L’adressage est un urbanisme comme les autres
Dans un premier billet, nous nous intéressions aux systèmes d’adressage postaux à travers le monde – en tant qu’institution administrative définie localement selon des codes socio-culturels variables. Aujourd’hui nous poursuivons sur cette thématique en élargissant notre spectre à d’autres espaces, où la notion d’adresse se fait plus floue…
Se perd-t-on dans des rues sans noms ?
Comme nous l’évoquions dans le premier article cité en introduction, les rues japonaises (c’est l’exemple que nous avions choisi d’exploiter), comme d’autres autour du globe, ne portent pas de nom la plupart du temps. C’est donc sur d’autres éléments que se fonde le système d’adressage nippon…
Ailleurs, comme à Beyrouth, l’adresse des lieux peut paraître très imprécise pour certains visiteurs biberonnés aux odonymes ! Comme le rapportait un excellent article de terrain publié sur le Guardian, tout est une question d’usages et d’appropriation de l’espace par les locaux…
“Try to locate any place in the Lebanese capital and this, typically, is what you will hear: details and places, not the names of streets or their numbers. Whether visiting a friend for the first time or trying to find someone’s office, the best bet is always to find landmarks, not official addresses – they may exist, but probably won’t be of much help anyway, because no one really uses them.”
Ce n’est pas parce que certaines infrastructures existent qu’elles définissent une pratique collective généralisée. De fait, toute pratique de la ville (se déplacer, se repérer, se donner rendez-vous etc.) est indissociable d’une assimilation et de représentations personnelles. L’aventure libanaise exprimée dans la citation ci-dessus est loin d’incarner une exception ! Au contraire, elle rappelle ce que chacun vit tous les jours de la façon la plus naturelle : “on se retrouve devant le kiosque à la sortie du métro” etc. Dès lors, les modes de représentation spatiale fondés sur l’expérience quotidienne d’un espace peuvent tout à fait devenir “la règle”… et donc un système d’adressage en soi ?
De la rue sans nom à la ville sans rue…
Tout ceci nous rappelle surtout que la richesse de nos infrastructures urbaines (qu’elles s’incarnent dans la précision de notre urbanisme ou de nos outils d’accompagnement aux déplacements) est loin de dépeindre une généralité internationale. Sans même parler à proprement parler du cas représentatif des bidonvilles (qui, rappelons-le, abritent plus d’un milliard de la population mondiale), une grande majorité de personnes “ne disposerait pas d’une identification précise de leur habitation”. Les chiffres sont alarmants, et trahissent évidemment des inégalités socio-économiques et urbanistiques croissantes. Comme le rapportait un compte rendu d’opération d’adressage à Maputo (Mozambique) :
“L’adressage permet de localiser une construction (habitat, équipement, activités ) ou une parcelle à partir d’un plan de la ville et d’un système de panneaux mentionnant le nom ou le numéro d’une rue. Au delà de l’amélioration du repérage dans la ville, cette opération permet surtout, grâce à une enquête réalisée systématiquement lors de la numérotation des portes, d’élaborer une banque de données sur la ville. Cette opération permet d’envisager le développement de différents applicatifs dans l’objectif principal d’améliorer la gestion urbaine et municipale : programmation et gestion des équipements et des infrastructures (voirie, adduction en eau, ), instauration de taxe urbaine ou de taxe sur les activités ”
Si ces grandes opérations “d’appui aux institutions urbaines et au développement social des quartiers” sont primordiales pour améliorer le sort des populations vivant dans ces territoires fragiles, elles représentent un travail titanesque. Notons toutefois que depuis quelques années, la compagnie anglaise what3words s’est donnée pour mission de géocoder tous les lieux du monde selon un système informatique et sémantique simple :
“what3words est le nom d’une compagnie et de son application de géocodage permettant la communication d’un emplacement au moyen de trois mots du dictionnaire. what3words utilise une grille du monde composée de 57 milliards de carrés de 3 mètres sur 3 mètres. Chaque carré a reçu une adresse composée de trois mots anglais. what3words a aussi nommé les 17 milliards de carrés sur terre avec trois mots dans diverses langues.”
Grâce à ce système, “tout le monde et tous les lieux disposent désormais d’une adresse”. De plus en plus de territoires adoptent ainsi la solution what3words afin d’optimiser les systèmes de livraison, et bien d’autres, dans une multitude de domaines (humanitaire, navigation et transit, gestion d’actifs etc.).
De fait, nous sommes curieux de voir à quoi ressemblerait un système d’adressage mondial adopté par tous, donc soyons attentifs à ces évolutions…
Pour aller plus loin :
- Des milliards de personnes ne disposent pas d’adresse postale – Geopolis FranceTV Info, 2016
- Where the Streets Have No Name – Medium, 2013
- Les Tonga choisissent what3words comme système d’adressage postal national – what3words