Le PLU bioclimatique est un coup politique
L’année dernière la ville de Paris annonçait son intention d’engager la révision du PLU dans une approche bioclimatique. Nous avions alors interviewé Emmanuel Grégoire, adjoint à l’urbanisme pour la ville de Paris pour qu’il nous présente les enjeux de cette révision.
Aujourd’hui, alors que la procédure de diagnostic se termine et que démarre une consultation sur les grandes orientations du PLU*, plusieurs voix s’élèvent déjà pour dénoncer son manque d’ambition. Nous avons discuté avec Christine Nedelec et Bernard Landau, respectivement présidente et membre de la FNE Paris, fédération d’associations environnementales.
Vous avez publié une lettre assez critique sur la révision du PLU en cours. Pouvez-vous nous expliquer ?
CN : La révision en cours est présentée comme un moment historique de l’urbanisme de la capitale, un véritable changement de paradigme en faveur de l’écologie. Mais force est de constater que les efforts ne sont pas au rendez-vous. Nous regrettons notamment que le diagnostic établi par la ville soit lacunaire, il y manque des informations essentielles. Or le diagnostic est très important, car on a besoin d’avoir la photo de la réalité.
C’est grave au point que nous sommes en train de créer nos propres cartes pour calculer nous-même la superficie des espaces verts, les densités etc. La ville comptabilise les jardinières dans les espaces verts par exemple. Nous ne sommes pas du tout d’accord avec cela, ce n’est pas possible de comparer la pleine terre et une jardinière. L’OMS recommande 15m2 d’espaces verts par habitant, à Paris on est plutôt vers les 3m2. Sans un diagnostic précis, on ne peut pas faire de bilan. On peut encore moins faire une règle d’urbanisme qui vise des objectifs précis.
L’approche bioclimatique est-elle satisfaisante à vos yeux ?
CN : La première fois que j’ai entendu parler de bioclimatisme c’était pour la ZAC Bercy Charenton, on prévoyait de faire six tours bioclimatiques. Ce bioclimatisme là, c’est du greenwashing. En fait, tout dépend de comment on évalue les projets. Si on ne retient que le critère des émissions carbone du bâtiment, on ne change rien. On peut multiplier les projets soit disant passifs ou bas carbone et continuer à densifier, ça ne règle pas les problèmes. Un projet est toujours plus émetteur que pas de projet, et Paris est déjà trop dense. Il faut “atténuer et adapter” la ville au dérèglement climatique.
BL : Si on donne un sens au mot bioclimatique, c’est une ville saine pour les habitants, qui est aérée, qui favorise la biodiversité et qui arrête de se sur-densifier. Il faudra examiner les articles précis qui vont refonder le document d’urbanisme. C’est au pied du mur qu’on saura précisément ce qui se passe. Mais il est à peu près certain si l’on se projette à 30-40 ans que la ville de Paris est trop dense. Pour l’instant, le PADD* qui a été rendu public n’est pas rassurant. On rejoint ce que dit notre ami le géographe Guy Burgel dans sa tribune au Monde : la mairie fait un inventaire de vœux pieux qu’elle n’arrive pas à mettre en cohérence.
Comment expliquez-vous cela ?
BL : Il y a des désaccords sur le bilan des évolutions récentes de l’urbanisme parisien. La municipalité essaye d’opérer un tournant mais sans avoir tranché ce débat, ce qui la place dans une sorte d’impasse. J’ai raconté en détail ces évolutions au sein de la contribution au diagnostic du PLU de FNE Paris. Ces 10-20 dernières années sont marquées par la libéralisation de la règle urbaine. On est passé d’une densification mesurée à une sur-densification de la ville. Pour aller vite, c’est le fait d’évolutions législatives nationales, accentuées à Paris par la politique mise en place par Jean-Louis Missika en tant qu’adjoint au maire chargé de l’urbanisme. Sa volonté était de faciliter l’accès du marché parisien aux investisseurs, ce qui a permis de construire toujours plus en habillant le discours par le fait que pour lutter contre l’étalement urbain il faut densifier la ville.
La mairie fait ces arbitrages parce qu’elle a besoin de la rente foncière pour son propre équilibre financier et parce qu’elle est coincée par le périphérique. Ce qui l’amène à fortement densifier la ville. Or, si l’on regarde les problèmes sociétaux liés au changement climatique et les enjeux de la construction métropolitaine, cette donne est probablement dans une impasse. Ce cycle-là est en train de s’épuiser.
C’est-à-dire ?
