Le thème : « Réver(cités), villes recyclables & résilientes »
« Une ville pérenne incarne la réversibilité, la robustesse et la souplesse, la résilience »
La ville se développe inexorablement. Plus de la moitié de la population mondiale vit aujourd’hui dans des aires urbaines et cette part pourrait atteindre environ 70% en 2050. La ville doit aussi s’adapter à de nouveaux enjeux. Au tournant du siècle, les « nouvelles technologies de l’information et de la communication » (NTIC) ont redynamisé les pays développés, frappés par la désindustrialisation depuis le premier choc pétrolier. Ces derniers ont vu leur économie se complexifier et, la mondialisation aidant, ont partagé de nouveaux modèles dessinant un paradigme fondé sur la collaboration, la contribution, la mutualisation et l’échange.
Comment résister à une énergie de plus en plus chère, au ralentissement de la croissance ou à la crise sociale ? L’étalement urbain menace de virer au cauchemar et l’urbanisme de production et d’extension commence à battre de l’aile. Un principe de ville recyclable répondrait mieux aux défis qui s’annoncent, économiques mais aussi environnementaux. La question de la raréfaction des ressources naturelles occupe les coulisses de l’actualité. Le réchauffement de la planète inquiète ; les Nations Unies ont même précisé qu’en 2014, 87% des catastrophes climatiques avaient un lien avec lui. A la prise en compte des risques d’inondation, de tempête et de canicule, voire d’effondrement, s’ajoutent la lutte contre la pollution, le traitement des déchets et la réduction de l’empreinte carbone.
Des évolutions marquent également la société depuis la pilule des années 1970 : essor des familles recomposées, intérêt croissant pour les formes de travail nomade et lecoworking, politique de mixité sociale et générationnelle dans un contexte de vieillissement de la population… L’individu est toujours mieux connecté à Internet dans la vie quotidienne et de nouveaux modes d’organisation se profilent dans la société civile urbaine.
Dans ce contexte de mutations diverses, les notions de flexibilité, de réversibilité et de résilience apparaissent cruciales et constituent le nouveau thème abordé par l’Observatoire de la Ville. Ces concepts entraînent une multiplicité d’échelles de réflexions, spatiales et temporelles. Leur approche transversale sera au cœur des investigations de cette 7e édition.
La ville en mouvement
Christian Devillers voit dans les villes « une énorme capacité d’accumulation et d’innovation grâce à leurs capacités de substitution ». Au fil des évolutions économiques, la ville se renouvelle avec des infrastructures qui perdurent (ex. de tracé de camp romain encore visible en centre ville, à Orléans et à Tours). La continuité des réseaux va de pair avec un territoire à grande échelle.
Les villes ont beau être enserrées dans un carcan d’infrastructures lourdes, elles intègrent toujours de nouveaux immeubles et des biens d’équipement. Des liens instables associent espace public, parcellaire et bâti. Mais les notions de réversibilité et de flexibilité s’appuient en premier lieu sur la question de la mobilité de l’usager, auquel une offre de transport multiple est proposée. Comme le rappelle David Mangin, « la ville n’existe que si elle peut bouger à toutes les échelles ».
La flexibilité à l’échelle du parc bâti
Les édifices constituent une variable de la ville et il s’agit de faire en sorte qu’ils puissent se modifier et rendre de nouveaux services. Comment répondre à l’évolution des usages et des attentes ? L’obsolescence des équipements des années 60-70 implique-t-elle de les démolir ? La réappropriation d’édifices existants voués à une disparition prochaine est un principe qui gagne les faveurs de l’opinion, et ce à différentes échelles : entrepôts industriels reconvertis en lofts et en bureaux, piscine transformée en musée, centre commercial restructuré en équipement social de quartier, caserne aménagée en pièce urbaine…
Françoise-Hélène Jourda réclame « des bâtiments qui s’adaptent et soient réversibles : des logements qui puissent devenir bureaux ou ateliers au fil du temps, des immeubles qu’on pourra démonter, recycler… ». Afin de répondre aux évolutions du marché, la promotion immobilière entend permettre une seconde vie à ses produits tertiaires et commence à étudier des programmes de bureaux susceptibles d’être convertis facilement en logement ; et inversement. Une parenthèse d’un demi-siècle se referme ! Le réemploi des objets et le recyclage des matières premières sont en effet redevenus des priorités aujourd’hui.
