Le futur des villes sera-t-il forcément climatisé ?
Chaque été, les pics de chaleur s’accentuent un peu plus encore pour atteindre des températures extrêmes. La situation est telle que certaines villes connaîtront en à peine 30 ans, un changement climatique majeur qui implique par conséquent une augmentation du besoin de rafraîchissement en saison estivale.
Malgré des conséquences néfastes pour la planète, le recours à la climatisation est aujourd’hui toujours privilégié pour garantir un meilleur confort en ville. Alors qu’en sera-t-il demain ? Consommatrice d’énergie, quelles sont les alternatives à la climatisation pour réduire cette potentielle dépendance des villes ?
La climatisation, un bouleversement historique
Alors que le besoin de climatisation apparaît actuellement pour beaucoup comme une évidence, la quête d’un environnement à température agréable, loin de la chaleur, est en réalité le résultat d’un hasard. Tout commence à New-York, où un problème d’humidité vient altérer le papier et réduire la qualité des rendus d’une imprimerie. En 1902, l’ingénieur Willis Haviland Carrier tentera donc de résoudre le problème avec la conception d’un système qui contrôle le degré d’humidité dans l’air. C’est la naissance de la climatisation moderne, celle de l’air conditionné.
Peu à peu, le climatiseur s’installe dans les foyers, les espaces de bureaux, les centres commerciaux et apporte des possibilités alors inenvisageables, comme rendre agréable le regroupement de milliers de personnes dans un lieu fermé en pleine canicule. Le cas des Etats-Unis traduit le mieux les changements induits par le déploiement massif de cette invention. Dans les années 1960, le taux d’équipement en climatiseur de la population américaine était de 10%, il sera de 90% dans les années 2000. Avec la climatisation, les villes aux étés particulièrement chauds deviennent alors attractives et la géographie de peuplement du pays change radicalement, avec le développement de la Sun belt américaine et l’essor de villes comme Los Angeles ou Miami.
Pour comprendre concrètement cet impact, prenons le cas de la ville de Phoenix. En 1930, la ville ne comptait que 50 000 habitants, contre 1,5 million aujourd’hui. Une croissance de population rendu possible grâce à l’arrivée massive de la climatisation dans les foyers. En effet, l’urbanisation et le réchauffement climatique continue de faire exploser chaque année le thermomètre, si bien il a frôlé en 2017 les “50°C pendant trois jours consécutifs”. Il apparaît impossible d’habiter de manière optimale Phoenix sans cet outil de confort indispensable pour les populations. Avant l’arrivée des climatiseurs, la vie quotidienne devait s’adapter aux contraintes climatiques, avec par exemple une place des horaires d’ouverture de commerces très restreinte.
Au delà des Etats-Unis, des métropoles internationales comme Singapour ou Dubaï ne pourraient pas être habitables sans climatisation. Devenue indispensable dans certaines villes particulièrement exposées, rappelons qu’elle tend aujourd’hui aussi à devenir systématique à l’intérieur de bâtiments qui brassent du monde, comme les centres commerciaux, les immeubles de bureaux, ce qui participe à sa démocratisation.
Un constat alarmant et des conséquences désastreuses
Une fois que l’on a goûté à la climatisation, que notre corps s’est habitué à un tel confort, difficile de faire marche arrière. Pourtant, ce nouveau réflexe s’avère être un réel problème pour diverses raisons. D’abord, faire fonctionner une machine jour et nuit pour réduire la température de l’air, parfois même en permanence si l’espace s’ouvre vers l’extérieur, c’est en toute logique une dépense colossale d’énergie. Ensuite, les climatiseurs recrachent de l’air chaud. Etrange paradoxe à prendre en compte, dont les conséquences sont bien réelles. Par exemple, les baisses de de température la nuit sont souvent réduites à cause de ce phénomène, aggravant les situations de canicule. On assiste donc à une réaction en chaîne : alors même que l’on cherche à fuir les conséquences du réchauffement climatique grâce aux climatiseurs, la chaleur induite par leur fonctionnement réchauffe l’air de nos villes.
Or, d’après les projections de l’Agence Internationale de l’Energie, la demande de climatiseurs n’est pas prête de ralentir et “le nombre de climatiseurs dans le monde devrait augmenter de plus de 50 % durant les dix prochaines années”. Un phénomène en accélération constante, lié à l’équipement progressif de pays dont le développement permet désormais une démocratisation de l’outil, comme la Chine, l’Inde ou même le Brésil. Des villes entières, souvent à la démographie importante, s’équipent au fur et à mesure de l’augmentation du pouvoir d’achat de leur population.
Alors que la climatisation devient un outil d’amélioration de la qualité de vie et un élément essentiel pour garantir certaines activités, une question se pose : pouvons-nous nous passer de climatisation ou est-elle inévitable ? Existe-il des alternatives ?
Des solutions low-tech qui font la différence
L’urbanisation n’est pas innocente au sujet des fortes chaleurs. En effet, les villes ne font pas que subir des hautes températures, elles en sont aussi la cause. Les kilomètres de bitumes, le manque de végétalisation, ne sont que des exemples de ce qui fait effectivement grimper le thermomètre. Alors la première alternative concrète pour réduire notre dépendance est celle de repenser la manière de construire nos villes afin de limiter les effets d’îlot de chaleur urbain.
