Supprimer une autoroute urbaine n’est pas une utopie
Cet article est le second épisode d’une série traitant de l’avenir du périphérique. Le premier épisode se demandait si les tours remplaceraient un jour le périphérique. Aujourd’hui, demandons nous s’il n’est pas temps de s’attaquer au boulevard périphérique, ce vestige d’une époque où la voiture était reine de la ville ? Partout à travers le monde, de grandes métropoles réfléchissent à la reconversion de ces autoroutes urbaines qui fragmentent leur territoire. Certaines ont terminé leur transformation depuis une dizaine d’années déjà, leur expérience rend tout d’un coup le rêve bien plus concret.
Dans un entretien entre Anne Hidalgo et les lecteurs du Parisien fin 2017, la maire de Paris a déclaré que « un jour, dans très longtemps, le périphérique parisien ne sera plus une autoroute. Comme à Séoul, où un axe à grande circulation est devenu un parc avec au milieu une rivière. » La déclaration n’est pas anodine dans la bouche de celle qui bataille depuis quelques mois avec le tribunal administratif pour maintenir la piétonnisation des voies sur berge. Elle témoigne des avancées d’une réflexion en cours depuis plus de trente ans sur la transformation des voies rapides en milieu urbain, mais aussi du long chemin encore à parcourir.
Peu de temps après sa construction, le boulevard périphérique suscitait déjà les critiques. La rocade de 35 kilomètres a certes dynamisé la mobilité des biens et des personnes en Île de France, mais elle a généré nombre de nuisances qui se sont aggravées avec le temps. Bruyante, polluée, bétonnée, saturée, la circulaire a profondément meurtri le tissu urbain francilien en marquant une frontière physique et symbolique entre Paris et sa banlieue. Indirectement, elle a également créé une dépendance à l’automobile et encouragé l’étalement urbain. Si certaines mesures ont été prises au fil du temps pour atténuer les effets secondaires (comme la couverture de certains tronçons, la pose d’écrans antibruit et dernièrement la limitation à 70 km/h), celles-ci sont trop coûteuses à déployer à grande échelle et ne règlent pas véritablement les problèmes. « Les Français aiment la bagnole, que voulez-vous que j’y fasse ? » répondait avec résignation Georges Pompidou aux critiques faites à l’encontre du périphérique.
L’effet d’aubaine
À l’heure du Grand Paris, de la lutte contre le dérèglement climatique et de la recherche de nouvelles mobilités, une infrastructure comme périphérique tient quasiment de l’anachronisme. Et Paris n’est pas la seule à faire ce constat. La question de la transformation des autoroutes urbaines se propage dans les grandes métropoles mondiales. « Ces infrastructures sont très utilisées notamment parce qu’elles existent, pas forcément parce qu’elles sont pertinentes » explique Paul Lecroart, urbaniste à l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme (IAU) de la région Île-de-France et auteur de douze études sur la reconversion d’autoroutes urbaines. La présence de la voie en question crée un effet d’aubaine. La supprimer ne revient pas à reporter tout le trafic sur le reste du réseau car les usagers adaptent leur comportement. « La réduction de capacité routière met chaque usager en situation de réfléchir à ses choix de déplacement : se déplacer autrement ou renoncer à certains trajets moins utiles » résume Paul Lecroart.
Citée par Anne Hidalgo, la capitale coréenne peut effectivement se targuer d’une reconversion aussi spectaculaire qu’exemplaire. Au début des années 2000, Séoul a entrepris la transformation de la Cheonggyecheon Expressway : ce viaduc routier de 6 kilomètres traversait le centre historique de la ville comme une balafre monumentale. Les quatre voies de circulation du viaduc ainsi que les 10 autres du boulevard au niveau du sol ont été détruites pour faire réapparaître la rivière Cheonggye, enfouie trente ans plus tôt sous le béton. En seulement cinq ans, le tronçon est devenu un lieu public iconique de la ville et a relancé l’économie du quartier qui était en berne. Les 168 000 véhicules qui circulaient chaque jour sur ce tronçon sont passés à 30 000 aujourd’hui. Dans une étude de cas de l’IAU sur cette opération, les conclusions sont étonnantes : « Dans l’ensemble, les reports de trafic sur les voies urbaines ont été très limités. On a observé au contraire une réduction du trafic ce qui s’est traduit par moins de voitures en circulation dans le centre et une meilleure fluidité à l’échelle de la ville ».
Donner leur chance à d’autres territoires
À quoi ressemblerait alors ce nouveau périphérique ? « Aujourd’hui les réflexions portent plutôt sur la transformation des autoroutes et leur évolution progressive vers les boulevards multi-modaux analyse Paul Lecroart. C’est à dire des boulevards bien intégrés dans le tissu urbain, qui ont des carrefours à feux, des trottoirs et des parcelles riveraines ». L’urbaniste espère voir apparaître des espaces ouverts, capables de reconnecter en douceur Paris et les villes voisines. La zone périphérique est en effet cisaillée par toutes sortes d’installations qui la rendent indésirable : voies ferrées, sites de triage, cimetières etc. « La question de l’urbanisme ce n’est pas le bâti, c’est l’espace public, les espaces ouverts. Aujourd’hui on veut remplir le vide du périphérique parce qu’il est en limite de Paris, mais ça n’a pas de sens au niveau régional et métropolitain. Au contraire, on pourrait développer des quartiers denses là où on a déjà des bonnes connexions de transports en commun. Une trop forte concentration des fonctions à Paris est pénalisante pour les centres métropolitains existants, dont certains sont en difficulté. »
Quel que soit le projet de transformation choisi, le réseau doit être prêt afin de supporter durablement ces changements. Pour Paul Lecroart, « On est dans un système, il faut penser l’avenir de tout le système ». En effet si l’expérience coréenne est une telle réussite, c’est grâce à son approche complète et transversale. La municipalité avait notamment mis en place une gamme de solutions ou d’incitations aux transports alternatifs. Malgré le développement du tramway, du RER E, du Grand Paris Express et du vélo, malgré la nouvelle tarification au stationnement mise en place en janvier, Paul Lecroart et Anne Hidalgo semblent dire que Paris n’est pas encore tout à fait prête.
De Toronto à San Francisco, en passant par Seattle et Boston, les succès sont variables et aucune recette miracle ne se profile des douze études publiées par l’IAU. Une leçon pourtant est à tirer : supprimer une autoroute à fort trafic n’est pas une utopie. Alors que le Forum Métropolitain a récemment lancé une consultation internationale sur les autoroutes urbaines et le boulevard périphérique, on peut commencer à imaginer un nouveau visage pour ce grisonnant périph’.
Vos réactions
Une vraie question enfin bien posée !