La résilience est-elle une révolution pour la ville ?
Pendant l’été, trois écoles ont entamé des travaux de végétalisation et débitumage de leur cour afin de réduire l’effet d’îlot de chaleur pendant les canicules. Portée par l’équipe de la Mission résilience de la mairie de Paris, l’initiative témoigne d’une philosophie radicalement nouvelle dans la façon d’aborder la politique publique. Explications avec Sébastien Maire, Haut Responsable de la résilience de la Ville de Paris.
Tout démarre en 2013. Après une vingtaine d’années à œuvrer pour le développement durable et à l’occasion de son 100ème anniversaire, la fondation philanthropique Rockefeller décide de changer de cap. Elle cesse ses dons aux états et ne choisit de ne financer désormais que les villes et métropoles. Les premiers, bloqués par les enjeux politiques, diplomatiques et économiques ne sont plus le lieu du changement. L’échelon municipal en revanche, permet encore l’expérimentation et la proximité avec les habitants. Dans le même temps, la fondation abandonne la logique de développement durable et embrasse celle de résilience. Cette décision donne naissance au programme 100 Resilient Cities (100 RC) et élève au statut de manifeste la célèbre déclaration de Wellington Webb – ancien maire de Denver – annonçant que le XXIème siècle sera le siècle des villes.
Le territoire comme un métabolisme
« Il est trop tard, affirme Sébastien Maire, Haut Responsable Résilience à la ville de Paris. Il ne s’agit plus seulement d’atténuer les effets du changement climatique, mais aussi d’adapter le territoire, de le préparer. Notre vision est un peu froide et dépassionnée mais en même temps résolument positive. » La résilience se définit ainsi comme « la capacité du territoire à continuer de fonctionner et de se développer malgré ce qui lui tombe dessus ». Six enjeux majeurs ont été identifiés, six vulnérabilités actuelles du territoire face aux crises qu’il subit.
« Ce sont les chocs majeurs (inondations, attaques terroristes) mais aussi – et c’est la spécificité de cette approche – les stress chroniques, plus latents et quotidiens qui atteignent tout autant le fonctionnement du territoire comme les inégalités sociales ou la pollution de l’air. » Le territoire est ainsi appréhendé comme un métabolisme dont il faut renforcer les défenses immunitaires : une meilleure solidarité citoyenne, une plus grande polyvalence des infrastructures ou une réglementation plus flexible permettront de mieux encaisser les crises.
Fusion et efficience
Le programme 100 RC se donne un cadre ambitieux pour changer la donne. Au départ, c’est 100 millions de dollars qui sont investis afin de créer une organisation mondiale, des antennes sur quatre continents et de financer un poste de cadre supérieur dans 100 villes dans le monde. Baptisé Chief Resilience Officer ou haut responsable de la résilience en France, la fondation exige du poste qu’il soit placé directement auprès du maire ou du chef de l’administration de la ville pour bénéficier d’une légitimité et d’une transversalité incontestable. C’est le cas de Sébastien Maire qui est rattaché à la secrétaire générale de la ville. Remboursé pendant deux ans par la fondation, le poste est ensuite renouvelé et financé par la mairie qui saisit parfaitement l’intérêt de la démarche.
« Notre approche est celle d’une articulation entre les différentes missions de la ville, voire une fusion des processus pour la recherche d’efficience », explique Sébastien Maire en détaillant le projet oasis qui a bénéficié d’une forte médiatisation à la rentrée. Emblématique de la démarche de résilience, ce projet fait effectivement coïncider différents objectifs et budgets de la ville autour de la rénovation des cours d’école parisiennes. En juin 2017 et pour la première fois dans l’histoire de Paris, un épisode caniculaire a eu lieu pendant le temps scolaire, conduisant à adapter ou suspendre les enseignements. La température atteint les 55 degrés dans les cours bitumées où aucun arbre n’est planté. Alors que les décennies à venir verront le phénomène s’amplifier, il semble nécessaire de repenser l’aménagement des écoles pour lutter contre l’effet d’îlot de chaleur et garantir les meilleures conditions d’éducation aux enfants, quelles que soient les évolutions du climat.
L’équipe résilience interroge alors l’opportunité de créer un îlot de fraîcheur : et pourquoi pas l’ouvrir aux personnes vulnérables en dehors des temps scolaire ? La santé publique s’en trouvera améliorée. Et si le nouveau matériau de la cour permettait l’infiltration de l’eau ? Le risque d’inondation serait diminué…
Pas plus cher et plus efficace
Cette transversalité permet de tenir un budget constant selon Sébastien Maire, dans un contexte de réduction des dotations publiques. « Le simple fait de rendre le sol perméable nous dispense de reconstruire l’évacuation vers les égouts qui est très coûteuse. Cette économie, personne ne l’avait identifiée parce qu’elle figurait sur le budget « eau » et non pas sur le budget « école ». Grâce à l’approche transversale nous l’avons identifiée », se félicite le responsable résilience. « On est allés chercher les budgets de rénovation de cours d’école déjà existants. On a juste intégré notre logique de résilience au projet. Et finalement on a impliqué neuf directions différentes au lieu d’une, qui ont toutes apporté leur expertise et leurs solutions. »
Autre caractéristique de la résilience, elle se construit avec les citadins et les considère comme acteurs possibles de l’action publique. « En France, on considère que gérer la crise n’est pas le business de l’habitant. C’est l’affaire des autorités et services d’urgence. » Pourtant face à un événement majeur, la formation du public et la solidarité dont il fait preuve se sont souvent substituées aux autorités lorsqu’elles étaient débordées. Cette logique de co-construction s’illustre à nouveau dans le projet oasis. « Alors que les plantes d’une cour de récréation végétalisée risquent de mourir faute d’entretien pendant les vacances et qu’il est coûteux d’embaucher un agent municipal supplémentaire, pourquoi ne pas faire intervenir les riverains ? À Paris, il existe des listes d’attentes de plusieurs années pour les jardins partagés ! »
Pour l’équipe de Sébastien Maire, les solutions se trouvent au cas par cas, entre les différents acteurs d’un quartier.
« Une révolution dans la façon de produire les politiques publiques »
La nouvelle approche se veut imprégner durablement l’administration française. Et à en croire le consensus autour du projet oasis, son efficacité semble déjà fédérer au-delà des familles politiques. « Être capable à échelle massive de co-produire avec les habitants, d’être transversaux à tous les silos de l’administration, d’avoir une vision budgétaire matricielle, ça ne s’est jamais fait. Ou alors de manière expérimentale, mais notre objectif est de de trouver des solutions qui puissent entrer dans le droit commun, et le plus vite possible ». Et en effet, le projet oasis a reçu le soutien d’Anne Hidalgo qui a annoncé fin août vouloir accélérer la mise en place du programme.
Toujours soutenue par 100 RC dont l’objectif est aussi de créer une dynamique internationale, l’équipe parisienne peut également compter sur un réseau soudé. À travers le monde, 99 chief resilience officers utilisent les mêmes outils, la même méthode et mettent en commun leur expériences. Ainsi, la reconversion de l’autoroute urbaine à Séoul pourra inspirer les travaux préparatoires sur la reconversion du périphérique parisien ; la mise en place de bassin de rétention d’eau à Rotterdam peut inspirer des solutions contre les inondations à Paris…
À l’annonce de sa démission, c’est finalement ce que réclamait Nicolas Hulot : que le changement s’opère dans l’intelligence collective.
Vos réactions
Mais ce sont tous les abords de la Seine et de ses affluents qu’il faut traiter, de la source â l’embouchure sinon ça ne marchera pas.