La nouvelle ville de Cergy, entre maille et dalle

L'hôtel de préfecture du Val-d'Oise par L.Pages © Wikipédia
27 Sep 2022 | Lecture 3 min

Il y a tout juste 50 ans, la ville de Cergy-Pontoise est fondée, répondant avec les huit autres villes nouvelles françaises à l’objectif donné par le président de Gaulle à Paul Delouvrier : “mettre de l’ordre dans le foutoir”.

En faisant la part belle aux piétons, en expérimentant des formes architecturales très audacieuses et en portant des ambitions environnementales et paysagères très fortes pour l’époque, la création de Cergy est précurseure d’un grand nombre de pratiques encore à l’œuvre dans la fabrique urbaine. De très bonnes raisons qui nous donnent envie de revenir sur ses objectifs initiaux, son histoire, son héritage et son avenir.

L’objectif de la politique des villes nouvelles

La politique des villes nouvelles a été lancée dans les années 60 dans un double objectif de modernisation urbaine. Il s’agissait d’une part de corriger la politique des grands ensembles de banlieue menées depuis 1950, et d’autre part, de maîtriser l’étalement urbain des départements de la Seine, Seine-et-Marne et Seine-et-Oise, jusqu’à présent incontrôlée notamment avec l’explosion démographique et la concentration des populations dans les grandes agglomérations.

Au cours de cette période, il y a eu une réelle prise de conscience des acteurs de la fabrique urbaine et des habitants sur les conséquences écologiques et sociales causées par cette urbanisation massive.La banlieue s’étend en tâche d’huile, les embouteillages allongent les trajets, la pollution empoisonne l’atmosphère. Quant aux logements, ils s’empilent pour former des murs de béton et de lucarnes. Une seule solution, il faut bâtir des villes nouvelles.

La politique des villes nouvelles accorde de ce fait une place importante aux vastes espaces verts dans toutes les opérations d’aménagement lancées. “Au sein des villes nouvelles, la nature viendrait structurer l’espace urbain; paradoxalement, c’est la nature qui ferait la ville” souligne Caroline de Saint Pierre, ethnologue. La végétation abondante, les bois, les parcs, les “coulées vertes”, les chemins piétonniers, ont pour rôle d’unifier la ville et de contribuer fortement l’identification de ces territoires en la différenciant, à la fois “de la capitale “où l’on ne respire pas”, et des cités bétonnées.”

Ces caractéristiques d’une ville oxygénée, verdoyante, fleurie, prennent donc une place centrale dans la politique des villes nouvelles, dans un contexte social où les préoccupations concernant la pollution des villes sont de plus en plus partagées.

En ce sens, l’objectif est également de désengorger la capitale tout en évitant la création de nouvelles cités dortoirs. Il s’agit pour cela de concevoir des espaces qui bénéficient de tous les services et équipements nécessaires du quotidien, tels que des écoles, universités, centres commerciaux, établissements de santé, bureaux, centre de loisirs, équipements sportifs…. afin de bâtir des territoires fonctionnels et autonomes, indépendants des centres-villes, où les habitants peuvent à la fois résider, travailler et se divertir.

Les villes nouvelles vont alors être édifiées en prenant le contre-pied de ce qui a été fait avec les grands ensembles. Les urbanistes et architectes vont chercher à construire des équipements centraux avant même l’arrivée des habitants, à diversifier les formes d’habitat, à concevoir des quartiers structurés autour de l’école, à inciter des entreprises à s’implanter… Tout cela en créant des liaisons, de l’agglomération nouvelle à la ville centre, par le développement de transports en communs, afin d’éviter l’enclavement de ces territoires.

L’idée est de créer une ville de toutes pièces, de développer une nouvelle vie sociale et un nouveau paysage. Aujourd’hui encore, ces villes nouvelles et particulièrement Cergy, sont produites socialement et symboliquement comme des espaces urbains d’innovation qui se démarquent à la fois de Paris et des banlieues.

L’Ecole supérieure des sciences économiques et commerciales (ESSEC) par Renaud d'Avout d'Auerstaedt © Wikipédia

L’Ecole supérieure des sciences économiques et commerciales (ESSEC) par
Renaud d’Avout d’Auerstaedt © Wikipédia

Histoire de la ville nouvelle de Cergy

Au début des années 1960, ce sont pas moins de 3 000 habitants qui vivent sur le territoire de Cergy. Durant cette même année, le général de Gaulle confie à Paul Delouvrier la mission de réorganiser l’Île-de-France en créant des villes nouvelles afin de désengorger Paris. Cinq territoires sont identifiés : Marne-la-Vallée, Sénart, Évry, Saint-Quentin-en-Yvelines et Cergy-Pontoise. C’est ainsi qu’en 1969 que Cergy devient la première ville nouvelle française à sortir de terre.

