Le rural est-il l’avenir du design ? (½) Pour une approche de la topophilie…
La crise du Covid met cruellement en lumière le besoin de nouvelles proximités et sonne comme une revanche des villes rurales, laissées en marge du développement spectaculaire des métropoles. Loin de l’image d’Epinal, ces villages évoluent avec de nouvelles coopérations et services de proximité hybrides, des façons originales de valoriser leur patrimoine. Le design, par des approches dites tactiques, permet de réaliser des actions peu onéreuses à forte valeur ajoutée, leviers de la “topophilie” chère à Carlos Moreno.
Une capacité mobilisatrice
Coconstruire un projet dans un cadre clair et réaliste se révèle indispensable pour éviter de rêver des futurs incertains face à une réalité forcément déceptive… Il est de bon ton aujourd’hui de parler de participation et de mobilisation des forces vives des territoires au sujet de séquences codifiées aux résultats convenus. Mais l’apport d’une approche topophilique réside surtout dans l’écoute pour la compréhension des lieux, des attentes, loin des stéréotypes. Hors les murs, ou dans des lieux inattendus (le bar tabac reste le meilleur lieu de cocréation !), le design doit pouvoir laisser s’exprimer l’âme des lieux, les regards, les histoires… plutôt que de plaquer des mécaniques de projet. L’occasion de remettre au goût du jour le principe “Less is more”… sauf qu’il s’agit ici de s’appuyer sur les infrastructures existantes… et d’amener de la dynamique avec des interventions quasi immédiatement visibles.
Des actions tactiques
Inutile de promettre la Lune, les voitures volantes et les lendemains qui chantent. Les interventions ne visent pas à “réinventer” les lieux, mais à les révéler. En effet, on n’a pas attendu les concepteurs en tous genres pour vivre les lieux ! A Malicorne sur Sarthe, les étudiants après une immersion de quelques jours ont pu développer, à l’écoute des habitants, des projets, de l’aveu même des élus, inattendus. Attendus sur la question de la faïence (spécialité de Malicorne), les scénarios ont porté autour de 4 interventions échelonnées dans le temps proposant des activités simples comme s’asseoir, redécouvrir les façades…
La création de mobilier urbain répond à un premier impératif : “une ville où il fait bon s’asseoir” plutôt qu’une ville de passage automobile. Elle est l’impulsion du changement. Un changement par petites touches et à échelle humaine plutôt que par grands projets où il est toujours difficile… de se projeter. Cette “révélation” des lieux génère de la surprise, de l’inattendu, de nouvelles découvertes sur des lieux déjà connus (topophilie).
Révéler plutôt qu’inventer !
Pour illustrer le travail de designer en milieu rural, l’encadrant de l’atelier à Malicorne sur Sarthe, Julien Dupont, reprend la phrase d’Italo Calvino (Les Villes Invisibles) : «Les villes comme les rêves sont faites de désirs et de peurs, même si le fil de leur discours est secret, leurs règles absurdes, leurs perspectives trompeuses ; et toute chose en cache une autre.” Le designer est ici un “ressourceur” qui révèle les pépites cachées des territoires, souligne le patrimoine et le donne à voir et aussi à vivre avec la participation active des habitants qui y voient aussi la concrétisation de leurs idées et de “l’amour des lieux”.