Le pouvoir caché des technosols
Pour faire face aux défis climatiques et endiguer l’étalement urbain, la ville doit apprendre à transformer ses terres artificialisées. Mais comment recréer du sol fertile là où le béton est passé ? De plus en plus d’ingénieurs agronomes travaillent sur des sols reconstitués à partir de déchets urbains.
Dans les premières lignes de sa thèse de doctorat en sciences et techniques de l’environnement, Charlotte PRUVOST souligne un paradoxe absurde de l’aménagement contemporain. Pour l’aménagement d’espaces verts urbains, des terres naturelles de qualité sont prélevées dans des sols agricoles et naturels. Dans le même temps, des volumes gigantesques de déblais issus du secteur du BTP sont mis en décharge en périphérie des villes. Ces deux opérations dégradent l’environnement et induisent des émissions carbone liées au transport. Et si l’on court-circuitait ces pratiques ? Et si les déblais urbains servaient à faire de la terre fertile ?
Techno-quoi ?
Créer de la terre fertile avec des déblais, l’idée semble contre-intuitive. Et pourtant, c’est l’idée enthousiasmante qui se développe autour de ce qu’on appelle des technosols. En effet, depuis quelques années, les ingénieurs agronomes explorent les possibilités dans ce domaine. Défini en 2006 par l’International Union of Soil Sciences (IUSS), le technosol est un sol modifié par l’activité humaine.
Particulièrement en milieu urbain et dans les friches industrielles, les technosols se constituent spontanément à mesure que des débris et des déchets domestiques se mêlent à la terre. Mais ils peuvent également être conçus et assemblés pour assurer certains services comparables à un sol naturel.
annonce la doctorante. Encore faut-il trouver la bonne recette et les bons ingrédients.Mécanique de l’humus
Pour cela, il faut comprendre comment fonctionne un sol. Laura ALBARIC, ingénieure écologique et responsable environnement à la ville de Saint-Germain-en-Laye nous explique la petite mécanique de la terre.
Ainsi le sol se décompose en plusieurs couches plus ou moins profondes appelées horizons, dont la composition et les caractéristiques varient. Se rapprocher du fonctionnement d’un sol naturel implique de reconstituer ces horizons avec du substrat minéral et du compost. Ainsi des bétons concassés inertes, de l’argile et des déchets verts (bois, feuilles mortes, compost…) peuvent entrer dans la composition d’un technosol fertile capable d’héberger une faune, une flore et une fonge, donc du vivant.
“Un sol vivant est un sol autonome”
Laura ALBARIC s’inscrit dans les propos du documentaire Solutions locales pour un désordre global de Coline SERREAU qu’elle mentionne.
Laura ALBARIC poursuit : documentés, notamment par l’Agence Régionale de la Biodiversité (ARB), parmi eux on compte la gestion des inondations, la captation du carbone et la lutte contre les îlots de chaleur. Le technosol pourrait aussi permettre de bloquer l’infiltration de certains métaux lourds, lorsque les terrains en question ont été pollués par l’homme.
Les services écosystémiques rendus par la nature en ville ont été largementLes jeunes pousses
Encore balbutiantes, ces techniques commencent à se développer. À Épone dans les Yvelines, l’entreprise ECP spécialisée dans la réutilisation de terres inertes issues du BTP a inauguré cet été un stade de vélo-cross à partir de déblais d’Île de France. L’entreprise Valorhiz à Montpellier se spécialise dans les projets de végétalisation de terrains anciennement exploités. La métropole du Grand Lyon s’est également intéressée à ces techniques et la ville de Saint-Germain en Laye est en train de créer des jardins suspendus sur dalle dans le quartier Bel-Air.
Ces initiatives bénéficient du retour d’expérience du programme de recherche et de construction Siterre, commencé en 2010 et soutenu par l’ADEME. Ses conclusions sont réunies dans un ouvrage de référence sur le sujet.
Les connaissances sur les technosols participent d’un changement de regard sur les déchets inertes de la ville et s’inscrivent dans les logiques d’urbanisme circulaire et de métabolisme urbain. Changer ainsi de point de vue permettrait
d’après Laura ALBARIC, qui ajoute que le principal frein aujourd’hui est la méconnaissance des aménageurs sur le sujet.