L’aéroport et la ville : encore un avenir ?
Alors que les suédois boudent l’avion, et que certaines compagnies aériennes réfléchissent aux moyens de compenser l’impact carbone de leurs vols internes, quel regard peut-on porter sur l’évolution des rapports entre les villes et leurs aéroports ?
Véritable porte d’entrée internationale de la ville, indissociable de la métropole globalisée, l’aéroport est aujourd’hui un incontournable du fait urbain. Des premiers aérodromes de l’aube du XXe siècle, au développement progressif des aéroports dans les années 1960, jusqu’à l’époque actuelle des grands hubs internationaux, l’aéroport n’a cessé de gagner en importance au fil des décennies.
Aujourd’hui, il est pourtant en proie à une profonde remise en cause : l’empreinte écologique de l’aviation est de plus en plus pointée du doigt. Selon le GIEC, l’état actuel de l’aviation serait responsable de près de 3% des rejets mondiaux de CO2 dans l’atmosphère, et de 5 à 10% des gaz à effet de serre. Et par ailleurs, il est en effet difficile d’oublier la virulente opposition au projet de construction d’un aéroport à Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes, abandonné en 2018.
La ville et l’aéroport entretiennent des liens complexes. Ce dernier se situe généralement en périphérie, voire en marge des agglomérations, pour des questions spatiales, mais aussi de pollution sonore et atmosphérique. Et pourtant, il doit rester facilement accessible par les populations urbaines, et bien relié au centre-ville au moyen des transports en commun. Aujourd’hui, le concept d’Aerotropolis, développé par l’universitaire américain John Kasarda, permet de penser une nouvelle forme urbaine où la ville se construit autour et à partir de l’aéroport : « [Ils] dessineront le développement urbain et l’implantation des entreprises au XXIe siècle, comme l’on fait les autoroutes au XX, les chemins de fer au XIXe, et les ports au XVIIIe siècle ».
Parfois acteur clé de leur existence, comme cela peut être le cas pour les grands hubs, qu’apportent réellement aujourd’hui les aéroports aux villes ? Et ne sont-ils pas voués à laisser leur place aux gares et aux ports ? Ou au contraire, peuvent-ils être beaucoup plus intégrés aux villes ? Pourraient-ils être demain des lieux de vie plus réels ?
L’apanage de la modernité
L’aéroport et les grands projets d’aménagements qui vont avec, restent pour les grandes métropoles, ce que l’on pourrait considérer comme “des indispensables”. D’un projet de Terminal 4 pour l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle, à l’inauguration de l’aéroport de Pékin, le 25 septembre 2019, la quête de la modernité et de l’amélioration de ces infrastructures persiste. Daxin, ce nouveau hub chinois, est inauguré quelques jours avant les 70 ans de la création de la Chine populaire, et devient alors l’aéroport le plus grand du monde. À un moment où le taux d’emprunt de l’avion par la population chinoise est en passe de devenir, lui aussi, le plus important au monde, le projet de Daxin permet de réaffirmer le poids de Pékin, à la fois politique, touristique et commercial, face à d’autres mégalopoles asiatiques.
L’accueil des passagers internationaux, la place laissée aux grandes infrastructures, les prouesses architecturales : l’aéroport est doté d’un symbolisme très fort pour la ville. Il est parfois le premier aperçu que l’on peut en avoir. C’est le cas par exemple, de l’aéroport de Singapour, Changsi, qui fait la part belle à la modernité, la grandeur, ainsi qu’à l’alliance entre technologie et nature, avec une immense cascade intérieure en son terminal. En effet, la fontaine n’est pas sans rappeler, dans son esthétique, les « Supertree » près du centre-ville de Singapour, ces immenses arbres de Garden By The Bay. Une technologie à la pointe, des jeux de lumière, une architecture imposante qui s’inspire de la nature : en résumé, une quasi-ville futuriste : telle est l’image présentée dès l’arrivée à l’aéroport.
Les projets de réaménagement, de construction, ou de modernisation des plus grands aéroports du monde entreprennent de réinventer cet espace dont le symbolisme et l’ampleur façonnent eux aussi une image de la ville. Le projet Jewel, à Changsi, ne compte pas seulement une fontaine, mais également des attractions, ainsi qu’un espace d’exposition artistique : il se destine autant aux voyageurs, passagers en transit, qu’aux familles et résidents de Singapour. L’idée est de faire de l’aéroport une curiosité, une des attractions de la ville, autant qu’un espace à fonctions et usages mixtes.
Aerotropolis, une utopie ?
