Le métavers et les métavilles
Boosté par le confinement, le métavers fait son retour. Alors que les GAFAM multiplient les annonces pour développer leurs propres mondes virtuels, la ville de Séoul est la première municipalité à se lancer dans l’aventure. Elle entend notamment rendre plus transparente l’interaction entre les pouvoirs publics et les habitants.
Les gros sous
Ces derniers mois, différents acteurs de la tech ont déclaré leur intérêt pour le métavers. Le studio de jeu vidéo Epic Games qui développe le très célèbre Fortnite vient d’acquérir Harmonix (le studio à l’origine de Guitar Hero) dans l’optique de booster l’aspect musical de son métavers. Microsoft y voit l’avenir de son application de visioconférence Teams. Enfin, Facebook a ni plus ni moins changé son nom en faveur de Meta et prévoit investir 10 milliards de dollars dans le métavers pour la seule année 2021. Un montant absolument colossal, pour un concept encore assez flou.
Mais commençons par le commencement, le métavers c’est quoi ? Le terme semble avoir été utilisé pour la première fois en 1992, dans le roman de science-fiction Snow Crash de Neal Stephenson. Contraction de méta et univers, il désigne un monde virtuel immersif dans lequel évoluent des avatars du monde réel. Le jeu vidéo Second Life en a été pendant longtemps la principale illustration. Il permettait (et permet encore) aux joueurs de s’inventer une vie numérique : aller faire du shopping, voir des concerts, lancer son entreprise etc.
Internet incarné
Mais jusque là, tout restait dans le jeu. Dans sa nouvelle mue, le métavers offrirait les mêmes services mais à partir de la réalité. À l’intérieur du monde virtuel, votre avatar essaye des vêtements que vous pouvez acheter dans la vraie vie, il participe à des réunions pour votre vrai boulot, il assiste à des concerts d’artistes qui existent ou visite l’appartement dans lequel vous vivrez… Le métavers est présenté comme une évolution naturelle d’internet, où chaque site web proposerait à terme une version immersive.
Au lancement de l’application Horizon Worlds qui acte l’évolution stratégique de Facebook, Mark Zuckerberg a décrit le métavers comme une sorte « d’Internet incarné où, au lieu de simplement afficher du contenu, vous êtes [dans ce contenu] ». Autrement dit, au lieu de scroller indéfiniment la page d’accueil du réseau social, votre avatar est téléporté à l’intérieur de Facebook, dans un monde mis en scène en 3D. Il peut y évoluer librement, modifier votre environnement, retrouver les avatars de vos amis, leur parler et jouer avec eux.
Métavers de la machine à café
L’idée défendue par Mark Zuckerberg est de continuer à rapprocher les gens et d’améliorer le sentiment de proximité avec eux. Pour être immersif, le métavers nécessitera un casque de réalité virtuelle dans la plupart des cas. Ainsi, la mise à distance provoquée par le fait de regarder un écran serait abolie. Au lieu d’avoir une mosaïque de visages sous les yeux lors de votre prochaine visioconférence, vous serez dans une salle de réunion virtuelle avec un.e collègue à gauche et un.e autre à droite. Au lieu de faire défiler des photos de chaussures, votre avatar peut les essayer. « C’est une façon spatialisée de consulter des données » résume-t-on au micro de France Culture.
Aujourd’hui le métavers sert essentiellement aux expériences vidéoludiques : concerts et jeux. Moment séminal du métavers moderne, le jeu en ligne Fortnite avait accueilli une série de concerts du rappeur Travis Scott pendant le confinement, cumulant plusieurs dizaines de millions de spectateurs. Mais imaginez maintenant ce paradigme appliqué à d’autres secteurs. La formation au pilotage ou la thérapie comportementale utilisent déjà des mondes virtuels.
Les villes virtuelles
De façon plus confidentielle, la maintenance d’avions et de bateaux se fait également avec l’aide de maquettes virtuelles. La fabrique de la ville ne sera probablement pas exemptée. Dans le secteur du BTP, le building information modelling (BIM) se développe pour faciliter les visites grandeur nature de projets, la conduite des chantiers ou la maintenance du bâtiment. Dans cette veine, on peut imaginer la mise en place de processus de participation citoyenne plus sophistiqués et plus démocratiques. En allant plus loin dans le concept de jumeau numérique, on entrevoit des villes entièrement virtuelles dans lesquelles tous les citoyens ont leur avatar.
Les smart cities les plus avancées se lanceront dans cette course, comme le laisse présager l’annonce de Séoul. À la fin de l’été, la capitale coréenne a déclaré investir 3,3 milliards de dollars d’ici 2030 pour créer son métavers. C’est donc la première ville à entrer dans la danse. Le projet est d’établir une plateforme de communication avec les administrés, permettant d’accéder à différentes offres culturelles et touristiques, tout comme aux services municipaux essentiels. Toujours munis d’un casque de réalité virtuelle, les Séouliens pourraient rencontrer (les avatars de) leurs élus et leurs adresser leurs réclamations, demander des documents officiels ou des permis de construire.
Avatar de tendance ?
Quels sont les obstacles ? Si le métavers a bénéficié d’un vent favorable avec le confinement, on peut s’interroger si l’humanité désire vraiment passer sa journée derrière un casque de réalité virtuelle. Des questions de droit se posent aussi, dans la mesure où des agressions sexuelles ont déjà eu lieu sur le métavers mais n’entrent dans aucune case juridique. Via les données comportementales du métavers, le ciblage publicitaire pourrait accélérer sa mutation vers le neuromarketing. Et par ailleurs, l’idée d’un service public uniquement accessible avec un casque à plusieurs centaines d’euros laisse un peu perplexe.
Tendance du moment ou lame de fond, il est fort à parier que votre site d’information préféré ou que votre plateforme de billet de train ne fassent pas leur révolution dès demain. À en croire les investissements en recherche et développement des grands acteurs de la tech, le chemin est encore très long.