Le transport à la demande, des navettes pour une mobilité durable
Et si le transport à la demande était le dernier rempart pour contrer la dépendance à la voiture individuelle ? Particulièrement efficace en milieu rural, dans les franges urbaines et périurbaines, mais aussi allié des heures creuses et du dernier kilomètre, ce modèle propose des solutions pertinentes pour des territoires où le service de transport en commun n’est pas rentable.
Alors comment le mettre en place efficacement sur les territoires ? Quels sont encore les freins existants à son déploiement et les solutions à mettre en œuvre ? Afin de nous éclairer à ce sujet, nous avons interrogé Charles Paulino Montejo, Product Marketing Manager chez PADAM Mobility, une entreprise qui développe des solutions digitales utiles aux opérateurs, collectivités et entreprises pour la mise en œuvre de services de transport à la demande.
Les dynamiques de mobilité rythment nos territoires depuis l’émergence des premières constructions, elles sont donc naturellement aujourd’hui au cœur des enjeux liés à la fabrique urbaine. Alors, quelles sont les raisons qui ont entraîné la création de Padam Mobility ? Quel(s) constat(s) ou quelle prise de conscience ont amené à imaginer un service de transport à la demande ?
“Dans un premier temps, j’aimerais préciser que le transport à la demande n’est pas si récent. C’est un mode de transport qui est apparu pendant la période d’entre-deux-guerres, dans les grandes villes occidentales. En région parisienne, l’objectif était de permettre aux franciliens de se déplacer des zones périurbaines au centre de Paris, en mutualisant leurs trajets. Déjà à l’époque, il est intéressant de constater les deux enjeux principaux qui façonnent cette forme de mobilité : d’une part, pallier les carences d’un système de transport qui n’est pas suffisamment dense ou adapté, et d’autre part, mutualiser des trajets. Bien que le transport à la demande ait évidemment évolué, ces deux enjeux structurent encore systématiquement son déploiement à l’heure actuelle.
Pour revenir à l’émergence de Padam Mobility, l’entreprise a été créée par trois étudiants (Ziad KHOURY, Samir NAIM, Grégoire BONNAT) en 2014. À l’origine, l’idée était de proposer une solution de mobilité partagée pour les étudiants franciliens qui souhaitaient rentrer chez eux en soirée. Le projet est donc né à partir d’un constat d’usage : les solutions de mobilité se concentraient essentiellement aux endroits où la demande était dense et continue. Et dès lors que la demande apparaissait plus diffuse, rare, moins fiable ou simplement inexistante, les voitures individuelles se multipliaient. De ce fait, ce décalage engendrait de véritables inégalités dans les solutions de mobilité partagée en fonction de votre ville ou quartier de résidence.”
La mission de Padam Mobility a bien évolué, elle est devenue plus globale et ne se concentre plus uniquement sur la problématique du transport nocturne. L’objectif de l’équipe est de transformer durablement les territoires et les déplacements d’aujourd’hui et de demain. Présentes sur près de 70 territoires, en France, en Italie, en Allemagne, en Espagne et au Royaume-Uni, les solutions digitales proposées dépassent la simple réservation anticipée, pour permettre aux usagers de prévoir à l’avance des trajets intelligents, mutualisés, optimisés et efficaces. C’est tout l’enjeu de la nouvelle génération de ce mode de déplacement : le transport à la demande dynamique.
Les solutions proposées par Padam Mobility lient intelligence artificielle et maîtrise d’œuvre personnalisée. Pouvez-vous nous expliquer concrètement en quoi consistent vos missions et projets ?
Le transport à la demande est une solution de déplacement qui présente un intérêt pour les territoires au sein desquels la conception ou le maintien d’une offre classique de transport partagé rencontre des limites. Cela peut être le cas quand la demande est trop faible, inégale, éparse ou trop spécifique. En effet, de fait, cette situation entraîne des problématiques et le transport à la demande peut être une réponse pour mieux gérer les heures creuses ou heures de pointe, apporter des solutions dans le cas de zones périurbaines, rurales, d’activités, ou encore afin de répondre aux besoins de personnes âgées, à mobilité réduite ou bien travaillant en horaires décalés. Des services qui peuvent être créés de toute pièce, quand ils sont inexistants sur un territoire, ou bien améliorés, dans le cas où un service de transport existerait déjà.
