Le bidonville, Objet Urbain Mal Identifié
Le sujet de l’amélioration des bidonvilles est un enjeu crucial au centre des questions de développement. S’inscrivant souvent dans une approche pyramidale du développement de la ville, les projets de « re-développement » de bidonvilles s’appuient sur une vision tronquée de ce mode d’habitat. Or, c’est cette vision qui légitime l’intervention de professionnels extérieurs pour améliorer la vie des habitants avec un biais messianique qui cache souvent un opportunisme financier et foncier. Traverser un bidonville indien est l’occasion de se confronter aux questions fondamentales posées par la ville informelle à sa fausse-jumelle, la ville organisée et formelle et de dessiner une autre vision de l’espace urbain.
Le bidonville, au-delà des clichés, une réalité complexe
A Mumbai plus de la moitié de la population vit dans un « slum », terme habituellement traduit par bidonville mais qui en fait recouvre une réalité plus large, celle de l’habitat informel. « Bidonville » ou « slum » génère dans l’inconscient collectif un tableau souvent sinistre fait de zones de non-droit habitées par des squatters, de violence, de pauvreté, de saleté et de trafics en tous genres. Les habitants rencontrés ici reprochent d’ailleurs souvent au réalisateur anglais Danny Boyle d’avoir alimenté cette vision dans son film aux 8 oscars, Slumdog Millionnaire, dont l’histoire commence à Dharavi. « Plus grand bidonville du monde » pour certains, il est surtout par de nombreux aspects l’illustration de la complexité, et des limites de cette dénomination au-delà des préjugés que charrie avec lui le terme de « bidonville ».
Il ne s’agit pas de livrer ici une vision idéalisée de ces lieux d’habitats développés par leurs habitants mais il est intéressant de se pencher sur cette forme urbaine singulière . Elle questionne certaines idées de la ville et fait partie des enjeux pour penser la « ville de demain » qui, afin de ne pas devenir un ghetto high-tech pour classes aisées, se doit de comprendre les dynamiques à l’oeuvre dans ces quartiers qui accueillent une large part de la population indienne et mondiale.
Sans contester les enjeux sociaux souvent criants qui se jouent dans de nombreux bidonvilles de Mumbai, il est intéressant de rappeler que le plus grand et le plus emblématique d’entre-eux, Dharavi, qui accueille plus d’un million d’habitants génèrerait, grâce à un tissu de micro-industries et d’artisanat assez important, plus d’un milliard de dollars par an. Cela tranche avec l’image de grande misère que l’on utilise souvent pour justifier une intervention extérieure de « réhabilitation » de ces quartiers.
Même si l’on trouve plusieurs décharges à ciel ouvert dans ces quartiers, la plupart sont dotés d’égouts développés sous les rues étroites constituées de pavages que les habitants n’hésitent pas à soulever pour entretenir le réseau et déboucher un conduit obstrué. Enfin, la vision de squattage illégal qui légitimerait une éviction de ces populations de leurs lieu de résidence porte à débat.
Une (il)légitimité d’habitation qui fait débat
Il est important de réaliser que « le terme de bidonville est hautement politisé et souvent biaisant » nous explique Marina de l’ONG YUVA (Youth for Unity and Voluntary Action) en introduction de notre rencontre. Il englobe sous une même dénomination des réalités très différentes, de l’immigré installé au bord de la voie ferrée, arrivé le mois précédent et régulièrement délogé par les autorités, au village de pécheurs autochtones sédentarisés depuis plus d’un siècle.
