La transition foncière, une réponse pour le mieux-vivre ?
L’institut de la Transition Foncière propose une vision complète sur la préservation du foncier et des sols vivants et son application dans les politiques publiques et projets d’entreprises.
Comme analysé dans le dernier rapport “Artificialisation. Réussir le ZAN en réduisant le mal-logement : c’est possible” établi par la Fondation Abbé Pierre et la Fondation pour la Nature et l’Homme, la transition foncière porte aujourd’hui des impératifs non seulement écologiques mais également de justice sociale.
Discussion avec Margot Holvoet, déléguée générale de l’Institut pour comprendre quels sont les grands enjeux à venir et comment agir pour promouvoir un sol vivant au service de l’habitat digne et de la préservation de l’environnement.
Tous les acteurs et actrices de la fabrique urbaine n’ont pas nécessairement une vision éclairée de ce que représentent les enjeux liés au foncier, de sa préservation à sa gestion. Pouvez-vous nous détailler l’écosystème d’acteurs et les problématiques qui structurent cette question du foncier ? À quels besoins et objectifs l’Institut de la Transition Foncière répond-il ?
“Le constat de départ est justement celui de l’invisibilité des sols dans le débat public, et ce jusque dans les projets d’aménagement. Tout au plus les sols sont considérés comme une surface à exploiter pour l’habitat, les infrastructures, les loisirs. La France, étant conjointement le pays le plus grand et le moins dense d’Europe, porte un enjeu particulier, une impression “d’espace libre”, presque illimité. Nous affichons ainsi la plus forte croissance d’artificialisation des sols européens.
Or, les pédologues nous enseignent que leurs fonctionnalités sont indispensables à la pérennité de la vie sur terre : ils abritent en leur sein un quart des espèces vivantes et permettent le développement de toutes les espèces faunistiques et floristiques terrestres.
En tant que 3ème puits de carbone au niveau mondial (après les océans et les forêts), ils jouent un rôle majeur dans la régulation du climat, l’amélioration de la qualité de l’eau et de l’air ainsi que la réduction des pollutions. Ils ont, par exemple, un rôle prépondérant pour faire face aux catastrophes naturelles : alors qu’1m3 de sol poreux peut contenir entre 100 et 300 litres d’eau, l’imperméabilisation les prive de leur capacité de rétention, démultipliant le risque et les conséquences des inondations. Agir pour la protection des sols, c’est agir tout à la fois contre le changement climatique et pour l’adaptation, pour la biodiversité, la protection de l’eau et la santé environnementale.
Dès lors, le parti pris de l’Institut est de revendiquer le fait de passer de cette vision du sol comme surface et support, à une vision non seulement en 3D, mais aussi en continu, la trame brune permettant de penser, entre autres, la continuité écologique.
Car pour l’essentiel, l’existence juridique du sol n’existe qu’à travers les parcelles de foncier, en donnant une vision morcelée qui ne prend que très peu en compte les enjeux de transition foncière. Il n’y a ni définition ni cadre légal de protection des sols. D’où l’importance d’accompagner cette évolution en opérant une transition paradigmatique. Pour cela, il nous a fallu reconnecter les acteurs de mondes séparés entre eux à travers la structuration d’une filière : depuis les scientifiques – pédologues en tête – aux entreprises d’aménagement, en passant par l’Etat, les collectivités et la société civile – aiguillon essentiel à la protection de la nature. C’est l’objet de l’Institut de la Transition foncière, qui rassemble ces différents types d’acteurs dans ses cinq collèges.”
En effet, pour contribuer activement à la protection des fonctionnalités climatiques, biologiques, hydrologiques et agronomiques des sols, l’Institut s’appuie sur une réelle diversité de métiers autant qu’une multitude d’outils. De plus, les cibles que votre travail vise sont elles-aussi diverses, ce qui semble assurer une approche systémique autour de la transition foncière. Pouvez-vous nous décrire les projets et activités que vous menez ?
“Notre premier objectif est bien de créer un cadre au sein duquel les professionnels, chercheurs et étudiants peuvent se rencontrer, échanger, prendre conscience de l’écosystème d’acteurs en place et créer naturellement des synergies entre eux.
Au quotidien, l’Institut s’est doté de trois missions. La première, à travers l’établissement de la Chaire de la Transition Foncière en 2023, est de participer à la recherche et aux transferts de connaissance sur la gouvernance de la transition foncière, ses modèles économiques et les questions liées à la renaturation qui représentent les trois principaux blocages identifiés par nos équipes. Co-créée avec l’université Gustave Eiffel, la Chaire porte notamment deux thèses en CIFRE.
Ensuite, pour avancer concrètement et que le changement se fasse en actes, l’Institut permet aux acteurs de la filière de mettre au point ensemble des outils pratiques : bilan d’opérations foncières pour visibiliser la dette écologique de l’artificialisation des sols, référentiel des techniques de renaturation… Ces outils doivent leur permettre de s’orienter dans le nouveau cadre de l’aménagement qui est en train de se dessiner : celui du ZAN, de la renaturation, en un mot le cadre émergent de la sobriété foncière.
Enfin, l’Institut a vocation à porter la voix de la transition foncière auprès des acteurs publics, pour favoriser la sobriété foncière dans le cadre légal et réglementaire, et aller vers une véritable politique nationale de transition foncière. Une démarche de plaidoyer complète ainsi nos activités.
Ces trois missions s’articulent entre elles : pour garantir l’efficacité et la fiabilité des outils pour la protection des sols, il faut un pied dans la recherche ; pour porter un plaidoyer aussi ambitieux que réaliste, il faut un pied sur le terrain.”
