La Trame Blanche : un outil de transition écologique en milieu urbain
Les étudiants de 4ème et 5ème année de l’ESAJ, L’Ecole Supérieure d’Architecture des Jardins ont rédigé des mémoires portant sur la problématique du paysage et des questions de transition écologique. 4 étudiants ont été sélectionnés pour nous livrer un rapport détaillé sur leurs travaux de recherche. Découvrez l’œuvre de Sara EL SAMMAN qui s’articule autour des trames écologiques.
La notion de trames écologiques constitue le noyau de la conception paysagère viable. Les stratégies de conception des villes ont évolué de façon à intégrer les trames vertes et bleues dans leurs démarches de transition écologique, mais ces approches du vivant, basées sur des données d’éléments visibles, ne suffisent pas à décrire l’entière réalité d’un écosystème. Ces trames sont traitées en fonction de leur spatialisation, évoquant des continuités et des noyaux. Ils sont cartographiés comme si toutes les zones étaient égales. Mais comme une image perd d’impact sans ses couleurs, une forêt est non vivante sans chants d’oiseaux ou ruissellement du vent.
Un appel à l’harmonie
Le son est un élément crucial de l’écosystème. C’est le langage que tous les êtres vivants parlent, entendent et ressentent. Il a le pouvoir de nous percer, de nous émouvoir et de nous relier à notre environnement.
Créée par le compositeur canadien R. Murray Schafer, l’écologie acoustique (différente de la bioacoustique qui émerge les études scientifiques des sons créés par les organismes vivants) désigne la relation qui existe entre le son, les êtres vivants et l’écosystème. C’est l’étude de l’influence du paysage sonore sur les caractères physiques d’un paysage et sur le comportement de ses habitants. Schafer a perçu les paysages sonores comme des compositions collaboratives auxquelles nous participons tous et dans lesquelles nous vivons, soulignant ainsi le rôle de l’écoute comme indicateur de l’état d’une communauté, d’un individu et d’un paysage. Par conséquent, en entendant les grincements, les rugissements et les cris qui remplissent le paysage sonore quotidien des villes, on peut déduire un sentiment de détresse présent parmi toutes les couches qui constituent les paysages urbains modernes et insensibles d’aujourd’hui. La voix humaine est la plus forte, nos oreilles n’écoutent plus et notre « musique » est écrasante au point que nous nous cachons derrière des murs pour éviter la cacophonie que nous créons.
La pollution sonore se présente alors comme symptôme de la vie moderne, un symptôme longtemps ignoré malgré les effets nocifs sur le bien-être de tous les habitants des villes, qu’ils soient humains ou non. Les études de Bruitparif sur la pollution sonore dans l’agglomération parisienne expose l’impact du bruit sur la santé des franciliens et souligne que le bruit constitue un problème sérieux à la santé publique, physique et psychologique. On se trouve face à un déséquilibre acoustique où les sons mécaniques prennent le dessus sur tous les autres sons, auquel toutes les espèces sont obligées de s’adapter.
La modulation du chant des oiseaux, l’augmentation du stress et la perturbation de la sélection génétique sont autant d’exemples qui montrent la nécessité de trouver des solutions qui tiennent compte des effets du bruit humain sur la présence de la nature dans les écosystèmes urbains. D’après Bernie Krause, un bioacousticien américain, 50% des sons de la nature ont disparu. On parle du silence de la nature. Une récente remise en perspective de l’urbanisme a été encore plus évidente durant la pandémie du Covid19 de l’année 2020, où l’humanité s’est confrontée à un ennemi invisible qui l’a obligé à être attentif et sensible à son environnement et à être conscient de la position de l’homme dans l’espace public. Pendant un petit moment au début du confinement, les
oreilles des citadins ont été débouchées. La nature a repris sa voix et l’inouï a été entendu. Le “silence” était à la une de tous les journaux. La notion de paysage sonore a ré-émergée.
Avec la notion de qualité de l’environnement urbain qui est de plus en plus mise en attention dans ces dernières années et avec ce changement de perspective qui a eu lieu durant la pandémie, il est devenu crucial de remettre en question les politiques d’aménagement.
La trame, une interface écologique
Au lieu de se cacher derrière des murs et protéger nos oreilles de l’extérieur hostile à tous êtres vivants, des nouveaux enjeux d’urbanité sensible doivent se poser. On doit apprendre à fermer les yeux et tendre l’oreille vers notre environnement. Il faut accompagner la transition écologique des villes par une transition au sensible, par une transition de bruit en son. On a commencé à parler très récemment de la trame sonore pour qualifier le bruit dans le paysage. Romain Sordello, un ingénieur expert de biodiversité, introduit la notion de “trame son” dans son article Trame verte, trame bleue et toutes ces autres trames dont il faudrait aussi se préoccuper (2017) pour en parler de la relation du paysage sonore sur la qualité des trames verte et bleue. Il explique qu’une trame bruit engendre une fragmentation d’habitat sous forme de dégradation du paysage. Cependant, la gestion du bruit et le croisement d’une trame silencieuse avec tout autre trame écologique sont des outils de restauration de continuités écologiques. La notion de trame blanche a été évoquée par l’Institut de l’Écologie et de l’Environnement de Paris (iEES) qui la définit comme une trame « formée de continuités écologiques silencieuses”, outil pour lutter contre la trame bruit. Je propose de compléter cette définition comme suit: La trame blanche ou trame sonore est une des trames naturelles qui contribuent aux continuités écologiques. Elle est composée des zones non affectées par la pollution sonore où tous les vivants, hommes et nature, peuvent communiquer facilement et coexister en équilibre acoustique. La trame blanche sert alors à mieux intégrer le son dans le processus de création de paysage et est donc source de prospérité écologique.