Cependant, comme le fait remarquer Marina, « vue d’en haut, tout cela ce sont des toits de tôles ». Le bidonville pour être compris dans sa complexité nécessite, encore plus que d’autres formes urbaines, de le traverser à hauteur d’homme et en interaction avec ses habitants. Au sein d’un même bidonville on trouve différentes réalités. Ainsi, à Dharavi, le coeur du bidonville est occupé par des descendants du village de pécheurs originellement construit sur un marécage. Autour s’est développée une véritable ville auto-construite avec les vagues de migrations venant de tout le pays et attirées dans la deuxième partie du XXe siècle par le développement économique de Bombay. L’habitat de ces nouveaux venus, d’abord constitués de bric et de broc, s’est progressivement amélioré pour devenir de vraies maisons en dur pour la plupart. Enfin, une troisième catégorie de migrants, plus récents, se retrouve aux franges du bidonville, en bord de voie ferrée, sous quelques toiles et bâches de plastiques.
Pour essayer de limiter le développement du slum, les autorités publiques ont mis en place la règle administrative du « cut-off date » (date butoir) pour les bidonvilles situés sur les terrains appartenant à l’Etat du Maharashtra. Si l’habitant peut prouver qu’il s’y est installé avant une date donnée, il devient éligible pour être relogé dans un logement qui sera construit lors d’un futur plan de re-développement du bidonville. Cela ne lui offre pas un droit de propriété sur le terrain occupé par sa maison mais le fait entrer dans la logique descendante du développement urbain porté par les autorités. Les limites de ce système sont nombreuses. Il n’est pas si équitable qu’il semble puisque de nombreux foyers, malgré leur implantation ancienne, ne peuvent pas produire la dizaine de preuves nécessaires à l’obtention du fameux sésame, les papiers ayant été égarés ou détruits lors des inondations assez habituelles en période de mousson. Par ailleurs, loin d’offrir une limite claire qui découragerait de potentiels nouveaux migrants, le « cut-off date » est reculé avant chaque élection dans une logique clientéliste politicienne, les édiles ne pouvant pas se permettre d’ignorer les habitants des bidonvilles devenus un électorat nombreux. Enfin, cette approche s’appuie sur un type de densification classique qui maximise la valeur financière de terrains bien situés dans la ville en optant pour la construction de grands immeubles et normalise le quartier sans tenir compte du tissu social existant. Perdant leurs repères dans ce nouvel habitat, il est fréquent que les quelques habitants bénéficiant d’un logement dans les immeubles neufs construits en périphérie du bidonville le mettent en location au bout de quelques mois pour revenir s’installer dans le bidonville.
Alternatives et questionnements
Pourtant, une action d’ampleur est nécessaire pour améliorer les conditions de vie des habitants dans les bidonvilles notamment en termes d’accès à l’électricité, à l’eau, et aux services publics. En attendant, le slum est une source de réflexions passionnantes pour les urbanistes curieux. Ces lieux hybrides nous incitent à repenser la notion de densité. Qu’a-t-on à apprendre des bidonvilles sur notre façon d’appréhender les fonctions de la ville? En outre, le bidonville nous invite à repenser la question de l’occupation et de l’équipement de l’espace public. Quels éléments de ce chaos apparent favorisent cette l’intensité urbaine?
Enfin, face à l’échec des différents plans de « redéveloppement » déployés par les autorités, le bidonville est un terrain d’expérimentations unique pour un urbanisme en « bottom-up », partant des initiatives des habitants. Plusieurs ONG et architectes imaginent actuellement des nouveaux modes de concertation et de construction pour développer l’implication de toutes les populations, même les plus défavorisées, dans la conception de la ville et son développement. Alternative intéressante, cette vision restera chimérique tant que n’aura pas été opérée une révolution totale dans la manière de concevoir la légitimité des habitants à vivre dans ces quartiers. Densité, intensité et urbanisme en bottom-up, trois thématiques que nous allons explorer dans les prochains articles.
Vos réactions
Quid des bidonvilles parisiens de + en + nombreux ?
Certes la COP aura eu ce grand intérêt de forcer l’Etat à débloquer 5 millions d’euros pour nettoyer l’autoroute A1 bordée de bidonvilles, image fort peu reluisante pour accueillir tous les dignitaires de la COP à la descente de leur avion. Mais ça ne résout pas le problème.