Le jeu comme outil de découverte et d’appropriation pour les jeunes ?
Pour tenter de répondre à certaines problématiques urbaines et sociales ayant émergé pendant et après la crise sanitaire, de nombreuses initiatives et actions ont été initiées en faveur de la découverte des jeunes de leurs lieux de vie.
Les jeunes ayant été particulièrement touchés par cette période inédite, les services publics, mais également des associations et collectifs divers ont élaboré des outils et des financements dédiés à une meilleure connaissance de leur territoire. La pédagogie et le jeu deviennent alors une opportunité pour impliquer la jeunesse dans sa vie de quartier.
Alors, le jeu est-il en effet un outil efficace de médiation culturelle et urbaine ? Les animations d’espaces urbains, généralement organisées par des acteurs locaux, participent-elles vraiment à l’appropriation par les citadins de leur territoire ?
En France, ce sont 60% de jeunes qui vivent en milieu urbain. Une jeunesse pour qui l’espace public est souvent assimilé à un espace d’échappatoire, loin de l’école et du cadre familial et revêt un rôle unique dans l’émancipation de ces derniers puisqu’il correspond “à un lieu de socialisation entre pairs, permettant de construire leur identité au travers d’expérimentations et de mise en jeu des règles que la société leur impose”, comme le souligne la Maître de conférences Sciences de l’éducation Sophie Ruel.
Il est vrai que l’espace public est largement investi par les jeunes. En fonction de leur environnement urbain et de leur statut social, leur attachement à l’espace public varie. Pour les jeunes vivant dans les quartiers prioritaires, l’intérêt porté à l’espace public apparaît comme un lieu intermédiaire entre le dedans et le dehors, la famille et les amis, la contrainte et la liberté. L’espace public trouve alors un usage de lien essentiel. Les jeunes habitant en périphérie se trouvent souvent en situation d’enclavement compliquant l’accès au travail, aux lieux de consommation et de loisirs, pouvant participer au renforcement du sentiment d’exclusion. Cette sédentarité ajoutée parfois au manque de moyens, les contraint à se retrouver dans la rue, en bas de leur immeuble, dans le parc du quartier…
Leurs usages vont donc bien au-delà du conformisme des adultes : en effet, ils s’inscrivent dans une pratique plus citoyenne de la ville en utilisant l’espace public comme un lieu de socialisation, de revendication et d’expression. Pourtant, en s’inscrivant dans des pratiques moins fonctionnalistes de l’espace public, la présence des jeunes en ville est souvent portée dans les médias comme source de mésusages, incivilités et conduites addictives. Derrière cette méconnaissance et incompréhension des comportements, l’aménagement des espaces urbains semble évoluer à l’encontre de cette tendance, prenant de moins en moins en considération les besoins et la présence de la jeunesse dans la conception des territoires.
Ainsi, ces nouveaux usages ne sont pas toujours compris comme une rencontre constructive, pourtant, ils permettent aux jeunes de prendre place dans la cité.
Crise sanitaire : un constat de l’importance des espaces urbains
À bien des égards, le confinement et les mesures de distanciation physique ont contribué à une reconnaissance accrue de l’importance de l’espace public comme lieu de rassemblement et besoin essentiel pour la population et particulièrement pour les jeunes. Les citadins ont pris conscience du rôle important de ce milieu de vie pour leur bien-être physique et psychologique.
Les jeunes et les enfants grandissent et s’épanouissent dans l’espace public. Avec le confinement de 2020 cela a été impossible, et ses effets ont été d’autant plus difficiles dans les quartiers prioritaires. Pour ces jeunes, qui se sentent déjà écartés de la société en temps ordinaire, l’interdiction d’occuper et d’évoluer dans l’espace public a été appréhendée comme une seconde mise en quarantaine.
Ne pas avoir accès à cet espace nous confirme, d’une part, l’importance à accorder à la qualité de l’espace public environnant et d’autre part, nous questionne sur les rôles que ce dernier peut jouer, notamment d’un point de vue éducatif. En effet, alors que la pression des écrans est très forte en cette période de confinement, il nous semble primordial d’avoir accès, au plus proche de chez soi, à des espaces publics verts, ludiques, esthétiques, pratiques et sécurisés. Aussi, à l’heure où l’apprentissage se fait à distance, creusant les inégalités entre les enfants, où les cours de récréation et les aires de jeux (espaces de socialisation et de défoulement) sont fermées, l’espace public devrait désormais être envisagé et conçu comme un lieu éducatif ouvert et récréatif.