Dans les années 60, les urbanistes s’inscrivent dans le mouvement de l’architecture moderne, qui a caractérisé tous les grands projets de l’époque. Ce mouvement s’appuie sur la volonté de concevoir et de construire différemment de ce qui se pratiquait auparavant. Pour les villes nouvelles, il s’agissait avant tout de séparer l’automobile des piétons, et de créer une ville à taille humaine, ce qui a conduit à développer des quartiers construits sur dalles, comme celui de la préfecture à Cergy. En effet, la spécificité des premières années de la politique des villes nouvelles a été la mise en place de deux concepts : la maille et la dalle.

Le concept de la dalle étant né de la peur du développement de l’automobile qui, dès le début des années 50, a commencé à submerger les centres-villes. Les ingénieurs de Ponts et Chaussées ont donc imaginé de superposer les mobilités par la création d’une dalle. Dessous se trouvent alors les automobiles et dessus les piétons, les commerces et les entrées d’immeubles. Cela permettait de créer un espace sans nuisance, sécurisé et aéré pour les piétons.

La maille correspond au découpage de chaque quartier en îlots de six cents logements, chacun étant desservi par une école maternelle et une école élémentaire ainsi que par un espace public de rassemblement afin de favoriser la sociabilité entre les nouveaux habitants. La volonté de préserver les écoliers a conduit à rejeter les circulations automobiles en périphérie de l’îlot constituant ainsi une maille. L’école étant située au centre de l’îlot piétonnier « protégé », les enfants peuvent aller à l’école à pied sans croiser le trafic motorisé. Pour éviter l’isolement des îlots, une continuité d’allées piétonnières a été créée grâce à des passerelles, formant ainsi un réseau maillé à travers toute la ville, indépendant des circulations automobiles.

Une fois la dalle construite, tout s’est ensuite enchaîné avec l’inauguration de la préfecture du Val d’Oise à Cergy en 1970, l’arrivée, 3 ans après, des premiers habitants dans les quartiers des Touleuses et des Plants en 1972, la construction de l’université de l’ESSEC et du centre commercial des 3 Fontaines en 1973, la création du siège social de 3M France et de la piscine-patinoire en 1975.

En 1990 est créé le premier port de plaisance d’Île-de-France, le Port Cergy. Les travaux de la passerelle sur l’Oise de l’Axe Majeur débutent également en l’an 2 000 et marquent alors l’émergence d’une identité territoriale liée à l’art public urbain au sein de cette ex ville nouvelle. En 2002, l’agglomération a la même surface que Paris pour 180 000 habitants. Le principe d’une ville aérée, d’une ville verte s’impose alors comme une référence centrale pour les différents acteurs, décideurs comme citadins.

Le début des années 2000 est caractérisé par les débuts d’une politique liée au sport, avec par exemple, la création du Centre de Formation Danse qui est une référence nationale, l’inauguration du complexe de tennis Yannick Noah ou encore l’aménagement de l’Esplanade de Paris. En 2017 Cergy se lance également dans une politique d’innovation et conçoit également un Fablab qui sera le premier édifice du futur campus universitaire international.

Double Horloge de la Gare Saint Christophe par Mémoire2Ville © Twitter

Double Horloge de la Gare Saint Christophe par Mémoire2Ville
© Twitter

Quel héritage pour les anciennes villes nouvelles ?

La liberté et l’invention des architectes, guidés par les urbanistes, ont fait la richesse du paysage urbain de l’agglomération et constituent aujourd’hui son patrimoine contemporain. Cergy a fait l’objet de toutes les attentions de la part de dizaines d’architectes venus de tous les horizons, apportant une originalité, de l’innovation et de l’inventivité sur l’ensemble de la commune.

Ici plus qu’ailleurs, l’édification de la ville nouvelle a été accompagnée d’une volonté forte d’y adjoindre des gestes architecturaux qui sont aujourd’hui des références. Symbole mondialement connu, l’Axe Majeur, pensé et réalisé au début des années 1980 par Dani Karavan, ancien artiste plasticien et sculpteur israélien, est devenu la signature architecturale de l’agglomération. Ce site emblématique se caractérise par une promenade de 3 km ponctuée d’œuvres uniques : la tour Belvédère, les douze colonnes, l’amphithéâtre, la pyramide, la passerelle, l’île astronomique ou le carrefour de Ham en sont les stations principales et offre un panorama unique englobant les différents secteurs de l’agglomération. L’Axe Majeur est devenu le rendez-vous des sportifs et des réalisateurs qui viennent nombreux pour y tourner leurs clips vidéo, publicités ou films. Il a également servi de décor au défilé de Louis Vuitton en juin 2021.

