Le BRSA, une solution pour sauver les socles actifs ?
Dans le cadre de la loi 3DS, le principe du Bail Réel Solidaire, jusqu’à présent pratiqué pour le logement, s’ouvre aujourd’hui au secteur commercial et professionnel. Les organismes de foncier solidaire peuvent maintenant faire bénéficier à des porteurs de projet des locaux d’activité à des prix de commercialisation particulièrement intéressants. Nous interrogeons à ce sujet Vincent Josso, directeur associé du Sens de la Ville et co-fondateur de Base Commune, une coopérative et foncière créée en partenariat avec Plateau Urbain, pour comprendre les mécanismes et avantages de tels modèles économiques.
Experte en stratégie urbaine, programmation et ingénierie de projet, la Société Coopérative et Participative (SCOP) Le Sens de la Ville étudie et questionne les pratiques et modes de faire au sein de la fabrique urbaine, notamment sous le prisme des rez-de-chaussée actifs. En co-fondant la Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC) Base Commune avec Plateau Urbain, Le Sens de la Ville souhaite favoriser l’implantation d’activités productives, de commerces alternatifs et de structures engagées dans l’Économie Sociale et Solidaire (ESS), encore trop souvent éludées des projets urbains bien qu’elles participent pourtant abondamment à l’activation de nos territoires.
En co-fondant la Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC) Base Commune avec Plateau Urbain, Le Sens de la Ville souhaite favoriser l’implantation d’activités productives, de commerces alternatifs et de structures engagées dans l’Économie Sociale et Solidaire (ESS), encore trop souvent éludées des projets urbains bien qu’elles participent pourtant abondamment à l’activation de nos territoires.
Base Commune représente un outil opérationnel innovant dont l’objectif global est d’acquérir, créer et faire vivre des socles actifs, en pied d’immeubles, pour déclencher de l’impact social et de l’utilité locale. Quelle a été la genèse du projet ?
“L’idée a été initiée à partir de deux constats principaux. Premièrement il existe effectivement une multitude d’activités qui contribuent au bien commun, à la transition écologique et sociale, à l’émergence de villes plus créatives et plus solidaires. Pour autant, le marché immobilier classique peine aujourd’hui à héberger ces typologies d’activités, notamment celles engagées dans l’ESS. Dans le contexte actuel qui est celui de l’inflation, de l’augmentation des coûts des matériaux, d’un prix élevé du foncier, il est particulièrement difficile de proposer des loyers accessibles à des commerces et services à impact. C’est, en tout cas, ce que nous constatons dans nos missions de conseil en projets urbains, et c’est également une réalité à laquelle est confrontée l’équipe de Plateau Urbain dans les étapes qui suivent la phase d’urbanisme transitoire.
Une impression partagée d’être à court d’outils opérationnels pour accompagner durablement les porteurs de projet ainsi que des valeurs communes en faveur de l’intérêt collectif nous ont, de fait, amenés à fonder Base Commune. Concrètement, cela repose sur un système de péréquation entre la programmation du rez-de-chaussée et celle des étages. Les maîtrises d’ouvrage créent les conditions économiques nécessaires à une acquisition, à prix réduit, du socle actif. En retour, nous leur garantissons la répercussion intégrale, sans spéculation, de cette décote sur les loyers dont pourront bénéficier les porteurs de projets locaux.
Des premiers projets sont d’ores et déjà sécurisés, par exemple dans le cadre de l’APUI Réinventer Paris 3, grâce auquel des activités à fort impact social prendront bientôt place en plein cœur de Paris, au sein de l’ancien siège de l’APHP”.
Concernant le BRSA, il s’agit d’une nouvelle réglementation qui consiste à dissocier la propriété foncière et la propriété bâtie, en plaçant l’OFS comme titulaire de la première, dans l’objectif d’abaisser les prix de commercialisation de locaux d’activité. Comme vous l’avez expliqué, Base Commune s’est également engagée en faveur de rez-de-chaussée accessibles et vecteurs de dynamiques collectives. Ne disposant cependant pas du statut d’OFS, est-elle impactée par cette évolution législative ?
“En l’état actuel de la loi, Base Commune ne peut pas directement bénéficier du BRSA. Elle stipule, pour l’instant, que le bail permettra de créer un partenariat entre un Organisme de Foncier Solidaire (OFS) et une microentreprise qui occupe les lieux, ou un établissement public qui acquiert les droits réels et met en location le local d’activité à une microentreprise à un loyer toujours modéré. Les foncières solidaires ne sont, par conséquent, pas encore concernées.
Nous considérons, néanmoins, l’extension du Bail Réel Solidaire (BRS) comme un signe positif pour l’avenir de la fabrique urbaine. Cela démontre une véritable prise de conscience du besoin de créer un secteur protégé pour les activités. Comme il existe aujourd’hui une diversité d’aides dédiées à l’habitat (logement social, réduction de TVA, accession abordable, BRS…), il est nécessaire d’entamer des démarches similaires pour les activités qui animent et font vivre nos cœurs de villes. L’ordonnance du 8 février 2023 reconnaît ainsi que de nombreux porteurs de projet, développant des activités à impact, nécessitent un certain accompagnement pour exister ou perdurer. Et cela, sans être systématiquement relégués en périphérie.
