La France est-elle hermétique à l’“Effet Bilbao” ?

Effet-Bilbao ©️Jorge Fernández Salas on Unsplash
18 Mar 2020 | Lecture 5 minutes

Alors que le succès du Guggenheim de Bilbao en Espagne n’est plus à prouver, la France, depuis quelques années, tente de mailler son territoire de grands équipements culturels de renommée internationale à son tour. Pour autant, que ce soit le Louvre de Lens, ou encore le centre Pompidou de Metz, peut-on dire que ces infrastructures culturelles répondent réellement aux attentes escomptées ?

L’effet Bilbao, un mirage ?

L’effet Bilbao, une expression qui fait rêver de nombreuses collectivités du monde entier. Revitaliser un territoire avec la construction d’un bâtiment culturel phare, cela a de quoi en motiver plus d’un. Derrière cette expression, se cache la réalité d’une reconversion réussie d’une ville portuaire espagnole. En effet, en 1997, sort de terre l’une des pièces architecturales les plus marquantes de ces dernières décennies : le musée Guggenheim de Bilbao. L’œuvre de l’architecte Frank Gehry est venue clôturer une vingtaine d’années de travaux de réaménagement de Bilbao, cette ville côtière espagnole.

Restructuration des voies de circulation, déplacement du port, connexion entre la vieille ville et la côte, les 24 000 m2 de pierre, verre et titane, du musée sont ainsi le point d’orgue de la redynamisation de cette ancienne cité industrielle en déclin. Les résultats sont quasi-instantanés : après son ouverture, le musée devient l’un des établissements culturels les plus reconnus et son architecture l’une des plus appréciées au monde. En 2007, dix années après son inauguration, les résultats sont impressionnants : le Guggenheim attire chaque année environ un million de visiteurs et il a ainsi participé à la création de 45 000 emplois directs ou indirects depuis son ouverture. Autant dire que cette architecture monumentale a profondément participé au renouveau de cette région du Pays Basque espagnol, autant en termes d’attractivité culturelle que pour le renouvellement d’image dont elle a bénéficié grâce à son rayonnement international.

Face à ce succès flagrant, le modèle Bilbao s’est peu à peu dupliqué dans le reste du monde. Symbole de modernité, grâce au travail de starchitectes et de dynamisme grâce à l’accès à la culture dans des territoires en déclin, les logiques françaises d’aménagement du territoire se sont clairement inspirées du modèle. En une dizaine d’années, la France se dote d’équipements culturels majeurs, dessinés par des architectes de renom dans de grandes métropoles (Fondation Louis Vuitton à Boulogne-Billancourt en 2006, Le MUCEM de Marseille en 2013, le musée des Confluences à Lyon en 2014) mais également dans des territoires en perte de dynamisme comme le Centre Georges Pompidou de Metz en 2010 et le Louvre-Lens en 2012. Derrière cet investissement culturel des territoires se cache une idée : celle de créer le Bilbao français. Il semblerait pourtant que les résultats escomptés ne soient pas en rendez-vous, notamment pour la ville de Lens et de Metz. Mais alors pourquoi cela n’a-t-il pas fonctionné ?

Le centre Georges Pompidou de de Metz a été dessiné par l’architecte Kengo Kuma ©️ Jean-Pierre Dalbéra sur Flickr

Le centre Georges Pompidou de de Metz a été dessiné par l’architecte Kengo Kuma ©️ Jean-Pierre Dalbéra sur Flickr

Contrairement au Guggenheim de Bilbao, les collectivités françaises n’ont pas mis en place le même protocole d’action. Que ce soit à Lens ou à Metz, les musées créés ont été implantés dans des territoires en déclin comme l’était Bilbao, mais sans la prise en compte globale des contextes locaux. Alors que le Guggenheim est le point d’orgue de la transformation de la ville de Bilbao, le Louvre-Lens et le centre Georges Pompidou de Metz sont quant à eux les premières pierres de l’édifice d’une démarche de redynamisation du territoire. Et c’est peut-être ici que la logique est défaillante : le Louvre-Lens a été construit en périphérie de la ville, sans que les liens avec cette dernière, son territoire et la métropole Lilloise, n’aient réellement été pensés, comme nous l’explique Jean-Michel Tobelem, professeur associé à Paris-I Panthéon-Sorbonne dans une tribune pour le journal Le Monde.

