“Le problème du monde moderne, c’est qu’on a enfermé des gens chez eux” : retour sur le Festival Demain la Ville #3
Après avoir évoqué les enfants, les artistes et les artisans, il fallait s’intéresser à un troisième acteur trop souvent oublié des thématiques urbaines : le monde du vivant. Pour cette troisième et dernière table ronde du Festival Demain la ville, faune et flore étaient conviées sur le devant de la scène. Il faut bien admettre que le “non-humain” se retrouve rarement au centre des préoccupations. Pourtant, la ville ne pourra pas se faire sans une reconnexion avec la nature, dont on sait qu’elle est au cœur des attentes et désirs citadins. Et c’est à cette épineuse équation que devaient répondre les quatre intervenantes et intervenants réunis pour conclure cet événement en apothéose.
L’empathie pour construire une ville du relationnel
Il fallait au moins un détour par la philosophie grecque pour aborder un si vaste sujet. En guise d’introduction, Olivier Frérot propose donc une étymologie du mot “vivant”.
L’ex-ingénieur reconverti philosophe, auteur de l’ouvrage “Vers une civilisation de la vie”, s’interroge avec le public : “Qu’est-ce qu’une ville qui a une âme ? Est-ce qu’il est possible d’y avoir des expériences de vie rares, des moments transcendants ?” Selon lui, “on est en train de quitter une civilisation du rationnel, pour aller vers une civilisation du relationnel”. Le glissement sémantique incite à la rêverie. Mais comment se traduit-il concrètement ?
Pour Laurent Michelin, directeur du Design chez Bouygues Immobilier, il faut innover autrement. “Il faut partir de la vie, et non des technologies. Il faut partir de la vie des gens, de leurs usages et de leurs besoins, de la vie des non-humains aussi. Et il faut concevoir la ville par rapport à ça.” C’est dans cette optique que Bouygues Immobilier a reformulé ses méthodes internes en prenant le virage du design, déjà évoqué sur les deux tables rondes précédentes.
La nature comme expérience sensorielle
“Le design, c’est se mettre en empathie par rapport à l’utilisateur”, précise Laurent Michelin. C’est cette même empathie qui nourrit le travail d’Olivia Conil-Lacoste, directrice Développement Durable et RSE, elle aussi chez Bouygues Immobilier. Le concept de jardin-signature qu’elle a développé, et dont un aperçu est proposé aux visiteurs du Festival, offre “un écrin de nature vecteur d’expériences et de sensorialité”. La ville vivante est donc aussi une ville sensible, tissant un fil rouge avec les autres échanges du Festival.
Le contact sensoriel avec le monde est, lui aussi, au cœur de la démarche de Duncan Lewis, architecte-designer venu présenter ses différents projets – ses “enfants”, comme il les appelle. “Le problème du monde moderne, c’est qu’on a enfermé des gens chez eux. On a diminué nos contacts avec l’extérieur, on s’éloigne nous-mêmes de notre environnement, proche ou lointain. Et c’est pour ça qu’on est aujourd’hui confronté aux dérèglements climatiques.”
Sortir du passé pour affronter le présent
Duncan Lewis a raison de le rappeler. Depuis les Lumières et la Révolution Industrielle, l’homme s’est progressivement coupé de la nature. Ce constat inspire, chacun à leur manière, tous les intervenants présents autour de la table. Une fois le diagnostic posé, comment formuler le remède ? Là encore, chacun son angle d’attaque. Laurent Michelin travaille par exemple sur un “concept-building”, à la manière d’un concept-car appliqué au secteur du bâtiment. “On utilise le design fiction et les imaginaires. C’est impossible de changer de façon de faire si on reste dans le schéma de pensée qui a généré le problème.”
Sa collègue Olivia Conil-Lacoste va même plus loin. Selon elle, “les promoteurs vont être de plus en plus contraints à créer des ‘communs de nature’.” Autrement dit, à fabriquer la nature et la ville entremêlées, loin des fantasmes de bétonneurs d’autrefois. L’ambition est élevée, et les choses ne changeront pas en un claquement de doigts. “Est-ce qu’il est vraiment possible de changer dans cette dureté du système techno-scientifique”, s’interroge Olivier Frérot, sceptique ? Ce à quoi Duncan Lewis rappelle, en guise de conclusion, que nos sociétés n’ont plus vraiment le temps d’attendre. Et pour ça, l’Écossais a un secret : “rester jeune”. Il faudra au moins cette ouverture d’esprit pour affronter les défis qui attendent la fabrique de la ville… et pouvoir continuer à rêver d’un espace urbain plus sensible, empathique et surtout verdoyant !
L’intégralité des échanges est disponible en vidéo ci-dessous !