La réversibilité à l’échelle du quartier
Dans un futur proche, la réversibilité d’un bâtiment deviendra la règle pour permettre différents usages. Il y a deux intérêts à cela. La réaffectation des locaux coûte moins cher que leur remplacement, les frais de fonctionnement d’un immeuble devenant marginaux par rapport au prix de la construction en elle-même. Par ailleurs, la reconversion présente, sur la tabula rasa, l’avantage d’intégrer une histoire.
En perpétuel inachèvement, la ville recycle des territoires obsolètes qui sont les creusets d’une nouvelle urbanité. Partout, les mixités fonctionnelles sont recherchées à l’échelle des îlots, des parcelles et des bâtiments. Pour ce faire, il est important de faciliter les mutations foncières.
Pour adapter nos lieux de vie à des usages changeants, ne faut-il pas étudier les différentes formes urbaines (ville dense constituée, tissu faubourien, grands ensembles, ville diffuse…), avec leurs spécificités propres ? Les pouvoirs publics évaluent déjà le potentiel de transformation des quartiers pavillonnaires et affinent de nouveaux outils pour les densifier.
La question de la réversibilité a été explorée dans d’autres domaines que celui de la ville. Même les penseurs du management de l’entreprise s’en sont emparés. Selon Bénédicte Grosjean, « ce concept répond à une nouvelle mentalité, une façon d’aborder autrement la société, un état d’esprit tourné vers la capacité d’adaptation, d’invention et de diversité. » C’est la réaction d’une population en proie à des incertitudes sur son avenir.
L’étalement urbain, grand consommateur d’espaces naturels, implique la recherche de modèles plus compacts qui appellent un urbanisme de mutation et de recyclage. Quelle place pour l’aménagement face à l’essor des flux de personnes, de matières, d’information et de capitaux ? La programmation urbaine aura une place centrale à jouer pour le renouveau de l’urbanisme. Mais celui-ci pourra-t-il être réversible ? Aujourd’hui, on manque cruellement de savoirs pour fabriquer de la « ville ordinaire ».
La résilience à l’échelle urbaine
C’est la capacité d’une ville à résister, s’adapter et s’organiser en tant que système face à une perturbation, et ce sans perdre ses fondamentaux. Pour prendre en compte les « risques naturels » – inondation, canicule, tempête… – d’une manière intégrée et systémique, ce concept de résilience urbaine fait son chemin depuis une douzaine d’années.
Pour Alain Bourdin, la « récupération » plus ou moins rapide d’un territoire, après avoir subi un trauma, implique de développer un mode d’évaluation et de mesure sous la forme d’indicateurs et de critères, pour une meilleure anticipation. Cela suppose une bonne information et une surveillance qui assureront une meilleure sécurité face aux risques, par exemple dans un territoire inondable. Mais comment mieux coordonner les efforts et éduquer ceux qui peuvent renforcer leur capacité d’action ? Quels outils d’adaptation favoriser ?
Aujourd’hui, la notion de résilience s’est élargie à la capacité de la ville à résister à différents dommages, brutaux ou lents – un profond bouleversement économique par exemple –, et à se reconstruire autrement. On plaide aussi pour la résilience de la nature en ville, avec le maintien de la biodiversité. Dans un contexte de crise économique comme aujourd’hui, il faut déjà pouvoir remettre en cause les bases de la vie productive et sociale d’une ville. Sur le plan humain, on associe souvent le mot de résilience à une approche ascendante (« bottom-up ») privilégiant des changements concrets, en termes de comportement et d’organisation sociale.
Faut-il revoir les périmètres de l’action publique ? On voit ainsi comment, en Allemagne, l’IBA de Hambourg a fait émerger un projet expérimental concerté d’envergure qui marie le « public » et le « privé ». Comment renforcer par ailleurs l’empowerment, cette capacité d’action « collaborative » des citadins ? Cet anglicisme prend plus de sens au moment où le « digital » déstabilise et transforme de plus en plus de métiers. Dans l’économie des services en ville, chacun s’organise via Internet autant que par des relations personnelles dans l’univers physique. Les démarches d’usager entrent aussi dans le niveau de résilience d’une ville.
Les questions posées par le thème « Réver(cités) » forment un large spectre voué à intéresser tous les coacteurs et coproducteurs du chantier urbain actuel et à venir.
Frédéric Mialet
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