C’est d’ailleurs face à ce constat que le Gouvernement a lancé en 2020 “Quartiers d’été”, pour renforcer les activités et les services de proximité proposés aux familles des quartiers prioritaires de la politique de la ville. L’objectif est de proposer tous les jours durant les vacances scolaires, une offre d’activités variées mêlant sport, culture, divertissements mais aussi solidarité. Des animations organisées au sein de l’espace public, en pied d’immeuble, permettant d’apporter un moment de respiration et d’épanouissement après un confinement particulièrement éprouvant, notamment pour les jeunes.
On constate en effet que de nouvelles actions se développent dans cette volonté de favoriser à nouveau les rassemblements, les rapports sociaux, de désenclaver les quartiers et de permettre une plus grande appropriation des espaces urbains par la jeunesse et cela, par le seul biais de l’animation et du divertissement. À Genève, par exemple, des murs ont été mis à disposition pour que les jeunes puissent dessiner des graffitis en toute légalité. Ces espaces sont alors devenus des lieux d’expression libre pour la jeunesse genevoise. Une réussite selon les intervenants sociaux, pour qui cette action a permis d’engager, hors des murs, une discussion plus apaisée et plus ouverte avec les jeunes. « Chaque jour, chaque semaine, il y a de nouveaux dessins. Le tag, c’est marquer le territoire, en ayant une certaine liberté« . Ce marquage identitaire permet aux jeunes de se sentir plus intégrés dans leur quartier et facilite ainsi son appropriation.
Le jeu l’animation comme outil de médiation sociale, culturelle et urbaine
La population, et particulièrement les jeunes, souhaitent généralement, et ce sentiment s’est intensifié pendant la crise sanitaire, habiter une ville qui n’a pas pour seule fonction d’être traversante, mais qui offre des possibilités de loisirs, de détente, d’activités et d’interactions. Se rapprocher de cet idéal d’espaces publics ludiques permettrait également de créer du lien, de redonner une dynamique à ces lieux et de se réapproprier le territoire dans lequel on vit.
Une ambition qui se développe de plus en plus aujourd’hui avec notamment l’arrivée d’applications numériques comme Géocaching, qui consiste à utiliser les fonctions GPS du smartphone pour trouver ou dissimuler des “caches” dans divers endroits à travers le monde, à travers la ville… Cela permet de donner un but à une marche en découvrant ainsi un lieu dans lequel on ne serait pas forcément allé. Le principe est d’organiser des chasses aux trésors pour inciter les locaux à sortir de chez eux ou de redéfinir leurs promenades habituelles pour partir à la recherche de caches et ainsi découvrir ou redécouvrir des endroits de leur quartier.
Au-delà de ces démarches innovantes mêlant territoire et technologie, le rôle des collectifs est aussi essentiel dans cette initiative de médiation et de réappropriation urbaine. Les Maisons des Jeunes et de la Culture (MJC) par exemple, qui, grâce à leurs connaissances fines du territoire basées sur l’expertise des citoyens, vont pouvoir appliquer leur savoir-faire au service de projets collectifs d’éducation populaire. Ils ont ainsi la capacité d’organiser, selon les besoins des habitants dans un territoire donné, des ateliers, divers événements et spectacles, des stages culturels ou sportifs, qui visent à favoriser l’épanouissement et l’intégration de tous, tout en offrant une nouvelle image et perspective de leur quartier.
Dans la même idée, les associations ont une importance majeure dans la dynamique des quartiers à la fois par leur expertise, leur engagement et les actions menées. C’est le cas par exemple de l’association Maison de l’Urbanité de Liège qui œuvre à sensibiliser, informer et former les habitants sur l’urbanisme, les transformations et évolutions que connaît leur territoire. Cette association met en place chaque année dans un quartier différent de Liège, un rallye pédestre “Le Rallîdje”, qui a pour but d’amener les habitants et familles à se réapproprier le territoire urbain. Il s’agit alors de parcourir le quartier et d’en (re)découvrir son histoire et son avenir au travers d’aspects urbanistiques, sociaux, culturels… à la manière d’un jeu de piste.