“En fait, le réseau conventionnel, classique, permet à une grande partie de la population (personnes actives, travaillant pendant des horaires de bureaux, en bonne santé…) de se déplacer rapidement. Le transport à la demande vient quant à lui apporter des solutions pour tous les cas de figures et d’usages annexes qui expriment des besoins de mobilité, souvent associés à une dépendance à la voiture individuelle ou à une situation de précarité-mobilité, qui amènent parfois à de véritables situations d‘exclusion sociale. À ce sujet, 7 millions de français déclarent aujourd’hui rencontrer des problèmes de mobilité et 42% des français utilisent leur voiture par manque d’alternatives.
Pour répondre à ces enjeux, nous développons des innovations digitales dans l’objectif d’apporter des solutions homogènes et complémentaires de mobilité, à destination des habitantes et habitants de zones peu denses, périurbaines et rurales. L’idée est d’assurer un meilleur maillage du territoire pour garantir une desserte cohérente et globale, en s’interfaçant complètement avec les réseaux de transport existants. Nous tenons à développer des services résilients, qui puissent s’adapter facilement à chaque contexte territorial et évolution sociétale. Par exemple, les services que nous proposons ont finalement été peu impactés par la crise sanitaire, dans la mesure où nos réseaux se sont, du jour au lendemain, transformés pour desservir les hôpitaux, pour aider les personnels soignants à se déplacer, ou pour garantir les distanciation sociale à bord des véhicules…
Nous tenons également à permettre aux territoires peu denses de bénéficier d’une expérience usager digne des grandes métropoles. Chez Padam Mobility, nous sommes convaincus que chaque territoire, chaque habitant, chaque usager doit avoir accès à une offre de services adaptés à ses besoins. Très concrètement, nous nous appuyons sur une technologie de pointe, basée en grande partie sur l’intelligence artificielle, afin d’optimiser les réservations en mutualisant le maximum de courses, le remplissage des véhicules et les trajets, tout en évitant les détours et les kilomètres à vide. Nous développons des solutions pour rendre plus flexible, plus libre et plus sécuritaire chaque trajet. Des résultats sont d’ores et déjà identifiés : à Padoue, en Italie, notre service de nuit a permis de réduire considérablement le taux d’accidentologie chez les jeunes, mais aussi le sentiment d’insécurité chez les femmes. L’ADN de l’entreprise repose vraiment sur des considérations à la fois humaines et environnementales.”
Aujourd’hui, les politiques publiques, mais également les collectifs habitants, activent des initiatives en faveur des modes de déplacement actifs. Des territoires s’engagent progressivement dans la mise en place de tarifications sociales et solidaires dans les transports en commun. Et la part dédiée à la voiture individuelle tend à se réduire au sein des villes. Quelle est la place du transport à la demande au sein de toutes ces dynamiques ? Comment la valorisation de logiques intermodales peut-elle bénéficier aux territoires ?
“Les transports à la demande sont des leviers que vont venir actionner les collectivités et les opérateurs afin de proposer une alternative à la voiture individuelle. En revanche, dans certains territoires, avec certaines configurations, d’autres solutions peuvent être plus adaptées, comme le covoiturage. Dans la majorité des réseaux sur lesquels nous travaillons, de vraies transformations d’habitude de déplacement se sont révélées lorsque ces réseaux étaient conçus dans une logique intermodale. La complémentarité du transport à la demande avec l’offre existante de transports en commun permet une optimisation du service.