Une suggestion pourrait toutefois être transmise au législateur pour étendre encore le dispositif, notamment celle de placer un acteur expert en gestion de rez-de-chaussée actif, entre l’OFS et l’occupant. Il semble, en effet, pertinent d’imaginer un nouveau jeu d’acteurs au sein duquel les foncières solidaires, à l’instar de Base Commune, pourraient accompagner les porteurs de projet, selon le même cadre légal de garanties, de bail rechargeable ou encore de critères d’éligibilité”.
À ce sujet, l’ordonnance prévoit que l’OFS puisse flécher ses bénéficiaires et fixer des critères d’éligibilité. Lesquels devraient, selon vous, représenter des critères fondamentaux ? Base Commune fonctionne-t-elle également sur ce même principe ?
“Nous sommes effectivement attentifs à l’impact que peuvent avoir les porteurs de projet que nous accompagnons sur un quartier, et prévoyons des clauses d’utilité sociale dans nos baux. De cette manière, nous nous assurons que les activités hébergées par Base Commune génèrent un certain intérêt pour les habitants et pour la planète. Nous sommes convaincus que les rez-de-chaussée incarnent aujourd’hui un commun de quartier. Leur ouverture, leur devanture, leur activité, leur animation impactent directement le quotidien des riverains. Il est, de fait, nécessaire d’en faire un objet d’intérêt collectif.
Concernant les critères d’éligibilité, il s’agit davantage d’une logique a posteriori. Dans les appels à projet que nous menons lorsque nous acquérons un parc de rez-de-chaussée, nous dédions généralement une partie de la programmation à des secteurs spécifiques (artisanat, restauration…) et ouvrons une autre partie. L’équipe de Base Commune ne prétend pas avoir le monopole des bonnes idées, c’est la raison pour laquelle il nous paraît intéressant de découvrir ce que les porteurs de projet proposent. Les propositions les plus vertueuses pour un quartier et ses usagers sont ensuite désignées lauréates, en lien avec toutes les parties prenantes du projet.
Le BRSA semble, quant à lui, plus englobant, son objectif étant bien de favoriser l’implantation de microentreprises de moins de 10 personnes et dont le chiffre d’affaires annuel ne dépasse pas 2 millions d’euros. Les OFS étant en charge de la planification des contrats et baux, il est probable que certains d’entre eux mettent cependant l’accent sur l’impact social, écologique ou encore économique que les projets pourront avoir sur un territoire. Comme évoqué précédemment, je crois qu’il serait bénéfique qu’un nouveau type de partenariat, avec les foncières engagées dans l’ESS, puisse émerger au sein du BRSA. Et ce, pour garantir des qualités de gestion, d’activation, de commercialisation dynamique d’activités à impact au sein de nos rez-de-chaussée”.
Des immeubles entiers en BRS, du logement au RDC actif, est-ce le futur (souhaitable) de nos villes ? Quelles innovations, réglementations, politiques publiques en faveur de RDC accessibles et partagés pourrait-on imaginer dans les villes de demain ?
“Les OFS pourraient tout à fait produire des immeubles, voire des quartiers entiers, en BRS. Bien que le logement soit sa principale activité, cet outil permet à présent d’apporter plus de mixité fonctionnelle au sein de nos villes. Les réglementations évoluent dans le bon sens, mais c’est surtout le paysage d’acteurs concernés qui s’élargit. Des opérateurs privés, des foncières solidaires, une partie des pouvoirs publics s’emparent aujourd’hui des problématiques liées au portage des rez-de-chaussée. De plus en plus d’aménageurs, entre autres, questionnent leur métier et leur rôle dans l’animation, le développement et la mise en usage des quartiers. Avec une conviction forte, celle que la maîtrise des propriétés de socles actifs est un élément clé pour l’activation des territoires.
Il serait, finalement, pertinent d’élargir les politiques publiques innovantes appliquées à l’habitat aux activités. À l’instar de la loi SRU qui prévoit l’établissement de 20% de logements sociaux dans de nombreuses communes, le législateur pourrait, par exemple, prévoir une quote-part de 20% d’espaces solidaires dans les nouveaux programmes d’activités. Comme expliqué dans cette tribune publiée dans Le Monde en août 2020, pour laquelle Base Commune était signataire, de telles évolutions au sein de la fabrique urbaine pourraient faciliter l’émergence de villes plus solidaires, mixtes, décarbonées et résilientes. L’immobilier solidaire est un levier puissant pour accompagner les villes dans leur transition. Et pour cela, les foncières solidaires représentent un maillon essentiel et complémentaire au jeu d’acteurs existant”.