, une architecture éphémère entièrement réalisée à partir de matériaux recyclés ou de seconde main. En effet, les architectes sont partis à la rencontre de différents fournisseurs et établissements afin de récolter un maximum de matières premières localement. Plus qu’une démarche durable, ce chantier a eu pour premier effet de rassembler les acteurs du territoire autour du projet. Composée d’une dizaine de conteneurs et de charpentes métalliques, la Cité du chantier constitue ainsi le premier lieu physique du projet du WIP.
Conçue comme un outil d’accueil, de médiation et d’expérimentation, cette installation a permis à l’équipe du WIP de prendre le temps de préfigurer le futur projet : en mobilisant les acteurs locaux, rassemblant autour d’événements la population, il a alors été possible de fédérer au maximum autour du projet. Une pratique de conception programmatique où le temps long et la co-construction sont assumés, par à la fois la maîtrise d’ouvrage, l’équipe du WIP et les architectes de la réhabilitation de la halle, ce qui garantit aujourd’hui le succès du lieu et son appropriation.
À la recherche de lieux infinis
C’est en octobre 2019 que le WIP ouvre officiellement ses portes. La halle s’est métamorphosée grâce aux architectes de Construire et Encore Heureux. En tout, ce sont près de 3000 m² qui sont investis pour créer du commun avec une volonté : celle de construire un lieu où les pratiques alternatives trouvent leur place et dans lequel sont hébergées des activités qui gravitent autour de l’économie circulaire, de l’art et du vivre ensemble.
La halle est aujourd’hui composée de bureaux et ateliers partagés, d’espaces de réunions et de formations, d’un espace central permettant l’accueil d’événements professionnels mais aussi culturels et festifs. Enfin, un bar-resto permet l’animation continue du lieu. La pluralité des fonctions et des acteurs qui gravitent autour des lieux permet aujourd’hui concrètement de renforcer et fédérer l’écosystème caennais autour des questions de circularité, tout en proposant un lieu qui adopte une gestion collaborative et durable.
Présenté lors de la biennale de Venise de 2018 par le collectif d’Encore Heureux, le WIP correspond ainsi aux lieux infinis, c’est-à-dire des “endroits qui sont conçus, pensés et animés de façon à ce que tout soit possible”. Derrière sa programmation originelle, le WIP propose donc un espace de vie, unique sur son territoire, dont le processus de création a permis de fédérer au-delà du projet, et qui par un travail collaboratif entre architectes, maîtrise d’ouvrage et porteur de projet, a permis une préfiguration d’usages aujourd’hui rassembleurs et durables. Parti d’une logique de recyclage d’une friche industrielle, le WIP porte désormais bien plus.
S’inscrivant dans une démarche collective, la création du WIP illustre donc qu’il est possible de réinterroger les modes de faire classiques pour la création d’un lieu de vie singulier. Ils ouvrent les portes à des procédés de projet au temps plus longs, qui laissent la place à l’imprévu, aux réajustements, pour aboutir à une définition d’une programmation aux valeurs assumées. Des projets qui, au-delà d’expérimenter, participent également à la redynamisation des territoires !