L’art et la représentation du vivant, un enseignement primordial pour les paysagistes de demain
Parisienne d’origine, j’ai choisi de débuter mes études à Bourges, ville à échelle humaine. Alors terrain de mes expérimentations, elle accueille le début de mes pérégrinations urbaines. Cette pratique, je l’ai ensuite intellectualisée lors du master en Recherches Arts Plastiques effectué à Strasbourg. Tout au long de mon parcours, la marche induit la relation de mon corps et mon esprit avec mon environnement. Lente, longue et progressive, mes sens en alertes, ce n’est pas l’itinéraire qui m’importe mais au contraire, les jalons qui ponctuent ce parcours et le définissent. C’est ce point de vue que je tente de traduire dans mes dessins. Allant sur plusieurs mois, voire des années d’intenses productions, ils s’inscrivent dans cette lenteur, à contre-courant de notre société dont la frénésie de la production est le maître-mot.
Un supermarché des images qui artificialise notre vision du monde :
L’idée d’une nature paisible, apaisante, théâtrale, véhiculée par l’histoire de l’art, a contribué à façonner ce monde de l’image que je tente tant bien que mal de défaire à l’ESAJ et dans mon travail. Les couchers de soleil romantiques et théâtrales de Friedrich, les ombres sous lesquelles les paysans s’endorment de VAN GOGH et tant d’autres appartiennent au regard que l’être humain exerce sur le paysage, le poussant à le contrôler, l’éradiquer en s’y désintéressant pour le remplacer par un monde fantasmé. Mes dessins renversent ce postulat, Il apparaît urgent de réintégrer le monde vivant au cœur de nos préoccupations et cela passe aussi par sa représentation. On y voit un foisonnement de végétaux envahissants éclairés par une lumière blanche artificielle, aveuglante, jaillissant de toutes parts, irréelle. L’ampleur de ces dessins n’est pas anodine, elle excède la capacité à cerner un objet dans le champ visuel, le spectateur est débordé. Tel un abysse, il ne s’agit plus du rapport de force de l’être humain face à la nature, mais d’un monde vivant captivant le spectateur, près à l’absorber par son infini détail.
En proposant une autre forme de représentation de notre environnement, je veux orienter une vision picturale dans laquelle les mondes vivants sont intrinsèquement liés. C’est aussi pour cela que les enjeux de l’école ESAJ, communauté ambitieuse d’étudiants et de professeurs, m’animent tout particulièrement. Ils envisagent ces questionnements dès le début de la formation, par un enseignement transversal. Ma première année en tant que professeure de dessin et arts plastiques à l’ESAJ m’a permis de placer l’art au cœur des liens tissant la toile entre toutes les spécificités propres au métier de paysagiste.
Cette curiosité m’a amené à travailler au cours d’ateliers pratiques, à cheval entre le terrain et le travail de groupe, avec une paysagiste théoricienne et une agronome autour de la cartographie mentale. Ainsi, j’ai pu élargir la préemption du paysage au travers d’une pratique de l’art conceptuel issue des années 60. Ainsi, à l’image de l’artiste radical Stanley BROUWN, ou de Guy DEBORD, pionnier du mouvement international Situationniste, auteur et artiste incontournable pour son manifeste « La Société du spectacle », j’ai guidé les étudiants dans leur parcours de l’espace en les invitant à le percevoir autrement. Une collaboration avec un professeur de biologie végétale, a également permis de lier l’étude des espèces et leur représentation sous forme d’arbres phylogénétiques.
J’ai utilisé également, des références telles que Cézare LEONARDI et son travail autour de l’architecture des arbres, ou le botaniste et dendrologue également artiste, Francis HALLE, pour les aider à concevoir des dessins aussi bien complexes que précis. Bientôt, une nouvelle séance pensée avec un autre paysagiste et une entomologue verra le jour, enrichie de références variées comme Per ADOLFSEN, Ernst HAECKEL et des incontournables land artistes comme Richard LONG et Robert SMITHSON…
De Camille BRUAT, artiste plasticienne, enseignante à l’ésaj