Les paysagistes sont les médiateurs des flux écologiques, sociaux, économiques et physiques qui constituent les espaces non bâtis, ce qui leur donne un rôle crucial dans la création d’une balance de l’espace acoustique.
Réaliser un urbanisme sonore
Paris La Défense, territoire qui propose être l’avenir (comme il est proclamé sur les panneaux de ses sites en construction “Paris La Defense, l’avenir se construit aujourd’hui” image 8) et qui se présente comme “laboratoire d’expérimentation urbaine” avec sa configuration unique, s’est avéré être un site idéal pour mes recherches du mémoire sur les paysage sonores urbains.
La Défense est un quartier représentatif d’une ville moderne, en cours d’élargissement progressive et en développement constant au cours duquel l’humain est l’acteur central et l’écologie ne participe pas à la conception. Ceci est évident dans ce quartier par sa nature en dalle qui privilégie les flux viaires, principale source de nuisance sonore, en premier niveau, les flux humains en second niveau et finalement les flux écologiques auxquels il ne reste que peu d’espace.
C’est un paysage en mouvement découlant d’un axe autoroutier central où plusieurs autres trames viaires viennent se croiser, transportant avec eux un concert de sons mécaniques qui, bien qu’étant souterrain, se répercute à tous les niveaux et perturbent alors le bien-être des humains et des êtres vivants. Cette délimitation physique entre les espaces minérales et végétales, étant bien évidente dans la configuration du site, permet une étude de balance acoustique intéressante.
– Lire le paysage avec les oreilles
La trame blanche est un outil de compréhension du paysage, qui informe sur la composition de l’écosystème et sa viabilité. Une étude sur les équilibres sonores, des sons mécaniques,
humains et naturels, informe sur l’animation de l’espace physique et sur la qualité de l’ambiance sonore qui l’englobe. De nombreuses méthodes ont été utilisées pour décrire, visualiser et comprendre les paysages sonores. Ces dernières sont appelées sonographies.
Il suffit de regarder la carte des niveaux sonores de Bruitparif, sans aucun fond de carte, pour voir la forme de La Défense tracée par un anneau de bruit. Basée sur la modélisation de la pollution sonore des infrastructures de circulation, cette carte montre comment le site est non seulement déconnecté physiquement et écologiquement, mais aussi soniquement. On perçoit l’effet de la présence des infrastructures de circulation sur l’ambiance de l’esplanade. Pour mon mémoire, j’ai établi des observations et des expériences sonores sur Paris La Défense afin de comprendre la manière dont l’espace sonore et l’espace physique sont interconnectés. Tout d’abords, a partir d’exercices d’écoute active et des données d’enregistrements sonores sur site, j’ai pu cartographier les zones dominées par chacune des trois types de sources sonores (mécaniques, humaines et naturelles) pendant deux moments différents sur le site: le weekend et à l’heure de pointe en début de semaine.
Cela a été accompagné d’une analyse des typologies paysagère du site qui m’a permis de mettre en relation les variations sonores et l’espace physique.
Le paysage sonore de Paris la Défense présente une cacophonie déséquilibrée qui affecte le bien être de ces habitants et usagers et qui est non accueillante à la biodiversité qui l’habite.
Les infrastructures percent l’espace acoustique et les usagers perturbent les flux naturels. L’analyse spatio-acoustique a mis en évidence de nombreux éléments paysagers qui peuvent être abordés afin de créer une meilleure expérience de l’urbain. Cependant, une réorganisation et une gestion de l’espace public est nécessaire afin de créer un environnement acoustique sûr et agréable pour tous êtres vivants.
– Refaçonner le paysage sonore
Le son urbain est généralement caractérisé en termes négatifs, il s’agit de bruit indésirable. Par contre, le son définit la viabilité et la vitalité des espaces publics, cependant, il ne s’agit pas de simplement traiter la pollution sonore, mais aussi de créer des ambiances sonores urbaines agréables pour tous. L’idée est finalement d’inverser la relation traditionnelle entre le son et la conception, où le son modèle le paysage et non l’inverse. On parle d’urbanisme sonore. Il suffit alors d’utiliser les outils de paysagiste, porteurs de palettes de sons, de façon à laisser les compréhensions du paysage sonore guider les décisions et les choix d’action, de programmes, de matériaux, etc. afin de créer une harmonie et un équilibre sonore.
En outre, mes recherches sur Paris la Défense m’ont permis d’en déduire trois stratégies principales pour une approche acoustique pratique du paysage :
– de repenser les transitions entre infrastructures et espaces publics
– d’établir une balance sonore, et donc spatiale, entre sons naturels et humains au sein
des espaces publics
– de localiser et préserver les zones silencieuses existantes en amplifiant leurs
sonorités.
Tout ceci sera approfondi dans mon projet TPFE où des recherches sonores plus spécifiques sur le site seront analysées afin d’imaginer et de présenter Paris la Défense comme le lieu de
l’avenir durable de coexistence entre humains et non humains. Ce n’est que le début d’une longue exploration des paysages sonores.
Vos réactions
Bonjour, il est indiqué dans cet article » La notion de trame blanche a été évoquée par l’Institut de l’Écologie et de l’Environnement de Paris (iEES) qui la définit comme une trame « formée de continuités écologiques silencieuses ». Est il possible de connaître la source du document ?
Merci