CN : Il n’y a plus de foncier. Depuis 40-50 ans, on a épuisé le foncier disponible à Paris. Ils essayent d’en trouver : les espaces verts intérieurs, les sous-sols, les ponts, les trottoirs etc. La conséquence est que Paris devient invivable. Les transports publics sont congestionnés, les appartements réduisent de taille alors que les loyers augmentent, le phénomène d’îlot de chaleur est très fort… C’est de plus en plus difficile de rester en bonne santé à Paris.
BL : Autour du périphérique, la ville considère qu’on peut encore densifier. Nous on dit l’inverse. C’est la ceinture verte, les talus du périphérique ne sont pas là pour être construits. Il faut les préserver, quel que soit l’avenir de la circulation du périphérique. La solution pour équilibrer le budget parisien n’est certainement pas de continuer à construire massivement des bureaux ou de densifier l’existant. On a des visions opposées, mais la messe n’est pas écrite. Remarquez qu’un nombre significatif d’opérations des “Réinventer Paris” rencontrent de graves difficultés comme le projet Mille Arbres de la porte Maillot. Elles avaient pourtant un rôle démonstratif de cette politique. C’est tout à fait symptomatique, les juges l’ont refusé au regard des arguments environnementaux. C’est ce qui va se passer à l’avenir. Il y a un vrai frémissement qui montre que le code de l’environnement peut l’emporter sur le code de l’urbanisme. À mon avis, on est au pied d’un tournant inéluctable.
Votre fédération rassemble des collectifs d’habitants mobilisés contre ces projets. Quelles tendances observez-vous du côté des parisiens ?
CN : Notre fédération existe depuis fin 2018, c’est très récent. On n’a pas de chiffres à l’appui, mais empiriquement c’est évident que nous constatons de plus en plus de mobilisations locales qui s’opposent à des projets accordés sous leurs fenêtres. La tour Triangle, le quartier Reille dans le 14ème, Netter Debergue dans le 12ème, la gare du Nord, mais aussi les travaux de la tour Montparnasse, la suppression d’espaces verts de la cité Universitaire… La liste est très longue. Les habitants sont accusés d’être des NIMBY égoïstes, de refuser toute évolution de leur quartier. Mais c’est plutôt l’inverse, ils acceptent déjà beaucoup trop. Les projets sont tellement abusifs qu’ils en deviennent malades et nous appellent à la rescousse.
Pour vous situer, notre fédération naît à la suite de la modification de 2016 du PLU. Elle a été dramatique pour Paris car elle a lancé la machine à bétonner comme jamais. Nous avons réalisé une vidéo très claire là-dessus avec SOS Paris. C’est parce qu’on a voulu attaquer en abrogation cette modification qu’on a créé l’association. La procédure d’abrogation est en cours d’ailleurs, on est en appel. Notre critique du nouveau PLU bioclimatique s’inscrit précisément dans cette continuité.
Vous dénoncez une concertation peu démocratique, menée “à la hussarde”.
CN : En fait, ils confondent les modalités d’expression et la co-construction de la décision. On a beau s’exprimer, les décisions vont toujours dans le sens de leur programme. Ils multiplient des artifices de concertation de tous les côtés mais ça ne débouche à rien. Ils ont organisé une conférence citoyenne, c’est très sympa sauf qu’en fait c’est toujours au rabais. Ça n’a rien à voir avec la Convention Citoyenne pour le Climat. Ils ont fait trois journées de formation avec des experts proposés par la ville, il n’y a pas eu de démarche d’expertise menée par la conférence citoyenne elle-même et les restitutions n’ont pas été faites correctement. Elles n’ont servi qu’à valider le programme de la ville.
BL : Ça n’engage que moi, mais je pense que la municipalité parisienne veut faire une démonstration emblématique, être la première ville à faire un PLU bioclimatique pour montrer aux autres villes de France ce qu’il faut faire. Elle veut ainsi prendre de vitesse la région qui est en train de produire son propre règlement avec la révision engagée du SDRIF*.
CN : C’est un coup politique. Ce n’est pas un coup d’intelligence collective.
Rappels :
Le SDRIF est le Schéma Directeur de la région d’Ile-de-France, c’est un document de planification à l’échelle régionale auquel les différents PLU doivent se conformer.
Le PADD est le Projet d’Aménagement et de Développement Durable. Élément du PLU, il donne les grandes orientations d’aménagement du territoire.
Le PLU est le Plan Local d’Urbanisme, c’est un document technique qui détermine pour chaque parcelle d’une commune les règles d’urbanisme applicables.