Le village bangladais aux millions de followers
Ces dernières années, différents villages ruraux d’Asie se font connaître pour avoir trouvé la poule aux œufs d’or. Leur secret? Ils font simplement des chaînes YouTube mettant en scène leurs coutumes locales. Visionnées des millions de fois, ces vidéos monétisées contribuent à renforcer de petites communautés isolées, qui peuvent désormais rêver à diversifier leurs activités.
Banquet numérique
1,3 milliards. C’est (à l’heure où nous écrivons ces lignes) le nombre de vues cumulées sur AroundMeBD, la chaîne YouTube d’un petit village du Bangladesh. Le contenu de la chaîne? Il s’agit essentiellement de vidéos de cuisine, où l’on voit des villageois préparer la tambouille pour des centaines de personnes. Assis par terre, en tenues traditionnelles, ils dépècent des chèvres, découpent des légumes et font mijoter le tout au grand plaisir des internautes du monde entier. Et grâce au succès, cette communauté rurale génère des revenus importants qui lui permettent de se développer.
Cette stratégie originale gagne en popularité en Asie du Sud. En Inde, la bien nommée Village Cooking Channel cumule plus de 4 milliards de vues et au Pakistan, Village Food Secrets atteindra bientôt les 700 millions. Les chaînes de cuisine sont celles qui ont le plus de succès, mais il en existe d’autres comme celle de Siboen en Indonésie qui réunit plus d’un million d’abonnés autour de la mécanique. À chaque fois c’est la même recette : à l’initiative d’une ou plusieurs personnes, des communautés rurales isolées se mettent à filmer leur quotidien et monétisent ces contenus.
Profession youtubeur
À l’origine de AroundMeBD (pour « autour de moi Bangladesh »), un certain Liton Ali Khan. En 2016, ce jeune entrepreneur, qui tient un cybercafé dans la capitale, laisse traîner sa caméra à droite et à gauche : les rues de Dhaka, les marchés aux poissons, les poteries artisanales… Un jour, il décide de filmer un grand pique nique à Shimulia, son village d’origine. À partir de là, la machine internet se lance toute seule et c’est toute une économie locale qui se met en place.
La chaîne emploie une cinquantaine de personnes, dont 17 femmes. L’équipe de tournage s’est formée sur le tas, avec du matériel de plus en plus professionnel. Le numéro de téléphone de Liton Ali Khan tourne dans les marchés du pays et les plus belles pièces se négocient à prix d’or. La fin justifie les moyens lorsqu’il faut préparer deux vidéos de banquets par semaine : des biryanis gargantuesques à partir d’un bœuf de 300 kilos ou des salades de fruits monumentales.
Social buzz
Pour une fois, les techniques de viralité classiques de YouTube ne sont pas utilisées. Ici, pas d’ASMR, de gros plans aguicheurs, ni de mukbang… Le style est simple, sans effets ni mise en scène racoleuse. Pas non plus d’influenceur sous les projecteurs. C’est avant tout les habitants qui sont mis en avant. Sur la chaîne, on voit des enfants, des mamans en saris colorés, ou les anciens aux longues barbes blanches. Ce sont eux qui cuisinent et aussi eux qui mangent, lors de grands piques niques avec de nombreux invités.
Mieux encore, les bénéfices de la chaîne sont redistribués sous forme diverses dans le village. Le magazine Rest of the World raconte comment Jobeda Khatun, une femme célibataire de 70 ans, arrondit ses fins de mois en cuisinant pour la chaîne. Elle qui n’a jamais vécu hors du village et qui ne possède qu’un bout de terre a participé à plus d’une centaine de vidéos. La rémunération qu’elle en tire lui permet d’acheter des médicaments et de la nourriture.
Développement urbain
Dans le village, plusieurs toboggans et jeux pour enfants ont été installés grâce à la chaîne. Un parc doit bientôt être construit. À la suite d’un incendie, plusieurs maisons ravagées ont été reconstruites avec l’argent de la chaîne. De manière générale, les plus démunis sont soutenus par ce nouveau business. « Si un des grands-pères ou une des femmes de la chaîne a un problème, nous couvrons la majorité des dépenses médicales, qu’il s’agisse d’une consultation ou d’un traitement » explique Liton Ali Khan.
Chaque semaine, son oncle Delwar Hussain fait plus de 150 kilomètres en bus pour le rejoindre à Dhaka. Il lui transmet alors les précieux disques durs sur lesquels sont enregistrés des dizaines d’heures de vidéos. Au village, la connexion n’est pas encore assez bonne, mais qui sait, peut-être qu’elle arrivera plus vite que prévue dans ce « YouTube village » comme il est maintenant surnommé au Bangladesh. Pran Foods, l’une des plus grandes entreprises du pays a déjà proposé de sponsoriser la chaîne, ce que Khan a refusé pour conserver l’authenticité des contenus. En tout cas, des influenceurs culinaires étrangers font désormais le détour par Shimulia pour filmer les ripailles.
La prochaine étape pour Liton Ali Khan est de diversifier les activités. Il imagine faire de Shimulia un hot spot du tourisme bangladais. Comme point de départ, il prévoit d’indiquer le village avec des planches en bois. « Pour que les gens n’aient plus de difficulté à nous trouver… ». Vous avez dit fracture numérique ?