Le boom des « zoom towns »
Après les villes champignons, les zoom towns… Depuis la crise de la Covid, de nombreuses petites villes rurales américaines ont vu leur population grimper en flèche. Portrait de ces nouveaux refuges pour urbains en télétravail.
La tentation rurale
Visioconférences, télé-apéro, zoom clubbing… L’année 2020 aura eu son lot d’inventions pour contrer l’isolement imposé par l’épidémie du Covid. Tour à tour salvatrices et abrutissantes, elles sont rapidement devenues l’alpha et l’oméga de la vie sociale et professionnelle confinée. À tel point qu’elles ont permis à certains de réinventer les modes de vie qui étaient les leurs. Depuis plusieurs mois, la tendance de fond qui pousse des urbains à quitter la ville s’accélère. Décidés à trouver un environnement plus calme et plus agréable, ils profitent de l’essor du télétravail pour s’installer à la campagne.
Le marché de l’immobilier américain observe ainsi une montée des prix dans une typologie précise de petites villes. À quelques heures de voiture des grands centres urbains, elles comptent quelques dizaines de milliers d’habitants et sont proches de la nature. Habituellement destinations de vacances, elles offrent un large éventail de loisirs culturels ou sportifs, ainsi que tout le confort auquel l’homo urbanus s’est habitué. En particulier… le Wifi. Baptisées les « zoom towns » par la presse, elles sont donc devenues les destinations idéales pour une cohorte de télétravailleurs qui ne veulent plus payer un loyer exorbitant pour un studio en ville et profiter d’un meilleur cadre de vie.
Les prix s’envolent
Les reportages se multiplient ainsi sur des villes comme Aspen, Cape Cod, Kingston ou The Hamptons. Des villes dont vous n’avez probablement jamais entendu parler mais où les prix d’achat ont bondi en quelques mois, comme c’est le cas à Truckee (Californie). À trois heures de route de San Francisco, les prix y ont grimpé de 23%. NPR.
détaille Daryl FAIRWEATHER, chef économiste pour l’entreprise de courtage immobilier Redfin à la radio nationaleLa hausse des prix est assez générale, mais elle est plus sensible dans ces petites et moyennes villes. En cause, une pénurie de maisons provoquée par le ralentissement de la construction et la frilosité des propriétaires à vendre leur bien. Par rapport à l’année dernière, le nombre d’annonces aurait en effet baissé de 29%. En temps normal, cette hausse d’intérêt aurait provoqué un pic de construction, mais les petites communautés urbaines concernées par cet exode entendent réguler strictement les nouvelles constructions.
Des villes “aimées jusqu’à la mort”
Si ces zoom towns offrent traditionnellement peu d’emploi bien rémunérés, c’est bien une innovation technique et sociale, le télétravail, qui autorise ces installations en éliminant la question des déplacements pendulaires. Le magazine Bloomberg s’inquiète alors des conséquences à moyen et long terme sur ces territoires, dont les infrastructures ne permettraient pas d’accueillir indéfiniment l’afflux de métropolitains. Il compare ainsi le phénomène au boom qu’avait provoqué l’arrivée de la climatisation dans les villes du sud au milieu du XXème siècle. Des zones urbaines comme celle d’Atlanta ou Houston étaient passées de moins d’un million d’habitants à plusieurs millions. Aujourd’hui, 33% des employés américains travaillent uniquement à distance selon l’institut Gallup, et 25% le font de temps en temps.
Pour Danya RUMORE, directrice du programme de résolution de litiges environnementaux et assistante au département d’urbanisme de l’Université d’Utah :
Révélateur d’inégalités
En effet, sans offre de transports publics adéquate, avec un marché immobilier volatile et de petites équipes municipales sous dimensionnées, ces villes pourraient rapidement développer des phénomènes d’étalement urbain, de congestion et de gentrification. Les classes ouvrières et les étudiants en paieraient le prix fort. La crise du Covid est en cela un révélateur d’inégalités assez cruel, dans la mesure où en parallèle de l’essor des zoom towns, des millions de précaires ne sont plus en mesure de se loger. Ce sont 29 millions d’américains qui vivent grâce aux allocations, quand près de 3 millions d’adultes sont retournés vivre chez leurs parents à cause de la crise du Covid d’après le portail immobilier Zillow.
Les économistes américains craignent ainsi une reprise à double vitesse creusée par les inégalités. Ils parlent ainsi d’une récession « en K » : la branche du haut du K représente les milieux favorisés épargnés par la crise et capables d’investir, quand la branche du bas, celle qui plonge, représente et les milieux défavorisés où le chômage et les faillites se multiplient.
Pouvoir accueillir
Le phénomène des Zoom Towns semble avoir son équivalent en France, à en croire les chiffres donnés par le site d’annonces immobilières Pap.fr. Les recherches d’achat de maison sont en forte hausse en 2020 (+58%), en particulier dans les zones rurales et les petites villes. Soulignant le désamour pour les centres urbains, le site remarque une baisse de 12,6% pour Paris intramuros et une hausse de 62,6% pour la grande couronne.
La question est désormais de savoir si ces nouvelles centralités seront en capacité d’accueillir les nouveaux arrivants. À ce titre, on peut espérer que certaines villes et régions soient déjà prêtes. En effet, le Perche, le Gers et d’autres n’ont pas attendu la Covid pour tenter de séduire les urbains. À travers des programmes de marketing territorial, elles leur proposent de venir expérimenter la vie à la campagne. Ces pratiques existent aussi ailleurs en Europe, notamment en Allemagne.