Ce concept permet donc de penser un aéroport comme beaucoup plus qu’un simple lieu de passage, et un simple relais vers les transports. Doté de fonctions commerciales, espace de loisirs, l’enceinte aéroportuaire se développe également avec l’installation à proximité, d’hôtels, de zones d’activités, de bureaux et d’entreprises. Il s’agit d’amener la ville à l’aéroport, qui constitue toujours un espace particulier : dans plusieurs des grands aéroports mondiaux, commerces et espaces de restauration sont souvent ouverts à toute heure du jour et de la nuit.
L’aéroport suit donc cette tendance à l’étirement de l’activité sur le temps nocturnes et au bouleversement des temporalités de nos modes de vie actuels. Le site web Sleep in Airport, recense d’ailleurs les zones de repos et les activités disponibles pour chaque aéroport du monde. Cinéma, spas, espaces de détente, l’idée est de capter le passager, en lui proposant un nombre d’activités qui change le rapport à l’aéroport, et permet à une forme de vie urbaine cosmopolite de se développer.
Les transports toujours plus rapides pour relier l’aéroport au centre-ville, participent aussi à son attractivité, comme une zone mixte, qui ouvre de plus en plus de perspectives de liens avec la ville en elle-même. Les exemples se multiplient. Ainsi, le choix de mettre un bus TCL à Lyon pour relier l’aéroport de Lyon Saint-Exupéry au centre-ville, offre une alternative moins chère et donc plus accessible que celle du Rhône Express. La métropole du Grand Paris concentre, elle, ses efforts sur le prolongement de la ligne 14 et la création d’une ligne 17 pour relier les deux aéroports de Roissy et d’Orly, par le centre-ville de la capitale. À Shanghai, la mise en place du train magnétique Maglev, permet de relier Pudong au centre en 8 minutes. Il existe même des systèmes de navettes et de transports en commun pour passer d’un terminal à l’autre, circuler au sein d’un aéroport.
L’idée d’un système de transport fluide, qui inclut l’aéroport dans l’espace accessible proche, permet de mieux l’intégrer à la vie urbaine dans un contexte d’augmentation du trafic aérien, de baisse du coût de l’avion, désormais accessible à plus de monde.
Néanmoins, cela reste principalement vrai pour les aéroports internationaux liés aux grandes métropoles mondiales. L’Aerotropolis n’a en effet pas forcément de sens à toutes les échelles. La France compte par exemple 84 aéroports commerciaux, dont beaucoup sont sous-exploités. S’il est le signe d’une modernité et d’une prospérité pour les villes qui ont les moyens d’y investir, l’aéroport peut se révéler une infrastructure vite encombrante et surestimée dans d’autres cas.
La reconversion de l’aéroport berlinois de Tempelhof en espace vert et ferme urbaine est un succès, mais ne fait peut-être pas encore figure d’exemple pour bon nombre d’infrastructures sous-employées. Pourtant, cet immense espace, dont la reconversion a été votée par les habitants, permet aujourd’hui de repenser les usages urbains : potagers partagés, terrains de jeux en tout genre ou de balade, spectacles et festivals, sont aux antipodes de la fonction initiale de Tempelhof. Et pourtant désormais, il s’agit d’un lieu emblématique de la vie urbaine berlinoise.
Enfin, la création d’activités, voire d’urbanité, dans et autour des aéroports est encore quelque chose qui fait débat. Le projet d’EuropaCity notamment, desservi par le Grand Paris Express, qui devait être situé entre l’Aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle et l’Aéroport du Bourget, fut l’objet de nombreuses contestations avant d’être définitivement abandonné en octobre 2019. Zone d’activités, espace de loisirs, logements, hôtels et espaces verts : c’est bien souvent une image moderne de ce que pourrait être la ville qui est mise en avant, à proximité immédiate d’aéroports internationaux. Si de tels projets illustrent une possible adhésion au concept d’Aerotropolis par les pouvoirs publics et acteurs privés, il s’agit d’une vision d’avenir qui ne fait pour l’instant pas consensus.
L’aéroport entretient donc des liens très étroits avec la métropole, et constitue un espace d’innovation en termes d’aménagements, de coexistence de différentes activités et d’usages. Espace de flux, d’échanges, cosmopolite, il s’inscrit dans les processus de mondialisation qui participent à redéfinir nos villes. Il semble difficile, à cette échelle, de penser une disparition nette de l’aéroport du paysage urbain, même si de tels aménagements ne se justifient peut-être plus à échelle locale. Mais les enjeux environnementaux pourraient bien bousculer la donne. Dans quelques années, on peut se demander quel impact le phénomène flygskam, qui vise à privilégier d’autres modes de transport que l’avion trop émetteur de CO2, pourra-t-il avoir dans ces relations entre ville et aéroport ?