La Parent’aise dédiée au plaisir de lire en famille

Savez-vous qu’à leur entrée en classe de 6e, 46,5 % des enfants français ne savent pas lire correctement ? Ou encore qu’à leur entrée en cours primaire (CP), les enfants de milieux sociaux favorisés maîtrisent 1 000 mots de plus que leurs camarades issus de milieux moins favorisés ? Ce constat d’une France qui a du mal à trouver ses mots a interpellé une designer. Elle a imaginé un nouveau lieu où parents et enfants cultiveraient la pratique de la langue française : la parent’aise. C’est un cocon de bois circulant dans l’établissement scolaire où les lectures, les mots, les idées et les liens sociaux rallument l’imaginaire des familles ! Ou comment enrichir son vocabulaire sans en avoir l’air.

I / Faire lire les petits Français : un chapitre compliqué

À la page en matière de vocabulaire ?

Le Conseil scientifique de l’Éducation nationale (CSEN) affirme qu’en France, le niveau de vocabulaire global s’appauvrit et que l’efficacité des méthodes d’enseignement de la lecture pose question :

« Près d’un élève sur deux à l’entrée au CE1 lit moins de 50 mots par minute, l’objectif attendu officiellement. Et un sur cinq se situe même très loin de cet attendu en lisant moins de 25 mots par minute. Ces constats interrogent l’efficacité des méthodes d’enseignement de la lecture actuellement en usage en France. »*

Afin de lutter contre ces différences à l’entrée en CP, les scientifiques du CSEN insistent sur la nécessité de commencer l’apprentissage du vocabulaire avant la maternelle.

« La maitrise du langage est la condition d’une relation pacifique, tolérante et maitrisée du monde. »**

L’exploration terrain de Mïa Gérard

L’étudiante du City Design Lab de L’École de Design Nantes Atlantique a réalisé une enquête terrain qui lui a permis de valider plusieurs hypothèses auprès d’enseignants en France, à savoir :

• « le manque de langage à la maison entraînant des troubles de langage à l’école » ;
• « l’influence de la richesse du langage parental sur l’acquisition du vocabulaire par l’enfant » ;
• « la stimulation des enfants à la maison par l’entourage », confirmant le rôle éducatif essentiel du parent pour développer le langage de l’enfant.

©Mïa Gérard, City Design Lab

D’autre part, le cycle 2 (CP, CE1, CE2) constitue un moment charnière durant lequel l’enfant doit valider des compétences fondamentales en termes de langage, d’écriture et de lecture, afin de se conformer aux attentes de l’Éducation nationale.

L’apprentissage de la lecture chez les tout-petits est un phénomène disparate comme le racontent les enseignants interrogés :

• « certains enfants en CP savent lire et d’autres connaissent à peine leur alphabet » ;
• « certains élèves sont lecteurs experts et d’autres lecteurs débutants » ;
• « certains enfants entrent en maternelle sans n’avoir jamais entendu leurs parents leur lire une histoire. »

Face à ces constats, Mïa a repéré un fil directeur à dérouler autour de l’apprentissage de la lecture par les jeunes enfants grâce à la participation de leurs parents. Le tout dans un contexte scolaire.

Elle s’est interrogée : comment créer une expérience éducative scolaire qui implique les familles et encourage l’apprentissage du langage chez l’enfant ? Cette interrogation a fait émerger un nouveau concept : la Parent’aise.

II / La parent’aise

Le contexte : immersion dans une école maternelle en Vendée

La designer a réalisé un cas d’étude dans une école en Vendée : l’école Pierre Mougnereau située à Saint-Jean-de-Beugné. Elle a étudié avec précision les environnements de travail de classes de maternelle, en particulier la grande section et la classe primaire. De plus, elle a assisté à des temps de travail, notamment des temps d’échanges, d’exercices de lecture et d’exercices d’écriture dispensés à ces jeunes élèves.

Lors d’entretiens avec les parents d’élèves, elle a réalisé que son projet nécessiterait la mise en lien de trois acteurs essentiels : les parents, les enfants et les enseignants. Ces trois groupes de participants permettront qu’un cercle vertueux autour de la lecture puisse se former et perdurer. Ce projet instaure également un climat de confiance et de respect mutuel entre les acteurs éducatifs.

