La ville durable est-elle circulaire ?
Inspiré de l’économie circulaire, le concept de ville circulaire recouvre une diversité de solutions pratiques allant de la construction de la ville à son fonctionnement, en passant par ses usages. Encore balbutiant aujourd’hui, il pourrait offrir un cadre méthodologique solide pour accélérer la mise en place d’une transition environnementale dans les espaces urbains.
La ville à l’horizon
En matière d’urbanisme, les objectifs fixés pour lutter contre la crise climatique placent la barre très haut. Combinées, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) et la loi Energie-Climat suggèrent une très forte accélération des dispositifs locaux et nationaux sur différentes problématiques comme la biodiversité en ville, l’artificialisation des sols, la rénovation énergétique des bâtiments, les transports etc.
Pour atteindre la fameuse neutralité carbone, il faudrait par exemple rénover 500 000 logements par an d’ici 2050. Nous en sommes péniblement à 300 000. Concernant l’artificialisation des sols – qui progresse plus vite que la population et le PIB – le débat en cours sur la « zéro artificialisation nette » semble frileux et hésitant, faute de documentation précise sur le phénomène. Enfin, la réduction drastique de la production de déchets, la révolution des mobilités et du monde du BTP tardent à s’enclencher.
Urbanisme circulaire
À mesure que la conscience de la crise environnementale s’accroît, que la connaissance scientifique se précise et que les objectifs pour 2050 se rapprochent, quelles initiatives et quels modèles peuvent accélérer cette transition urbaine ?
Il semble que la notion de « ville circulaire », apparue récemment dans le paysage de l’urbanisme, soit une des solutions les plus fertiles. En appliquant la logique de l’économie circulaire à la ville, elle concilie l’existant à l’avenir et trouve de la valeur là où on n’en voyait plus. La logique circulaire est d’ailleurs la direction prise par la loi LTECV en 2015 au sujet des déchets. Le déchet ne doit plus être vu de manière linéaire, comme la fin de vie d’un matériau, mais re-valorisé à nouveau comme une ressource, de manière circulaire donc.
Les flux et la matière
Appliqué au BTP, le concept donne le vertige. Le secteur génère en effet 40% des déchets français, soit presque un quart des émissions de CO2 du pays. Les marges de progrès sont énormes et de plus en plus d’initiatives s’efforcent de valoriser ces déchets pour les réemployer, les reconditionner ou les recycler. C’est le cas du projet « Métabolisme Urbain » mis en place par Plaine Commune avec Bellastock sur plusieurs communes très concernées par les grands chantiers des Jeux Olympiques et du Grand Paris Express.
Pour l’agence d’architecture Syvil, le métabolisme urbain révèle la manière dont la ville mondialisée s’est construite autour de flux (alimentation, énergie, eau, déchets, distribution, matières premières…). Dans un billet passionnant, elle décrit comment ce fonctionnement en flux suppose de gigantesques infrastructures routières et logistiques très liées aux énergies fossiles. Au niveau de la matière, la circularité supposerait une nouvelle approche paysagère et la relocation en cœur de ville de certaines productions.
Bâtiment « future-proof »
Avec ces expérimentations naissent des problématiques qu’il faut rapidement résoudre. De nouveaux métiers voient le jour, allant des maîtrises d’oeuvre spécialisées aux experts en audit de matériaux, en passant par le stockage et les plateformes de revente. Parmi elle, Cycle Up est une place de marché en ligne où l’on peut trouver une variété infinie de petites annonces. Ce sont des objets et équipements (menuiseries, radiateurs, éclairages…) ou des éléments de structure (bois, acier et bien sûr du béton).
« Le meilleur déchet est celui que l’on ne produit pas ». Ces nouvelles pratiques révèlent bien souvent un problème de conception, que l’on pourrait comparer à de l’obsolescence programmée. Un bâtiment est en effet rarement pensé pour être démonté sélectivement et reconditionné. Pour Sylvain Grisot, urbaniste et fondateur de Dixit.net, un nouveau design « future-proof » – qui résiste au futur – doit voir le jour. C’est à dire une conception où chaque élément est facilement remplaçable, mais aussi qui permette aux usages d’évoluer dans le temps. Un tel bâtiment modulable permettrait à la ville de se réinventer en permanence sur elle-même.
Quelles limites pour la ville ?
L’idée défendue par Sylvain Grisot dans sa tribune pour un « urbanisme circulaire » est de repenser la fabrication de la ville pour limiter à tout prix l’artificialisation des sols et l’étalement urbain. Cette approche soulève la question des limites de la ville. « On est sur des mouvements qui sont très clairs. Les salariés et les étudiants viennent dans les centres-villes, puis repartent vivre en deuxième couronne quand ils ont des enfants, un endroit qui est un no man’s land en terme de régulation. Pour juguler l’étalement urbain, la métropole doit se penser en échelle d’attractivité. »
Proche des concepts de biorégions, cette lecture replace le cœur urbain dans son contexte territorial. L’échelle d’attractivité comprend alors les territoires agricoles ou naturels nécessaires à la ville. « On peut faire un éco-quartier avec des maisons en bois et à basse consommation, mais à partir du moment où on est distant du lieu de travail, où l’on va consommer du sol agricole et on va générer des déplacements, on est sur un raisonnement complètement aberrant. »
Un bon bâtiment est un bâtiment qui n’est pas… construit ?
Le premier réflexe à avoir selon l’auteur est d’intensifier des usages : trouver les espaces vacants en ville et les occuper. Un immeuble de bureaux serait exploité la nuit, une cour d’école serait disponible les week-end ou pendant les vacances (comme souhaite l’expérimenter la mission résilience de la ville de Paris). Dans le 6ème arrondissement, le Mab’Lab est un restaurant universitaire qui se transforme en espace de coworking sitôt le service terminé. Le second réflexe est de convertir les immeubles délaissés. Parmi les nombreux exemples, l’ancienne biscuiterie LU à Nantes a été réhabilitée en 2000 en centre culturel, le Lieu Unique.
Dans la mesure du possible, de telles reconversion sont préférables aux démolitions et reconstructions. Mais selon Sylvain Grisot, « pour le moment, c’est beaucoup plus difficile d’ouvrir une cour d’école à Paris le week-end que de construire un lotissement en périphérie. C’est la ville habitée donc c’est plus complexe, chaque cas est différent, cela demande plus d’intelligence collective et d’organisation. »
Alors que les mesures prohibitives n’ont pas véritablement permis d’endiguer l’étalement urbain, le rôle du législateur est pointé du doigt. « Le simple fait de poser la question « Vous êtes sûr qu’il faut construire ? ». Rien que ça, cela pourrait être mis très facilement en avant dans les processus opérationnels et cela changerait complètement la fabrique de la ville. »
Le défi de l’échelle
L’urbaniste encourage des dispositifs incitatifs, permettant de généraliser les initiatives existantes. « Tout existe déjà. On a des projets pilotes, des projets pionniers, des démonstrateurs, des réalisations exceptionnelles qui sont souvent mises en avant. Mais ce n’est pas encore la façon normale de faire la ville. »
Auteur d’un manifeste pour un urbanisme circulaire paru fin janvier (à commander ici), Sylvain Grisot rappelle l’importance des élections municipales à venir : « Globalement on renouvelle 1% du parc de logement chaque année en France. Ça doit être à peu près pareil pour les bureaux. Cela veut dire qu’il faut un siècle pour refaire complètement une ville. On construit aujourd’hui, maintenant, la ville qu’on aura dans trente ans. Et ce sont les maires qui seront élus en mars qui vont être en charge de faire la transition de la ville. »