La ville sauvage : l’exode urbain des animaux
Sangliers à Berlin, renards à Paris, loups dans les villes américaines… Repoussés toujours plus loin par l’extension de l’espace urbain, certains animaux sauvages réinvestissent aujourd’hui les centre-villes. Un exode urbain qui n’est pas sans risques et impose de repenser la cohabitation entre les citadins et la faune sauvage.
Et si la ville du futur devenait vraiment une « jungle urbaine » ? Et si les citadins croisaient bientôt des renards et des loups en allant au travail ? Et s’ils pique-niquaient dans les parcs au milieu d’un troupeau de sangliers ? Un tel scénario peut paraître aussi absurde qu’improbable. Pourtant, il faut d’ores et déjà se préparer à partager la ville de demain avec les animaux sauvages. Ces derniers sont, en effet, de plus en plus nombreux à fuir forêts et campagnes pour fréquenter nos rues.
Invisible dans les rues de la capitale depuis les années 1990 – à cause de l’extension de la périphérie urbaine et des campagnes contre la rage – le renard a fait une réapparition remarquée dans les rues de Paris en 2012. Une quinzaine de spécimens ont ainsi été observés dans le parc des Buttes-Chaumont, au jardin du Luxembourg mais aussi sur les pelouses de la place de la République… Attirés par l’abondance de poubelles bien garnies et de petits rongeurs qu’ils peuvent chasser à la nuit tombée, les mammifères squattent les chantiers et les entrepôts de la capitale. Même tendance à Lyon, où il arrive aux habitants de croiser dans les rues de la ville un chevreuil ou une fouine en quête de nourriture. Le phénomène concerne aussi d’autres capitales européennes : près de 10 000 renards vivent dans les parcs londoniens, tandis qu’à Berlin, l’abondance d’espaces verts a fait passer la population de sangliers de 5000 à 10 000 spécimens en seulement cinq ans…
Des citadins frustrés de nature
Certains spécialistes s’interrogent sur la possibilité que ces animaux soient chassés de leurs habitats naturels par leurs propres congénères. Les renards parisiens et les sangliers berlinois seraient ainsi des parias, des exilés, des demandeurs d’asile. Hypothèse séduisante mais pas encore validée à ce jour sur le plan scientifique. L’exode urbain de la faune sauvage est plus sûrement la conséquence du grignotage de la campagne par la ville, qui bouleverse les écosystèmes. En France, l’espace urbain s’étend au rythme moyen d’un département tous les sept ans. Et tandis que les villes deviennent toujours plus vertes et accueillantes, les habitats naturels de certaines espèces sont fragmentés, rabotés, transformés, les poussant à aller voir si l’herbe est plus verte en ville.
Si la faune sauvage prend ses aises dans les beaux quartiers, c’est aussi parce que les citadins leur réservent un accueil chaleureux, trop contents de cette rencontre inattendue avec la vie sauvage dans un cadre urbain très minéral.
Dans leur enthousiasme, certains n’hésitent pas à nourrir les nouveaux arrivants. Une générosité qui peut contribuer au développement rapide de certaines espèces susceptibles de déséquilibrer l’écosystème local : « Certains spécialistes y voient une technique d’appropriation de la faune par les citoyens, mais c’est souvent dangereux » constatait ainsi Philippe Clergeau, écologue et professeur au Museum d’Histoire Naturelle de Paris, lors d’une conférence sur la place de la biodiversité dans la ville de demain. « Aujourd’hui il y a un peu plus d’un millier de perruches à Paris. Tout le monde trouve ça très sympathique, mais le jour où il y en aura 15 000 comme à Londres et qu’elles s’attaqueront aux cultures de la région, cela va commencer à poser problème… »
Une cohabitation dangereuse ?
Outre le risque d’invasion d’espèces nuisibles, la proximité avec certains animaux constitue également une menace sur le plan sanitaire, surtout en cas de nouvelle épidémie de grippe aviaire. Mais elle pose surtout des problèmes de sécurité. Les espèces sauvages ne sont pas aussi dociles et inoffensives que les rats et les pigeons, comme le rappellent régulièrement certains faits divers dramatiques. En 2012, un sanglier blessé par une voiture a, dans son affolement, blessé quatre personnes dans les rues de Berlin. Et en février dernier, les Londoniens ont été traumatisés par l’attaque d’un renard sur un nourrisson… Effrayées par les humains, des meutes de chiens recomposées font des ravages dans les villes d’Europe de l’Est, notamment à Sofia, la capitale bulgare. Le même phénomène s’observe aussi dans les grandes villes asiatiques, notamment en Inde où des groupes de singes très hiérarchisés et observateurs n’hésitent pas à « cambrioler » les citadins. Bien accueillis au départ, ces primates ont été exclus parce qu’ils volaient de la nourriture, avant de faire leur retour en ville.
Reconnecter ville et campagne
Faut-il voir dans ce comportement agressif une forme de revanche contre l’homme ? La rébellion silencieuse et incontrôlable d’espèces en exil forcé qui entendent bien regagner leur ancien territoire ? Non, bien au contraire. Le retour de la vie sauvage est plutôt un indicateur fiable de la bonne santé des écosystèmes urbains. C’est aussi un premier pas vers la reconnection nécessaire de la ville avec la campagne. La notion de biodiversité urbaine est encore jeune sur le plan historique. Jusqu’à l’aménagement des premiers parcs au milieu du XIXe siècle, la ville a été cet espace hermétique à la nature. Mais cette frontière entre la civilisation et la vie sauvage est vouée à disparaître car la demande sociale pour plus de biodiversité en ville est de plus en plus forte. Alors autant définir sans tarder les bases d’une cohabitation saine entre citadins et ex-animaux sauvages. Car après le renard, la belette et la fouine, c’est au tour du loup de se rapprocher des portes de la ville. Un nouvel arrivant qui risque d’être moins bien accueilli que ses petits camarades…