Et pour cela, en toute logique, le premier réflexe est bien souvent d’intégrer davantage d’espaces verts, pour des oasis de fraîcheur permis par l’action des plantes. Ombrage, humidification de l’air par la transpiration des plantes ou conservation de la fraîcheur nocturne dans les sols naturels, les bénéfices sont nombreux et différentes pistes peuvent être explorées. Par exemple, certains territoires plantent massivement des arbres (Bordeaux et Toulouse), tandis que d’autres déploient des mesures incitatives en faveur de l’installation de toitures végétalisées (Ile-de-France) ou de plantes grimpantes en façade (Bruxelles).
L’architecture a aussi tout son rôle à jouer avec la conception de bâtiments bioclimatiques. Jouer sur l’orientation du bâtiment, l’isolation thermique pour garder la fraîcheur, les protections solaires pour protéger des rayonnements solaires, tout un ensemble de leviers peuvent être mobilisés.
Et si un coup de pinceau pouvait aussi changer les choses ? Dans les villages méditerranéens, qu’ils soient andalous ou grecs, un enduit blanc réflechissant à base de chaux recouvre murs et toits pour abaisser les températures. En 2017, une initiative dans l’ouest de l’Inde dans la ville d’Ahmedabad, portée par la municipalité dans le cadre de son cinquième plan d’action contre la chaleur, a permis de repeindre en blanc des milliers de toits. Une action concrète ayant pour résultat une réduction de 3 à 5°C à l’intérieur des bâtiments d’après certaines études. Un principe simple adopté aussi dans des grandes villes comme New-York, qui depuis 2009 mène le programme NY Coolroofs. Selon un communiqué de presse de la ville, la repeinte en blanc de 529 547 mètres carrés de toits (626 bâtiments) depuis ces dernières années aurait permis une baisse des coûts de la climatisation estimée entre 10 et 30%. Profitant de cette nouvelle tendance, des acteurs comme Coolroof France émergent pour proposer un revêtement réflectif efficace et effectuer des repeintes de toitures conséquentes, notamment celles d’entrepôts de stockage ou de centre commerciaux.
La couleur bleue est aussi en plein essor comme moyen efficace pour lutter contre la chaleur, avec par exemple le cas récent de Doha, capitale du Qatar. Ici, ce ne sont pas les toits qui sont visés mais les routes, repeintes pour éviter l’absorption de la chaleur par le bitume. Un moyen efficace pour abaisser de manière significative les températures grâce au pouvoir réfléchissant de la peinture utilisée.
Utiliser l’énergie contenue dans l’air et l’eau
L’autre levier pour limiter l’utilisation de climatiseurs classiques, c’est d’utiliser d’autres systèmes moins consommateurs en énergie. L’alternative la plus concrète est de produire du froid grâce à des systèmes d’échanges de température. Ils peuvent être intégrés dans des bâtiments au moment de leur conception, pour limiter le besoin d’un recours à la climatisation. La conception passive propose par exemple la création de puits canadiens, principe développé dès l’Antiquité, qui permet des échanges géothermiques air-sol. Autrement dit, les puits récupèrent la fraîcheur du sol en été pour refroidir l’air ventilé d’un bâtiment. Egalement efficace, le principe d’évaporation de l’eau peut être mobilisé. Par exemple, le refroidissement adiabatique utilise ce changement d’état pour refroidir l’air par l’installation d’un dispositif dans les systèmes de ventilation.
Aujourd’hui, des systèmes à plus grande échelle viennent s’ajouter à la liste de ces solutions. Certaines zones côtières utilisent l’eau de mer pour chauffer ou refroidir les bâtiments. Un principe appelé thalassothermie qui tend à se développer, notamment au sein du territoire Euroméditerranée à Marseille, où un partenariat avec Dalkia Smart Building est mené depuis quelques années à l’échelle du territoire. Un tel principe est aussi possible avec la création de réseaux de froid où des canalisations viennent irriguer des bâtiments en eaux glacées. Souvent refroidie par géothermie ou grâce à la fraîcheur des eaux fluviales, l’eau circulant dans le système réduit la température intérieure de bâtiments.
Afin de minimiser ou éviter le recours à la climatisation, les solutions existantes sont donc déjà multiples pour concrètement agir en faveur d’un refroidissement de nos villes et de leurs bâtiments. Aujourd’hui, de nombreux chantiers sont entrepris pour réduire notre impact sur le climat. Jusqu’à présent, l’essentiel de la sensibilisation concernait des dispositifs cherchant à réduire les consommations de chauffage. La démocratisation de l’air conditionné pourrait bien être le nouveau défi, impliquant une réflexion de grande ampleur.
Constituée en septembre 2019, la Cool Coalition du Programme des Nations Unies pour l’environnement travaille déjà avec 100 partenaires, dont 26 pays qui se sont engagés à élaborer des plans nationaux complets de refroidissement. Des démarches pourraient émerger sur certains territoires urbains particulièrement touchés par les fortes chaleurs. Un chantier à suivre qui enclenchera un partage de solutions et de bonnes pratiques à l’échelle internationale, pour la mise en place d’actions efficaces visant à réduire le recours à la climatisation dans nos villes.