« L’Afrique peut inventer de nouveaux modèles urbains » (1/2)

27 Nov 2014

Interview de Jérôme Chenal, professeur d’urbanisme à Lausanne et spécialiste de l’Afrique, sur le développement et le futur des villes africaines.

Lagos (Nigeria) est la plus grande ville d’Afrique après Le Caire et Kinshasa. Copyright : Dolapo Falola / Wikimedia

Lagos (Nigeria) est la plus grande ville d’Afrique après Le Caire et Kinshasa.
Copyright : Dolapo Falola / Wikimedia

Chaotique et violente. Voilà comment la ville africaine est souvent perçue en Occident. Une vision pour le moins caricaturale, qui s’explique en partie par le traitement médiatique du continent puisque l’immense majorité des images des villes africaines qui parviennent jusqu’à nous sont celles d’émeutes sanglantes et de réfugiés en larmes… Pourtant, les villes africaines se développent à grande vitesse. C’est même sur ce continent que la croissance de la population urbaine mondiale sera, dans les années à venir, la plus sensible. Pour mieux cerner les spécificités des villes africaines, nous avons donc pris le temps de dialoguer avec Jérôme Chenal, professeur d’urbanisme à l’École fédérale polytechnique de Lausanne, qui a mené plusieurs projets de développement sur ce continent (Mali, Tchad, Sénégal, Mauritanie…).

Les métropoles africaines sont très différentes les unes des autres. Du coup, est-il pertinent de parler des « villes africaines » ?

Le concept de « ville africaine » est à la fois impropre et pertinent. D’un point de vue anthropologique, il est évident que pour bien parler de Dakar, il faut étudier spécifiquement cette ville et ne pas la mettre dans le même panier que les autres villes d’Afrique de l’Ouest. Et si on joue au jeu des sept erreurs en comparant Lagos et Harare, on va trouver autant de similitudes que de différences… Après, si on met de côté les cas un peu particuliers du Maghreb et de l’Afrique du Sud, on constate qu’il existe de vraies similitudes en matière d’organisation et de gestion des villes. Il existe aussi une atmosphère urbaine bien particulière qui fait qu’on sent tout de suite quand on est dans une ville africaine. En tout cas, l’identité africaine est bien une réalité. Les Peuls, par exemple, sont présents sur tout le continent, et pas seulement en Afrique de l’Ouest. Et puis cette identité se crée aussi a posteriori. Par exemple, si une équipe africaine atteint les quarts de finale de la Coupe du Monde de football, tout le continent la soutient, même au Maghreb. Alors que si l’Espagne joue contre le Brésil, tous les Européens ne vont pas supporter l’Espagne… Au final, je préfère employer le terme « villes africaines » au pluriel qu’au singulier, c’est plus juste.

L’Afrique est-elle en train d’aménager des « monstres urbains » comme l’Amérique latine et surtout l’Asie ?

L’explosion urbaine à venir au cours des prochaines décennies se fera surtout sentir en Afrique, mais elle touchera surtout les villes petites et moyennes. Il faut bien avoir en tête qu’en Afrique, 57% des citadins vivent dans des « villes intermédiaires » de moins de 500 000 habitants, et seulement 3% dans des mégapoles géantes comme Kinshasa, Le Caire ou Lagos, même si ces trois villes sont beaucoup plus médiatiques. La grande différence avec l’Asie, c’est qu’il n’y pas en Afrique la même adéquation entre urbanisation et développement économique. Dans les cités asiatiques, l’activité économique est vraiment le moteur du développement urbain alors qu’en Afrique, il faut dissocier ces deux notions.

C’est-à-dire ? Peut-on aller jusqu’à dire que l’urbanisation est un facteur de précarisation en Afrique ?

L’idée reçue veut que la misère soit moins pénible à supporter en ville qu’à la campagne. Bon, il est évident que le monde attire le monde : plus les gens se concentrent sur un même espace, et plus on voit apparaître de services. Après, je pense que la question ne se pose pas vraiment comme ça en Afrique. Là-bas, certaines villes ont beau avoir plus d’habitants, cela ne génère pas pour autant une quantité d’argent plus importante. La tendance est plutôt à une forme de paupérisation de la population urbaine, avec un écart de plus en plus important entre les urbains les plus riches et les plus pauvres. Aujourd’hui, certains chercheurs mettent même l’accent sur un possible retour à des flux migratoires inverses, de la ville vers la campagne… En tout cas, ce qui est certain, c’est que les indicateurs ne sont pas vraiment au vert : je ne m’autoriserai pas à dire que l’urbanisation est la promesse du développement.

Les autorités ont-elles conscience de cette inadéquation entre urbanisation et développement économique ?

Certains projets de coopération visent à développer des projets ailleurs qu’en ville mais les ministres en charge des infrastructures ont plutôt tendance à construire à tout va. C’est clairement la croissance urbaine qui est favorisée. Après, si les gens quittent les campagnes, c’est aussi parce qu’il n’y a pas grand-chose à y faire… Et puis, il ne faut pas oublier qu’il y a toujours plusieurs milliers d’Africains qui ne rêvent que d’une chose, c’est de traverser la Méditerranée pour tenter l’aventure ailleurs…

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Usbek & Rica
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