À titre d’exemple, le service Flex’hop qui abrite notre technologie, développé dans l’Eurométropole de Strasbourg, renforce l’offre de transports urbains et interurbains de la CTS (Compagnie des Transports Strasbourgeois, l’opérateur de transport local). Et il est important de souligner que la technologie que nous avons développée permet à nos solutions de ne jamais proposer des trajets entrant en concurrence avec les lignes fixes d’un territoire. Elles sont, au contraire, synchronisées aux horaires de train, tramway ou bus, dans une vraie démarche intermodale. C’est-à-dire que l’usager peut réserver son trajet en transport à la demande, dont le départ sera calculé et ajusté en fonction de l’heure d’arrivée prévue de son mode de transport précédent.
Cela dépend évidemment des dynamiques de chaque territoire. Dans une zone péri-urbaine, abritant un pôle d’activités important et doté d’un réseau de transport déjà développé, l’idée sera davantage de mailler finement le réseau, de renforcer l’offre existante dans les zones blanches de l’agglomération, et de ce fait, de répondre aux enjeux du premier et dernier kilomètres. En revanche, dans des zones moins optimisées, il arrive que des lignes fixes se transforment en lignes sous réservation, une solution souvent moins coûteuse pour les collectivités.”
Les services de transport à la demande sont particulièrement adaptés à des zones péri-urbaines et rurales, qui ne bénéficient pas d’une desserte en transports en commun équivalente aux zones urbaines denses. Finalement, à quels territoires et usagers ces services sont-ils destinés ? À quels enjeux sociaux, écologiques et économiques peuvent-ils répondre ? Et comment s’inscrivent-ils dans une nouvelle logique de mobilité sur mesure, ancrée dans l’analyse des usages ?
Le transport à la demande est un mode de déplacement flexible, qui peut évoluer en fonction des temporalités urbaines, des données démographiques, mais aussi de la politique menée sur le territoire. Certaines villes sont conçues tant et si bien que les déplacements en mode actif sont grandement encouragés et donc facilement réalisables. D’autres territoires ont quant à eux un centre-ville éloigné des zones résidentielles ou d’activités économiques, ce qui favorise l’émergence de solutions comme le transport à la demande.
“Globalement, cette pratique répond à des enjeux socio-économiques, en permettant aux personnes, qui n’en avaient pas la possibilité auparavant, de se déplacer vers des bassins d’emploi ou des centres de santé. Ce sont des services particulièrement appréciés par toute une catégorie de la population qui rencontre certaines difficultés à se déplacer : des jeunes non motorisés, des demandeurs d’emplois, des personnes âgées, des actifs, pour qui les déplacements en voiture individuelle représentent un coût non négligeable en termes de temps et d’argent. Il est important de comprendre que la grande majorité de notre offre de transport à la demande est intégrée à l’offre globale de transport public. En Île-de-France par exemple, le service est accessible via un pass navigo ou un titre de transport et l’usager ne débourse donc aucun frais supplémentaire. C’est ce qui fait l’efficacité de ce service : de l’intégration tarifaire vers la multimodalité en passant par une approche sur-mesure.
De plus, les interfaces que nous produisons nous offrent la possibilité de sonder nos usagers. Certains questionnaires nous ont permis de constater que le transport à la demande permettait généralement aux ménages de se passer de l’usage de leur deuxième voiture. Sans éradiquer la voiture individuelle, sur des territoires au sein desquels elle est encore essentielle, ce mode de déplacement rend possible la réduction de son utilisation.”
Les enjeux et les bénéfices du transport à la demande sont finalement relatifs au territoire, à la configuration urbaine, aux dynamiques de mobilité et aux objectifs du commanditaire. Les collectivités ont recours à ce type de service dans une démarche de cohérence territoriale, de désenclavement et de liens entre politiques publiques et besoins locaux. Tandis que les opérateurs privés seront davantage dans une logique d’optimisation des coûts d’exploitation et de rationalisation. Transversaux, les enjeux écologiques sont naturellement intégrés.
Et comment envisagez-vous le futur développement du transport à la demande et la place qu’il aura demain au sein de nos territoires ? Quels freins existent-ils encore ?