Conjointement engagée dans la recherche et l’opérationnel, votre équipe est, de fait, particulièrement complémentaire. Comment s’organise-t-elle ?
“Notre équipe est pluridisciplinaire et reflète les différents collèges formant l’Institut. Elle est riche d’une pédologue, Zoé Raimbault ; d’une chargée d’étude qui porte davantage un regard socio-économique et de diagnostic, Louise Barbier. Le Président de l’Institut, Jean Guiony, mêle la compétence en urbanisme avec une forte coloration institutionnelle, liée notamment à son récent poste de directeur adjoint du programme Action cœur de ville.
Des personnes aux profils complémentaires, articulant des compétences en pédologie, recherche, analyse économique et sociale, institutionnelle avec un président au parcours au cœur des politiques publiques. Quant à moi, je suis issue de la société civile organisée, occupant jusqu’à récemment le poste de directrice de France Nature Environnement Ile-de-France, et nous venons de nous ouvrir aux affaires européennes avec un récent recrutement.
Nous avons, par ailleurs, la chance de pouvoir nous appuyer sur le concours de thésards CIFRE engagés dans la Chaire, en urbanisme et en ingénierie environnementale, et d’un bureau très impliqué dans la filière (une ingénieure responsable de la recherche dans une grande agence d’architecture, et une géographe travaillant pour un EPF). Étant une association, les bonnes volontés bénévoles sont bien sûr les bienvenues pour accompagner la croissance de l’Institut !”
La création de cette Chaire a mené à l’organisation d’une journée d’études sur la restauration des fonctions des sols. Pouvez-vous détailler les ambitions qui ont rythmé son développement ? Et les enjeux qui rythment de manière générale le sujet de la préservation/restauration des sols ?
“Ce projet scientifique, né à l’automne 2023, est le fruit du partenariat de l’Institut de la Transition foncière et de la Fondation de l’Université Gustave Eiffel, avec le soutien fort de l’Institut CDC pour la Recherche, de l’ENSA Paris-Est et de l’École des ingénieurs de la Ville de Paris, et des laboratoires associés. La Chaire a pour double objectif d’engager un dialogue de disciplines parfois lointaines autour de l’objet sol (de la pédologie à l’urbanisme, de l’agronomie au droit foncier, de la biologie à l’architecture et aux sciences politiques) ; et de favoriser le transfert de connaissances scientifiques vers l’opérationnel, vers ceux qui transforment au quotidien les sols par leur action : collectivités, acteurs du secteur agricole, foncières, promoteurs…
Plus précisément, les enjeux autour de la préservation et de la renaturation des sols sont nombreux. Pour résumer, disons que la qualité des sols n’est actuellement pas un paramètre pris en compte avant un projet d’aménagement, et le modèle économique actuel des opérations n’y pousse guère. Il conviendrait de réinterroger les besoins d’aménagement notamment à l’aune de la destruction des sols et de leurs fonctionnalités. Le ZAN est un premier pas en ce sens, et les acteurs commencent à s’en saisir, pour certains par des objectifs ambitieux en matière de pourcentage d’opérations en renouvellement urbain.
Et l’Institut se place aujourd’hui comme un acteur assez incontournable sur ces problématiques encore trop peu prises en compte. Nous avons, entre autres, été auditionnés plusieurs fois au parlement lors de missions portées sur le ZAN au Sénat et espérons poursuivre et pérenniser cette dynamique.”
Ce sujet du foncier résonne naturellement avec l’actualité du ZAN et les avantages comme les contraintes que ce dispositif va entraîner pour nos territoires. Et cela est profondément lié à la problématique du logement, notamment pour les personnes les plus vulnérables, comme le démontre le dernier rapport de la FAP et de la FNH. Quelle vision prospective portez-vous sur l’avenir des transitions, foncière, écologique et sociale ? Et sur la nécessité de penser la transition en lien avec la justice sociale.
“Le rapport de la FAP et FNH montre justement qu’il est non seulement souhaitable, mais possible de concilier l’objectif ZAN avec le logement digne. Ce rapprochement entre ces deux acteurs fait mentir une idée répandue à tort, selon laquelle protection de l’environnement et défense des enjeux sociaux et en particulier des populations défavorisées s’opposent. Nous portons cette idée qu’une transition réussie est nécessairement une transition socialement juste : les personnes les plus impactées par les dégradations de l’environnement sont justement les personnes au moindre capital socio-économique. Il n’est pas sérieux de poser un choix entre transition écologique et problématiques sociales : une société simplement vivable doit marcher sur ces deux jambes.
La prétendue concurrence entre ces deux évidences est parfois prétexte à n’avancer ni pour de meilleures conditions de vie pour tous, ni pour la transition écologique. Concrètement, cela passe par le fait d’amener l’existant à ses pleines potentialités. D’un côté, protéger les écosystèmes permet de maximiser leurs fonctionnalités et services écosystémiques, de l’autre, les gisements liés à la sous occupation, à l’intensité d’usages, aux potentiels de transformations d’usage, de recyclage foncier, de densification en dents creuses, de surélévation.
La problématique sociale de l’habitat réside grandement dans la régulation du marché immobilier plutôt que dans le ZAN : éviter que des quantités astronomiques de logements en zones tendues sortent du parc résidentiel pour devenir des meublés touristiques, lutter efficacement contre la vacance de logement (et de bureaux transformables en logements) qui concerne aussi bien les métropoles que les villes moyennes ou rurales.”