Cette approche sociale et urbaine plus ludique, ainsi que la connaissance fine du territoire, semblent alors être des aspects essentiels dans le développement d’une démarche d’appropriation des jeunes de leur quartier.
Le transitoire comme solution de réappropriation du territoire
L’urbanisme transitoire apparaît également comme une forme d’animation territoriale. Il permet d’accompagner la mutation urbaine dont les quartiers de la politique de la ville font face depuis de nombreuses années, en transformant la ville à petite échelle, de façon ludique, peu onéreuse, et temporaire. Une occupation passagère qui permet d’initier un changement, de changer le visage des lieux et de faciliter l’appropriation du futur quartier et de sa transformation.
Le collectif Bruit du frigo est investi dans cette optique d’intégration des jeunes, des habitants et de tous ceux concernés par le devenir de la ville, par des aménagements transitoires et beaucoup de pédagogie. Pour ce faire, l’association se constitue d’une équipe pluridisciplinaire d’acteurs de la fabrique urbaine, composée d’architectes, urbanistes, associations, artistes, établissements scolaires, MJC, habitants… Une démarche pertinente et judicieuse qui permet de concentrer à la fois des connaissances sur les sujets urbains, techniques, réglementaires mais également sur les sujets d’un ordre plus social.
De cette manière, Bruit du frigo a mené plus de 60 projets pédagogiques auprès de jeunes de 10 à 18 ans. Des ateliers d’exploration urbaine ont été organisés afin d’initier les jeunes à la lecture de la cité, à travers l’acquisition d’outils de compréhension, de création, mais aussi par l’interaction avec l’environnement urbain et humain. Ces différents ateliers font ensuite l’objet d’une production finale restituée publiquement, sous la forme d’expositions, d’installations, d’affichages, de performances ou de projections… Un principe de pédagogie active qui incite les jeunes à se responsabiliser et à devenir acteurs de leur territoire.
Une démarche novatrice qui se développe dans les métiers de la fabrique urbaine, avec une tendance à faire évoluer leurs méthodes de faire la ville, vers un échelon plus local, plus pédagogique et plus intégrateur !
L’animation comme outil d’urbanisme pour demain ?
Ce qui semble certain, c’est que la catégorie de population que forme les jeunes, est un public peu convoité par les dispositifs participatifs traditionnels tels que les débats publics, conseils de quartier, budgets participatifs, conseils citoyens… Pourtant, les jeunes ont un vrai potentiel d’appropriation et donc d’action qu’il paraît judicieux et intéressant de prendre en considération. Les acteurs locaux, collectifs, associations, ont pris conscience de l’intérêt d’inclure les jeunes dans la fabrique urbaine et essayent de plus en plus d’attirer et de tirer parti de la jeunesse habitante.
Ainsi, pour demain, laisser libre cours à l’élaboration de nouveaux outils d’urbanisme plus intégrants de la jeunesse par l’animation, le jeu et le divertissement, pourrait non seulement nous permettre de fabriquer des villes plus en phase avec les besoins des jeunes citadins, mais aussi de requalifier et enrichir nos espaces publics pour favoriser les interactions et ainsi de favoriser les rencontres et le lien social entre usagers. La ludification de l’espace public apparaît alors comme un outil de médiation favorisant le bien être collectif et individuel.
En résumé, la sensibilisation des jeunes aux différents aspects de leur cadre de vie par le jeu et l’animation, engagée par les acteurs locaux, les pouvoirs publics ou encore via des démarches plus numériques, permettent la découverte, la connaissance d’un quartier, d’un espace urbain…
Et finalement, est-ce que cet enrichissement culturel ne stimulerait pas une curiosité et une sensibilité pour le quartier ou même la ville dans lequel on réside, incitant les jeunes à s’engager dans la vie celui-ci ? Est-ce qu’en définitive, l’animation ne favoriserait pas une plus grande participation citoyenne, mais surtout à son envie de faire partie intégrante de sa construction ?