“Les freins au déploiement du transport à la demande sont systématiquement des problématiques liées aux divers coûts engendrés. Certes, nous participons à rationaliser, mais le secteur du transport est onéreux, et il l’est d’autant plus quand il est à la demande et dans des territoires où son volume est faible. Mais finalement, est-ce-qu’un service de transport public a vocation à être toujours très rentable ? Et surtout, est-ce qu’un jour le transport public, en territoire rural et péri-urbain, pourra le devenir ? Je pense qu’il faut bien intégrer au transport à la demande cette dimension de valeur, mais aussi de logique pécuniaire. Les freins que l’on peut rencontrer dans notre métier émergent quand la notion de service public n’est pas bien intégrée, et que l’on nous compare à un service de VTC. Fort heureusement, en France, nous avons une vraie culture du service public.”
Contrairement à un service de covoiturage, d’autopartage ou de véhicules en libre-service, le transport à la demande Padam Mobility affiche les couleurs de l’agglomération dans laquelle le service s’insère. Leurs applications et interfaces sont en marque blanche afin d’assurer une continuité du service public et une certaine neutralité pour l’usager.
“Dans une vision plus prospectiviste, notre réflexion est naissante puisque le recul n’est pas encore suffisant pour tirer de grandes conclusions. Je pense que ces notions de résilience, d’adaptation, de souplesse de l’offre de transport, dans un contexte de crise sanitaire, mais également dans de nombreuses autres situations, sont des données essentielles à prendre en compte pour l’évolution durable de nos déplacements. Cet enjeu d’adaptation aux périodes de crise pour le transport public est prégnant dans notre société. Or, il est complètement intégré aux services de transport à la demande. De plus, avec le suivi en temps réel, les collectivités et opérateurs ont désormais la possibilité de piloter efficacement une gestion de crise, en maîtrisant l’offre ainsi que les flux.
L’autre sujet qui pourrait transformer les dynamiques de mobilité est celui de la migration des populations urbaines vers des zones rurales ou périphériques. Ce sont des personnes généralement habituées à une offre de transport public dense, optimale, variée, une facilité d’accès qu’elles souhaitent retrouver dans un nouveau cadre de vie proche de la nature, sans pour autant multiplier leurs trajets en voiture. Par conséquent, ces territoires pourraient devoir dans les années à venir s’adapter à de nouveaux habitants, usagers et besoins. Le transport à la demande peut répondre, de manière quasiment instantanée, à ces évolutions démographiques et nouvelles demandes.”
Un projet en particulier dont vous êtes le plus fier ou qui a particulièrement retenu votre attention ?
“Plus qu’un projet, il s’agit davantage d’un constat des dynamiques actuelles que j’aimerais voir se pérenniser. Pour certains territoires, c’est devenu une évidence : le transport à la demande est une solution sur-mesure, une brique qui vient s’insérer efficacement dans une offre globale de mobilité. Et il se trouve que de plus en plus de régions s’y intéressent. C’est notamment le cas de la Bretagne, de l’Île-de-France et des Pays de la Loire, qui ont initié le développement de réseaux de transport à la demande régionaux. C’est une toute autre échelle de considérer qu’au sein d’une région, toutes les communes, si petites, denses, habitées soient-elles, devront demain avoir un service de mobilité accessible à tous et toutes.
En Bretagne, le service Breizhgo que nous accompagnons est en train de répondre à ces enjeux. C’est la tendance actuelle en France, mais d’autres territoires européens, comme le Royaume-Uni, se positionnent depuis un certain temps sur cet échelon régional. De mon point de vue, c’est peut-être cela l’avenir du transport à la demande : proposer une continuité des services de mobilité pour tous les territoires et à destination de toutes les populations. C’est sur ce dernier enjeu que nous travaillons chez Padam Mobility et qui représente le mieux nos valeurs et les objectifs que nous portons pour les années à venir.”