Le semis : cultiver le plaisir de lire des parents et enfants

Au sein même de l’école, différents temps forts rythmeront la vie de cet

« espace cocon » consacré au goût des mots et des histoires :

• les enfants seront invités à animer des temps de lecture à voix haute ;
• leurs familles participeront à des moments d’échanges avec eux ;
• des ateliers créatifs parents-enfants seront organisés autour de l’album choisi.

Cet « espace repère » pour les enfants sera flexible et disponible pour  organiser tout évènement en lien avec le goût des mots et de la lecture : livre pop-up, livre accordéon, kamishibaï, livres géants, livre numérique, pratique de l’écriture et illustrations…

Parent’aise, atelier parents-enfants ©Mïa Gérard, City Design Lab

La forme : une sphère mobile en bois tout en reliefs

Cette bibliothèque aux courbes douces et apaisantes joue sur les notions de hauteur et de modularité.

Planches d’ambiances, Parent’aise ©Mïa Gérard, City Design Lab

Parent’aise, choix des matériaux ©Mïa Gérard, City Design Lab

Sa structure en bois contient du chêne et un revêtement stratifié. Ses assises, tapissées de vinyle aux tons acidulés – palette de jaunes, orangés et bleus – attirent l’oeil, créant une atmosphère chaleureuse et gaie.

Ses différentes parties (gradins, assises, arches, étagères) reposant sur des roulettes avec freins, peuvent se détacher et se recomposer selon les besoins. Qu’il s’agisse d’une présentation de livre, d’un atelier parent-enfant ou d’un espace classique de bibliothèque, la parent’aise s’adapte.

Parent’aise, 3 configurations distinctes ©Mïa Gérard, City Design Lab

La parent’aise représente un modèle de bibliothèque polymorphe : elle peut stocker des ouvrages, proposer des espaces de lectures individuels ou collectifs, délimiter un espace d’ateliers ou encore générer un espace scénique. Par exemple, lorsqu’elle se module pour accueillir un atelier, elle peut accueillir 18 personnes alors que sous sa version “présentation” lui permettra d’héberger 24 participants.

Le fond : un espace d’apprentissage, de confiance en soi et de coopération

Cet espace constitue en réalité un outil au service d’une pédagogie active. Sa mobilité et sa modularité génèrent de l’enthousiasme et un fort pouvoir d’attraction sur les tout-petits. Ses multiples configurations déploient leurs horizons imaginaires.

À la Parent’aise, ils peuvent développer leur expression orale, leur confiance en soi et leur créativité. L’espace intimiste et chaleureux du lieu stimule également leurs capacités de concentration, d’écoute et de coopération. Ils se retrouvent au sein d’un environnement singulier où parents et professeurs se côtoient, à mi-chemin entre école et maison.

Enfin, la parent’aise dépasse le simple objectif de susciter l’intérêt des enfants pour la lecture. Elle outrepasse le fait d’enrichir leur vocabulaire.

Cet espace dédié profite également aux parents qui peuvent :

• renforcer la cohésion de leur famille en vivant des moments de qualité et de complicité avec leurs enfants ;
• se rapprocher du personnel enseignant en partageant la responsabilité éducative de l’enfant ;
• consolider les bases scolaires de leur enfant afin que celui-ci soit à l’aise pour appréhender le cycle 3 et plus tard, son passage au collège.

C’est un fait avéré : « Les différences, qui sont des inégalités en fait, se fabriquent dans les familles dès le départ […] et elles se jouent notamment dans le langage. » La Parent’aise crée un nouvel environnement privilégié où lien familial, pédagogie active et goût (re)trouvé des mots se conjuguent pour le plaisir et le succès de tous.

*Note du CSEN, Juin 2024, L’efficacité des méthodes d’enseignement de la lecture. Les apports de l’enquête Formalect, Jérôme Deauvieau et Paul Gioia

**A. Bentolila, Impuissance linguistique : les violents et les soumis éd. Dans Parle à ceux que tu n’aimes pas, 2010