Le numérique dans la ville, des avancées et des interrogations
L’Ecole de design Nantes-Atlantique a été invitée à participer et à rendre compte des échanges du Sommet mondial Ecocity. Une chronique en 10 articles questionnant les enjeux de la ville durable.
Dématérialisation. Il semblerait que depuis quelques années ce soit devenu un mot d’ordre. Nos impôts, nos fiches de paie, nos usages courants… tout y passe. But affiché de l’opération : nous faire faire des économies d’argent et de ressources. Le numérique serait donc l’allié du développement durable. Pourtant, selon l’ADEME « l’univers des technologies numériques aurait une empreinte carbone équivalente à celle de l’aviation civile sur une année ». Alors qu’en est-il réellement ? Doit-on tout miser sur la technologie numérique, formidable terreau d’innovations pour vivre la ville durable ? Existe-t-il un paradoxe entre numérique et ville durable ?
Le numérique, levier d’innovations pour une ville durable
Imaginez : quel pourrait-être le destin de nos pêcheurs si l’on pouvait prévoir exactement où et quand apparaissent les poissons ? C’est désormais une réalité puisque des chercheurs ont mis au point des outils de mesures et de captation permettant aux travailleurs de la mer de prendre le large uniquement lors de l’apparition de fortes zones poissonneuses. Ainsi, en limitant les déplacements, ils augmentent leur rendement tout en diminuant la pollution provoquée par les moteurs de leurs bateaux. C’est grâce à cette création de nouveaux services que le numérique est passé maître dans l’organisation et la régulation de la ville.
Evidemment, l’apparition du »tout » numérique peut autant apeurer que susciter des polémiques liées à l’environnement. Mais il est indispensable de regarder le monde dans son ensemble afin de prendre conscience des changements engendrés sous nos yeux : le numérique est devenu un outil du quotidien.
Aujourd’hui, les données récoltées à l’aide de capteurs qui transitent par les divers réseaux de la ville (comme les transports) sont autant d’informations capables d’être traitées, analysées et diffusées, en faveur d’une ville plus intelligente et autonome, et donc, a fortiori, durable. La technologie est aussi cruciale qu’indispensable afin d’établir des nouvelles façons de penser, la ville se trouvant être le terrain idéal des possibles.
Les limites du « tout numérique »
Si le numérique permet de réguler la ville et de la rendre ainsi plus durable, qu’en est-il des importantes quantités de TIC fabriquées à cet effet ? En effet un équipement qui va faire objet d’une innovation va entrainer un gain en autonomie, en maintenance et donc en argent mais qui lui sera utilisé pour fabriquer encore plus de TIC. Prenons l’exemple des liseuses, ces petits objets prêts à concurrencer le bon vieux livre. Afin d’être rentable en équivalent carbone, il faudra acheter pas moins de 18 livres numériques sur son IPad et 23 sur Kindle. Le progrès et les services intelligents apportés à la ville ne permettent malheureusement pas de faire diminuer les gaz à effet de serre engendrés par le numérique.
Pour faire face à ces paradoxes, la Green Digital Charter vise à faire travailler les villes de l’Union Européenne ensemble afin de relever les défis climatiques actuels grâce à une utilisation juste des technologies dans les villes. Son principal objectif est la diminution de l’empreinte carbone des TIC de 30% dans les dix ans à compter de la signature. 30 grandes villes européennes ont d’ores et déjà signé ce texte.
Et le design dans tout ça ?
Rappelons que le designer a pour mission de rendre ergonomique et intuitive la manipulation d’objets et services numériques. Il doit apporter la notion d’usage dans la relation de produit à utilisateur. Le designer tient donc une place prépondérante dans la fabrication de la ville durable. En effet, il est capable de créer un usage invitant l’utilisateur à changer son comportement en faveur d’une logique de développement durable.
Selon Adam Greenfield, l’avenir de nos villes reposera sur de nouveaux modes de perception et d’expérience basées sur les données temps réel et retours utilisateurs. Les données générées par les habitants et les infrastructures d’une même ville ont donc un réel potentiel. Il est alors question de redistribuer ces données et de les diffuser aux habitants de la cité, dans le but de leur faire adopter des comportements plus intelligents et responsables. Le designer intervient alors dans la façon de diffuser ces données en choisissant le médium le plus adapté (web, signalétique, application, borne, etc.) et en s’employant à les rendre lisibles et accessibles à l’aide d’une représentation graphique appropriée. Prenons l’exemple des parkings : on signale en temps réel les places disponibles grâce à des capteurs pour orienter l’usager directement vers un endroit où il peut se garer. On limite donc les déplacements et la pollution générée.
Pour Félix Lepoutre, étudiant en 5ème année à l’école de design Nantes Atlantique, il s’agit d’impliquer le citoyen dans une consommation plus intelligente de l’éclairage public : « mon objectif est de rassembler les habitants d’un quartier autour d’un projet d’envergure sociale et d’économie d’énergie. Je pense qu’il est impératif de replacer les acteurs qui forment la cité au centre du processus de la ville durable. Ils sont une force majeure et c’est à nous – designers – de définir de nouveaux usages de la ville intelligente pour les impliquer judicieusement avec une consommation responsable des TIC ».
Par Félix Lepoutre, étudiant en 5ème année option Information Design