Le privé à la rescousse des monuments romains
Afin de boucler le budget des rénovations de son patrimoine historique, Rome expérimente un système de sponsoring permettant à des entreprises privées de financer les travaux. Verra-t-on bientôt le logo Starbucks sur le Colisée ?
Détérioration de l’éternité
De longue date, les finances de la capitale italienne inquiètent. Endettée depuis la crise de 2008, la ville a suspendu les programmes de rénovation dans certains quartiers. Le chercheur Pierluigi CERVELLI parle ainsi d’une stratégie de détérioration : Ainsi les quartiers centraux les plus aisés, et ceux qui bénéficient du tourisme historique sont les mieux entretenus. Souvenez-vous, nous vous parlions ici d’un collectif de réparateurs clandestins : exaspérés par l’état des routes romaines, ils réparaient eux-mêmes les nids de poule.
Le sujet de l’entretien de la capitale italienne est particulièrement brûlant quand on pense au patrimoine historique de la ville. Avec plus de 1 400 hectares classés au patrimoine mondial de l’UNESCO, le centre historique de Rome est, comme chacun le sait, un musée à ciel ouvert. Cet héritage constitue le coeur de la culture et de l’identité italienne, il est d’ailleurs le moteur du tourisme en Italie. Et dans le même temps, protéger ces bâtisses millénaires du passage du temps et des visiteurs représente un gouffre financier.
La recette du Covid
Tout cela devient très préoccupant lorsqu’on mesure les effets de la crise du coronavirus. À en croire l’agence nationale de tourisme italien, Rome aura subi une baisse de 44% du tourisme en 2020. Et il faudra peut-être attendre 2023 pour retrouver le nombre de voyageurs de 2019. Les visiteurs représentent habituellement 13% du PIB de la région romaine, c’est donc une énorme manne financière qui s’est tarie en 2020. Vidée de ses touristes, Rome s’est surtout vidée d’une partie de ses recettes.
2,4% du budget municipal est actuellement alloué à la restauration du patrimoine, quand l’État italien lui y affecte 1% à l’échelle nationale. Bloomberg City Lab.
explique Luca BERGAMO, adjoint au maire, àLe privé à la rescousse
Dans cette logique, un partenariat expérimental a été mis sur pied entre la municipalité de Rome et Confindustria, l’organisation patronale italienne. Il entend faciliter les opérations de mécénat et de sponsoring à destination des monuments historiques, afin d’en financer les rénovations. Ainsi les milliers d’entreprises membres de Confindustria – et aussi celles qui n’en font pas partie – pourront faire des propositions chiffrées sur leur volonté de financer la rénovation de monuments historiques. Et ce, de manière publique et transparente pour permettre des contre-propositions. En retour, elles peuvent apposer leur logo et utiliser l’image du monument dans leur communication.
L’étendue et le coût des travaux est variable : la Fontaine de Neptune a besoin de 230 000 euros pour sa rénovation, quand l’entretien des murs antiques de la ville exige 70 millions d’euros. La maintenance des nombreux parcs publics se chiffre à 200 millions d’euros. Une telle approche n’est pas nouvelle, elle trouve son fondement dans l’histoire du mécénat de l’art italien, et des échos dans l’actualité récente.
Rien de nouveau
En 2015, la marque de prêt à porter Fendi participait à hauteur de 2,2 millions d’euros à la rénovation de la Fontaine de Trevi. La marque organisait dans la foulée un défilé dans la fontaine pour son 90ème anniversaire. En 2016, le groupe Tod’s payait 25 millions d’euros pour aider à restaurer le Colisée. Ailleurs que dans les vieilles pierres, la chaîne de magasins d’alimentation Eataly s’est offert une campagne de publicité parfaite, en participant à la rénovation du tableau de Léonard de Vinci, La Cène.
La nouveauté de ce programme est l’ampleur du partenariat. En facilitant ces opérations auprès d’un groupement d’entreprises, l’expérimentation pourrait se généraliser et se systématiser. Elle permettrait de diversifier les ressources dans la rénovation coûteuse du patrimoine italien, et de faire respirer les finances municipales. Pour autant, elle interroge certains.
La présence de publicités ou de logos sur le patrimoine historique a toujours suscité l’émoi des habitants et des touristes. En 2010, une pétition internationale s’était opposée à la présence de panneaux publicitaires sur différents monuments vénitiens en rénovation. Autre argument, ces opérations de sponsoring pourraient accélérer la privatisation de l’espace public : l’entreprise la plus offrante pourrait s’arroger des bâtisses, des morceaux de ville et d’une certaine façon des pans de l’histoire. Enfin, certains y voient un moyen pour les marques de faire du « culture-washing » comme on fait du green-washing, c’est à dire de lisser leur image par la culture.