Le Tour de France des maisons écologiques
Comment penser l’habitat à l’heure de la crise environnementale ? Deux architectes et un anthropologue ont réalisé un tour de France pour dénicher les expérimentations les plus stimulantes en matière d’éco-construction. Ils tirent des enseignements de ces solutions locales et biosourcées, ultra-performantes ou minimalistes, dans un livre détaillé et passionnant.
Comment réinventer un habitat sobre et économe, en rupture avec les pratiques industrielles ? Les architectes Mathis RAGER et Raphaël WALTHER et l’anthropologue Emmanuel STERN sont partis sur les routes de France pendant deux mois à la rencontre d’habitants ayant fait le choix de construire leur propre maison dans le respect des principes écologiques. Experts ou débutants, ces habitants-constructeurs développent des solutions originales et innovantes, que ce soit dans le choix des matériaux, des techniques de construction ou dans l’adaptation à leur milieu.
Laboratoire des maisons de demain
Dès les premières pages du livre Le Tour de France des Maisons Écologiques, le lecteur trouve quelques avertissements de rigueur. En effet, il peut sembler contradictoire de vouloir répondre à la crise environnementale par du logement individuel. La maison individuelle est effectivement consommatrice de sols, peu dense et associée à un modèle d’aménagement tout voiture, mais c’est également un lieu privilégié d’expérimentation à petite échelle.
Entre le réemploi, la low-tech, les approches solidaires, ce sont des projets personnalisés, conçus sur-mesure par les habitants et pour leur emplacement. Ils réfléchissent donc à leur contexte climatique local et s’adaptent aux ressources disponibles. Clémence et son compagnon ont par exemple construit une maison en roseaux, profitant de leur proximité avec les roselières du Golfe du Morbihan. Sandra et Yannick ont pensé à récupérer trois conteneurs stockés au Havre pour en faire leur maison dans les Côtes-d’Armor.
Les auteurs voient dans ces pratiques un
Ces habitants constructeurs deviennent des pionniers de l’écologie : . Pour autant, les maisons qu’ils imaginent n’ont pas vocation à faire modèle. C’est là une grande leçon de l’écologie, à chaque milieu ses propres solutions et aucune formule magique ne peut être transposée telle quelle d’un lieu à l’autre. Dans cette équation, les pionniers du livre ouvrent des brèches et font la preuve de leur viabilité.“Il suffit de le faire”
L’exercice n’est peut-être pas donné à tout le monde, et en même temps il est plus facile qu’on ne le croit. À travers le portrait détaillé de douze maisons, de leurs habitants et du récit de leur projet se dessine un horizon de trajectoires et de possibles. Du néo-rural fraîchement arrivé de Paris à l’agriculteur de père en fils, de l’ingénieur en bâtiment au néophyte bien entouré, tout semble imaginable.
Une force du livre est de détailler et de documenter de manière très concrète la réalisation de ces maisons : les coûts financiers ou humains, les obstacles techniques ou normatifs, mais surtout l’empreinte carbone derrière chaque choix. Faut-il déblayer de la terre ? Combien de kilomètres les matériaux doivent-ils voyager ? Leur production est-elle polluante ? Seront-ils recyclables dans quelques décennies ? Chaque présentation de maison est l’occasion de donner la parole aux habitants mais aussi à un expert architecte, ingénieur ou autre, spécialisé sur tel matériau ou telle technique vernaculaire.
Maison sur mesure
Ainsi, de la plus minimaliste à la plus ambitieuse, capable de vivre en quasi-autarcie, le prix passe de 50 à 2500 euros par mètre carré. Le prix moyen d’une maison neuve, calculé sur l’ensemble des maisons visitées pendant le tour de France est de 1400 euros par mètre carré. Ces montants sont à relativiser dans la mesure où les différents auto-constructeurs bénéficient tous de capitaux qui leurs sont propres (économiques, techniques, de temps et social) et qui déterminent leur projet.
Le projet de maisons en “super adobe” de Freddy SIMON, propriétaire d’une exploitation de safran dans les Pyrénées Orientales est par exemple très rudimentaire en terme de matériaux et de technicité, en revanche il consiste en un chantier de trois ans mobilisant une main d’œuvre de 120 bénévoles. 540 tonnes de terre y ont été déplacées à la main. À l’inverse, les kerterres bretons d’Évelyne ADAM peuvent être construits en solitaire en quelques semaines. En chanvre et chaux, ils ressemblent à des petites yourtes féériques.
Dilemmes et arbitrages
Le livre donne également à voir certains dilemmes ou regrets… On pense notamment à ce couple d’agriculteurs des Yvelines qui, faute de moyen pour une toiture végétalisée, a du poser une toiture en tôle ondulée dont le bilan carbone est nettement moins intéressant. Leur projet n’en reste pas moins magnifique : avec la paille issue de leur production d’orge, ils ont dressé des murs porteurs d’un mètre d’épaisseur qui tiennent leurs trois façades déperditives. La façade sud est quant à elle entièrement vitrée pour profiter du soleil.
Leur longère de 125 m² sur un étage est ainsi la première maison en paille porteuse sous garantie décennale en France. En effet, si 300 bâtiments sont construits avec de la paille chaque année en France (soit davantage que dans tous les pays européens réunis), la paille y est rarement un élément structurant : elle sert plus souvent d’isolant dans une construction en bois par exemple.
En finir avec les trois petits cochons
À propos de paille, les auteurs se penchent quelques instants sur le conte des trois petits cochons. Comme pour déconstruire notre penchant pour les matériaux artificiels, ils s’interrogent sur les effets de l’histoire pour enfants sur notre imaginaire.
Interviewé dans l’ouvrage, le docteur en architecture et auteur d’un manifeste biorégionaliste Mathias ROLLOT insiste sur l’importance de ces initiatives. Anticipant les critiques, il souligne d’ailleurs un point important : ces approches écologiques ne font pas de concession avec le confort moderne.
Il va de soi qu’en refermant le livre, on a plus qu’une idée en tête…