Le quartier de la guillotière à Lyon, s’inspirer du passé pour construire l’avenir
Le quartier de la Guillotière, à cheval sur les 3e et 7e arrondissements de Lyon, reflète toutes les évolutions de la capitale des Gaules. Resté pendant plusieurs siècles indépendant de Lyon tout en constituant son seul point d’entrée par-dessus le Rhône, le quartier a vécu plusieurs vies toutes aussi passionnantes les unes que les autres.
Quartier de mémoires ouvrières, d’immigration, de multiculturalisme, de rébellion, de commerces, de rencontres et aujourd’hui de gentrification, le caractère protéiforme et complexe de la Guillotière mérite de s’y attarder quelques instants pour comprendre les enjeux de ce quartier.
Ces derniers mois, le quartier de la Guillotière, épicentre de la vie de nombre de lyonnais comme de visiteurs de passage, a défrayé la chronique. Particulièrement depuis le déconfinement de l’été 2020 et jusqu’à la fin de l’année 2021, le quartier et plus particulièrement la place Gabriel Péri dite “place du pont” a été pointée du doigt comme étant devenue un lieu d’insécurité concentrant des problématiques importantes de délinquance. À tel point que certaines enseignes ayant pignon sur rue (McDonald’s et Casino pour ne pas les nommer) ont dû revoir leurs horaires d’ouverture, pour rassurer et sécuriser davantage clients et salariés.
Et pour cause, à la fin du mois de novembre 2021, une émission de télé tournée à deux pas de la station de métro Guillotière a ravivé les passions locales, en donnant la parole aux commerçants légitimement excédés, alors que d’autres collectifs habitants manifestaient contre la tenue-même de l’émission, qu’ils jugeaient stigmatisante pour le quartier. S’il ne faut pas minimiser les problèmes rencontrés place du pont, la plupart des reportages consacrés récemment à la question ont souvent manqué de hauteur pour analyser les causes de cette situation, et les relations avec d’autres enjeux tout aussi essentiels. Le tumulte agitant la Guillotière n’est pas récent, il s’exprime autant par les marqueurs forts d’un passé engagé que par une configuration géographique singulière inhérente au quartier.
La Guillotière, un quartier tumultueux
Si l’étymologie de son nom est encore sujette à controverses (certains penchent par exemple pour le nom d’un aubergiste, d’autres pour le gui des druides), l’origine de son importance ne fait quant à elle aucun débat. Si la “Guill” est devenue si centrale dans la vie des lyonnais, c’est tout simplement puisque le Pont de la Guillotière a pendant longtemps constitué le seul accès au Lyon histoire depuis la rive gauche du Rhône. Ou plutôt par les ponts, puisque de nombreuses reconstructions ont dû être effectuées, sous l’effet des caprices du fleuve, jusqu’à l’édification en 1954 de celui que les lyonnais fréquentent aujourd’hui.
Le quartier s’illustre par son caractère agité de lieu de passage, tout d’abord pour les croisés au XIIe siècle, puis par les fêtards qui viennent profiter du vin moins cher que dans le centre-ville. L’identité affirmée de la Guillotière s’exprime aussi à travers les nombreuses crues qui ont successivement inondé le faubourg et, tout particulièrement, par la tristement célèbre bousculade du Pont de 1711. Cette clameur, c’est enfin les luttes qui ont pris part à la Guillotière, notamment durant un XIXème siècle très agité dans toute la ville, marqué par les canuts de la Croix-Rousse, ouvriers-tisserands à l’origine de nombreuses révoltes ouvrières. L’éphémère Commune Insurrectionnelle de Lyon proclamée plusieurs mois avant celle de Paris et occupant une place moins reconnue dans le récit national s’est d’ailleurs terminée par des combats acharnés au cœur de la Guillotière, pourtant bien moins adaptée que le cœur de Lyon maillé de traboules et qui ont servis à toutes les résistances jusque dans les années 1940.
Tout au long de son histoire, la Guill est également marquée par la stigmatisation. Quartier de lépreux relégués aux portes de Lyon, d’indigents qui s’y installent sans pouvoir payer l’octroi pour traverser le pont, de cabarets et de débauches mais aussi d’immigrés, confrontés au racisme. C’est notamment le cas des italiens, qui ont vu leurs commerces être attaqués en 1894 en “représailles” de l’assassinat du président Sadi Carnot par l’anarchiste Sante Geronomi Caserio.
La transformation de la Guillotière, symbole de la métropolisation lyonnaise
Alors qu’il était historiquement réservé aux “exclus”, la Guillotière est devenue ces dernières décennies un quartier recherché , peuplé d’étudiants comme d’artistes, sans pour autant totalement perdre son caractère tumultueux. En une décennie, la proportion des ouvriers et des employés y est passée de 35 à 30%, alors que celle des professions intermédiaires a parcouru le chemin inverse, de 61 à 66%. Les commerces évoluent progressivement, et certaines enseignes populaires et “ethniques” ont laissé place à des lieux plus “branchés”, comme on peut par exemple l’observer sur la moitié sud de la rue de Marseille ou même à deux pas du fameux îlot Mazagran. Plus frappant encore, l’augmentation du prix de l’immobilier de plus d’un tiers entre 2014 et 2019.
