Le futur du territoire s’invente dans les centres sociaux

FCSF
24 Fév 2021 | Lecture 3 min

Acteurs de terrain et promoteurs de justice sociale, les centres sociaux s’efforcent de donner du pouvoir d’agir aux habitants et de faire vivre la démocratie. À la veille du centenaire de la fédération nationale, ils se projettent dans les territoires de demain.

« On jouera ensemble la prochaine fois, mais là on est pile le bon nombre » s’excuse Charly FERRET en refermant doucement la porte sur une curieuse. « Bon, allons-y ! » lance-t-il en se retournant vers ses joueurs. Président du centre social Aires 10, il anime aujourd’hui la partie de « L’avenir est à Nous”, un jeu de plateau qu’il a inventé avec les bénévoles du centre. Adapté à tous les publics, le jeu rassemble aujourd’hui deux équipes de trois : Georgette, Brahima et Sid d’un côté, Saïd, Christelle et David de l’autre. Certains travaillent à Aires 10, d’autres sont des habitants du quartier et fréquentent le centre plus ou moins régulièrement.

Musculation citoyenne

« C’est un jeu de prospective, résume Charly FERRET aux participants. C’est-à -dire qu’on va imaginer le futur pour essayer d’agir dessus. Le but du jeu est d’écrire des scénarios. » Il invite rapidement chaque équipe à créer un personnage, à définir son âge, son sexe, son métier et sa situation familiale. C’est le début du travail d’imagination, qui va ensuite se décliner en différents thèmes, en fonction des cartes tirées au hasard. Projetées à Paris en 2050, les équipes dessinent progressivement leur société idéale en décrivant un système politique, une situation sociale, sanitaire ou migratoire.

De manière ludique et collective, l’exercice permet à chacun de réfléchir aux problématiques sociétales, de se « muscler politiquement » à la manière des concepts d’éducation populaire. Après quelques minutes de jeu, la démocratie et l’écologie ont déjà été abordées. L’équipe chargée de déterminer le système économique décide qu’un revenu universel sera instauré d’ici 2050. La question se pose alors : dans un monde sans inégalités sociales, quelles seront les missions du centre social du futur ?

Scénarios et tendances

Si les idées fusent plus ou moins vite selon les sujets et les participants, les organisateurs veillent à en garder systématiquement les traces. Au-delà du bon moment passé, ces scénarios serviront de base de réflexion pour repenser l’avenir du centre social. Président de la fédération nationale des centres sociaux (FCSF), Tarik TOUAHRIA nous explique : « Tout cela nous sert à agréger des récits, construire un futur souhaitable et de se donner les moyens d’y parvenir. La crise sanitaire a chamboulé le calendrier mais nous ferons un temps de rassemblement pour travailler sur ces grandes transformations avec les habitants, des élus et des chercheurs. »

À l'été 2020, Tarik Touahria succède à Claudie Miller à la présidence de la FCSF - Centres sociaux

À l’été 2020, Tarik Touahria succède à Claudie Miller à la présidence de la FCSF – Centres sociaux

Cette approche participative et ascendante est au cœur de la philosophie des centres sociaux, le jeu “L’avenir est à nous” n’en est qu’une illustration. Elle consiste à donner la parole aux personnes concernées pour identifier des problèmes de leur quotidien et les impliquer dans la recherche de solutions. De cette façon, la légitimité et la pertinence des solutions est bien plus grande que si elle avait été imaginée hors-sol et prescrite par le haut. « On ne veut pas que la ville décide sans nous » résume le président de Aires 10.

Éviter le paternalisme

« C’est une vieille histoire complète Tarik TOUAHRIA. Les centres sociaux existent depuis le début du XXème et la fédération nationale depuis 1922. Ce sont des collectifs de gens et d’habitants qui tentent de répondre aux enjeux de leur territoire avec une approche qui est celle de la responsabilité, l’implication et la participation de tous les acteurs. Dès le début, il y avait l’idée que les principaux concernés devaient mettre en œuvre les changements. Ça ne peut pas se faire sans leur avis, de façon paternaliste. »

Acteur de terrain, le centre social est aussi un animateur, chargé de nouer des partenariats et de trouver des réponses collectives aux urgences du territoire. « Notre vocation est de lutter pour la justice sociale » résume le président de la FCSF. Selon les besoins locaux, chaque centre adapte ainsi sa programmation, depuis les ateliers sociolinguistiques (ASL) pour apprendre le français, aux activités sportives en passant par les problématiques de fracture numérique, d’isolement et de vieillissement.

Extrait du reportage photo dans le centre social de Château à Rezé - Marta Nascimento/FCSF

Extrait du reportage photo dans le centre social de Château à Rezé – Marta Nascimento/FCSF

Prendre le pouls

Présents un peu partout sur le territoire, les centres sociaux ont toujours une oreille sur le terrain. Que ce soit en centre ville, dans des quartiers prioritaires, dans le périurbain ou à la campagne, le point commun de ces géographies est l’inégalité face au droit d’après Tarik TOUAHRIA. « Ce sont des territoires où l’offre de service public n’est pas à la hauteur des enjeux ». Quand nait le mouvement des Gilets Jaunes, le réseau des centres sociaux est témoin privilégié de la contestation sociale. Il s’interroge d’ailleurs sur son rôle et son positionnement.

Certains centres participent à la création de lieux d’expression qui font vivre la démocratie localement : ils permettent des rencontres avec les élus, ils animent les débats, ils fournissent des locaux. D’autres ne parviennent pas à se positionner et restent extérieur au mouvement. « Les gilets jaunes ont percuté nos façons de voir les choses. On s’est dit qu’on avait peut être quelque chose d’important à jouer. » Les centres sociaux peuvent-ils faire émerger des revendications citoyennes en amont de la contestation sociale ? Une fois le mouvement engagé, quel rôle peuvent-ils jouer ?

Buffet des idées

« Les Gilets Jaunes ont exprimé des inégalités sociales et territoriales. C’était important pour nous de réussir à attraper ces questions au vol, à nouer ensemble la démocratie et la justice sociale pour l’inscrire dans le long terme ». Depuis deux ans, la fédération nationale s’est donc lancée dans une démarche congrès, c’est-à-dire qu’elle enclenche un projet fédéral qui va mobiliser ses 1300 centres adhérents à réfléchir à ces questions démocratiques. Cycle de conférences et de débats, le Buffet des Idées en est la première étape. À la manière du jeu d’anticipation “L’avenir est à nous”, il vise à sonder les besoins du territoire, à réfléchir collectivement et « constituer un corpus politique commun ».

Cette première étape débouchera sur des temps de rencontre, quand la crise sanitaire le permettra. Inspirés des banquets républicains du XIXème siècle, ils viendront célébrer le centenaire de la FCSF en 2022. De quoi se voir les uns les autres, se retrouver pour manger, discuter, imaginer, faire la fête et surtout, aiguiller l’avenir…

Usbek & Rica
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