Le quartier Saint-Christophe compte également une œuvre architecturale unique : la double horloge. Conçue en 1985 par les architectes Martine et Philippe Deslandes, avec l’appui de l’horloger Huchez, elle se présente sous la forme de deux immenses cylindres traversant de part et d’autre la gare RER. Ses cadrans de 10 mètres de large sont les plus imposants d’Europe.

Le premier bâtiment conçu de la ville nouvelle, l’hôtel de préfecture du Val-d’Oise, réalisé par Henry Bernard, architecte et urbaniste français, est remarquable par sa forme de pyramide inversée qui s’inspire du Palais du Gouverneur de Chandigarh dessiné par Le Corbusier et du City Hall de Boston.

De l’Axe Majeur, à la ville de Pontoise labellisée Ville d’Art et d’Histoire, en passant par la boucle de l’Oise et ses villages perchés sur les pentes du massif boisé de l’Hautil, Cergy hérite alors d’une variété de paysages ruraux et urbains qui fondent son identité, son originalité et représente sa richesse patrimoniale et culturelle.

Seulement, après plus de 50 ans, comme toute commune, le bâti et les aménagements deviennent obsolètes. “Si les villes nouvelles ont mieux vieilli que les grands ensembles, l’héritage est lourd” déclare Stéphane Beaudet, Maire d’Évry-Courcouronnes. A l’usage, les lotissements, les immeubles sur dalle, les centres commerciaux sont difficiles à rénover, à relier.

Axe Majeur par Pline © Wikipédia

Axe Majeur par Pline © Wikipédia

Refaire, réparer, valoriser pour réinventer les villes nouvelles ?

Au regard du vieillissement du territoire, la ville de Cergy-Pontoise cherche aujourd’hui à se renouveler. “Le paradoxe, c’est qu’au bout de cinquante ans, on reconstruit la ville sur la ville. […] Nous allons faire de notre ville nouvelle… une nouvelle ville.” déclare Jean-Paul Jeandon, Maire de Cergy depuis 2013.

D’importants projets urbains ont en effet été lancés et sont encore en cours aujourd’hui. Le projet Grand Centre Coeur d’Agglo, ayant démarré ses premiers aménagements en 2018, a pour objectif d’apporter à l’agglomération un vrai cœur urbain moderne, dynamique et ouvert, pour garantir l’attractivité et d’améliorer les conditions de vie, de travail et de déplacements des personnes qui résident et/ou travaillent à Cergy. Un projet porté également par les Cergypontains, dans le cadre d’une concertation citoyenne qui s’est déroulée de novembre 2012 à mars 2013. Les trois grands axes du projet sont l’intensification urbaine, avec la création de nombreux logements, emplois et le développement de l’enseignement supérieur à l’international; l’animation urbaine, avec le renforcement et la diversification de la vie culturelle, sportive et commerciale; enfin, la sauvegarde et le déploiement du paysage naturel avec la création de 16 hectares d’espaces paysagers.

Plusieurs opérations ont, depuis, commencé à remodeler le quartier de la préfecture de Cergy : “la fin des aménagements de l’îlot du Théâtre 95, l’ouverture du FabLab LabBoite, la rénovation de la Tour bleue… D’autres entrent en phase active : l’extension du centre commercial Les 3 Fontaines, rénovation des espaces publics de la dalle, le réaménagement de la gare Cergy-Préfecture, le développement d’un Campus international…”

Un Nouveau Programme de Rénovation Urbaine (NPNRU) a également été lancé en 2014 dans 2 quartiers de la ville de Cergy (La Sébille et l’Axe Majeur – Horloge). L’objectif étant de contribuer à développer une image positive du quartier, d’apporter de nouveaux équipements publics qui puissent s’inscrire dans le quartier, la ville et dans son temps mais surtout d’améliorer le cadre de vie des habitants.

Ainsi, l’ex ville nouvelle de Cergy dispose d’un double héritage, à la fois positif sur l’aspect paysager, culturel et architectural mais également négatif en termes de vieillissement, de gestion du territoire, notamment de la dalle. Ce territoire semble aujourd’hui se renouveler et parvient à devenir une ville indépendante, dynamique et attractive au sein de l’agglomération de Cergy-Pontoise et au-delà.

Avec ses formes architecturales très audacieuses, ses ambitions environnementales et paysagères mais également en termes de participation citoyenne très fortes pour l’époque, la ville de Cergy restera une ville emblématique et précurseure d’un grand nombre de pratiques qui sont encore à l’œuvre aujourd’hui et se développe dans la fabrique urbaine.

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