La gentrification de plus en plus flagrante dans le quartier est en partie le résultat de politiques publiques d’aménagement volontaristes au cours des quarante dernières années, que l’on peut notamment illustrer par quatre projets phares : la ZAC “Portes de la Guillotière” de 1986 à 1997, la construction de l’imposant CLIP (Centre Liberté Péri), l’arrivée du métro et du tram en plein cœur de la place du Pont et enfin, une des vitrines mondiales de la capitale des Gaules : les berges du Rhône réaménagées. L’objectif affiché de ces différentes opérations est de profiter de la situation privilégiée du quartier pour tenter d’agir sur des poches de paupérisation ancienne , tout en attirant une population nouvelle.
Mais malgré ce processus de gentrification à l’œuvre depuis plusieurs années, la Guillotière n’a pas perdu son caractère de quartier populaire, et différentes sociologies de populations continuent d’y cohabiter. L’exemple le plus marquant et souvent commenté est celui de la place Mazagran où se font régulièrement face les habitués du Court-Circuit qui boivent un verre en terrasse face aux usagers installés sur les bancs de la place.
Un micro-quartier particulièrement tumultueux où des collectifs d’architectes et d’usagers tentent depuis plusieurs années de proposer une contre-projet à celui de la ville, jugée trop standard et contre les intérêts des habitants historiques. Ces visions alternatives, très détaillées grâce au travail de spécialistes engagés dans la fabrique urbaine, proposent plutôt de recourir à l’acupuncture urbaine et à la densité maîtrisée, pour permettre la transformation de l’îlot Mazagran, sans tomber dans les travers de la gentrification.
Les commerces, vecteurs et freins aux transformations
Si la transformation du quartier se fait principalement “par les étages”, c’est-à-dire par l’habitat, la Guill reste un “quartier de fréquentation et de déambulation populaire cosmopolite”. Au seuil entre ces étages et l’espace public, les commerces historiques et ethniques du quartier ont à la fois accompagné, puis freiné avant de s’adapter à l’évolution de la Guillotière Autour de la rue Passet et du “chinatown” lyonnais, les commerces asiatiques ont beaucoup évolué depuis leur implantation il y a une cinquantaine d’années. C’est en effet au cours des années 1970 que cette communauté s’est installée dans le quartier qui était alors très bon marché. Dès lors, une épicerie puis des restaurants ont progressivement ouvert permettant, d’une part, d’assurer des revenus aux familles nouvellement arrivées, tout en conservant et valorisant leurs racines, et d’autre part, d’assurer une certaine vitalité au quartier contribuant ainsi largement au processus d’intégration de la diaspora asiatique dans la ville.
On retrouve encore aujourd’hui cette idée de “chinatown”dans la devanture de certaines épiceries et boutiques typiques comportant des inscriptions en mandarin. Les fêtes traditionnelles, celle du nouvel an lunaire en tête, animent cette partie du quartier, en attirant des lyonnais de toutes les rives. Sans pour autant totalement perdre leur caractère originel, il est à noter que les générations suivantes ont tendance à proposer des commerces à l’identité moins marquée, afin de s’imbriquer au mieux dans la nouvelle offre commerciale et servicielle accompagnant la gentrification du quartier. Cette stratégie, qui reste avant tout commerciale, permet “la valorisation patrimoniale et mémorielle à travers une mise en tourisme [qui] pourrait alors être un levier de préservation de l’identité des quartiers asiatiques face aux dynamiques de gentrification”.
À l’inverse, les commerces informels de la place du Pont semblent résister à la dynamique de transformation du quartier, alors même que des chercheurs spécialistes de la question prévoyaient que la rénovation et l’arrivée du métro allait signer la fin de la médina lyonnaise. Dans les années 2000, des aménagements inspirés de la prévention situationnelle ont été mis en place. À la suite de la construction du Clip, des objets emblématiques du mobilier urbain, à l’image d’imposants bacs à fleurs, ont été installés pour réduire l’emprise de ces commerces informels , en tentant de refermer la surface du marché sur l’îlot de la placette située à l’arrière de l’arrêt du tram.
Pour autant, ces méthodes n’ont pas eu l’effet escompté, et la nouvelle municipalité écologiste cherche aujourd’hui à réaménager une nouvelle fois cette place du pont. Après une phase houleuse d’ateliers et de concertation, le projet municipal entend progressivement piétonniser la place et ses alentours, afin de l’apaiser et de valoriser sa fonction urbaine initiale de rencontres et d’échanges, tout en ouvrant une “Maison du Projet” pour poursuivre la dynamique de concertation avec les usagers et habitants.
On ne peut pas résumer la Guill’ à un quartier dangereux ou à une “no-go zone” comme certains reportages ont pu tenter de le faire hâtivement. La vie tumultueuse du quartier s’inscrit dans une histoire longue qui continue d’agiter ses murs et ses âmes. Plutôt que d’essayer de contraindre et d’effacer cet héritage, c’est bien en s’appuyant sur ces mémoires de fêtes, de rencontres, de luttes et de brassage migratoire, que la Guillotière pourra se réinventer comme elle le fait d’ailleurs depuis des siècles, par l’intérieur et en écho à une ville en perpétuel mouvement.