Et le résultat est sans appel : cela influe directement la fréquentation, pas aussi ambitieuse que prévue, mais surtout la conséquence la plus nette cible l’afflux touristique étranger, qui ne représente que 20% des visiteurs par an, alors même que ce sont les touristes, qui sont les plus dépensiers sur le territoire local. On fait alors face à des équipements culturels déconnectés de leurs territoires, contrairement au Guggenheim et qui ont, de fait, des retombées économiques et touristiques bien moins importantes que ce dernier. Pour autant, ces nouveaux musées ont des points positifs indéniables : ils décentralisent la culture et donnent accès à des territoires plus reculés à des expositions et des œuvres d’art de renommée internationale, qui sont malheureusement trop souvent réservées aux équipements parisiens. Mais alors, pourquoi ces musées sont souvent délaissés des visiteurs ?

Vers une transformation de l’action culturelle des territoires, l’effet “Île de Nantes” ?

Il semblerait que le modèle du musée soit à réinventer : les expositions “classiques”, signature des grands musées parisiens, n’attirent plus, ou que des publics très ciblés. Les visiteurs sont en quête d’une culture plus accessible, que ce soit par la forme des musées plus pédagogiques et innovantes, ou de l’utilisation du numérique dans la scénographie de ces derniers.

Certains territoires ont déjà choisi d’innover et réinterrogent alors la place de la culture et la forme dans laquelle elle se développe. L’Île de Nantes et plus généralement la ville de Nantes en est d’ailleurs un territoire pionnier : inaugurée en 2007, sur l’île en totale reconversion, Les Machines de l’Île de Nantes marquent un tournant dans la réflexion de la culture et son accès à tous. Subtile mélange d’innovation technique et de références au passé industriel du site, Les Machines sont de gigantesques animaux fantastiques en bois robotisés qui déambulent dans les anciennes halles industrielles et sur le parvis de l’Île. Ces animaux partent à la rencontre des passants et des curieux pour leur offrir un moment de poésie. Devenus de véritables symboles culturels de la ville, Les Machines de l’Île de Nantes ont attiré 740 000 visiteurs en 2019, des chiffres bien supérieurs aux équipements culturels classiques.

L’éléphant de l'Île de Nantes se promène à la rencontre des passants ©️Mr Thinktank sur Flickr

L’éléphant de l’Île de Nantes se promène à la rencontre des passants ©️Mr Thinktank sur Flickr

Un succès qui a donc motivé d’autres villes en France à accueillir des Machines : c’est le cas de Toulouse qui, fin 2018, qui inaugurait la Halle des machines, au cœur d’un quartier en reconversion et célébrait alors l’arrivée du Minotaure, ce géant de bois motorisé. La ville de Calais a elle aussi accueilli, il y a peu, une famille de dragons motorisés : leur arrivée a été célébrée le temps d’un week-end par 70 000 curieux. Pour une ville comptant 75 000 habitants, ce n’est pas rien !

Il semblerait donc que c’est au tour de la culture de partir à la rencontre des habitants. De nombreuses villes investissent d’ailleurs dans des événements culturels sur des temporalités plus ou moins longues, comme le fait la ville de Nantes, une nouvelle fois, avec une programmation d’activités estivales nommé “Le Voyage de Nantes” : depuis 2012, chaque été, elle propose un circuit valorisant à la fois le patrimoine architectural de la ville, mais également les nombreuses œuvres d’art qui investissent la ville le temps du festival.

C’est donc bien un modèle qui se duplique sur le territoire français et qui semble être fortement apprécié par les visiteurs : la culture va désormais à la rencontre de tous. Après l’effet Bilbao, ne serions nous pas en train d’assister à l’effet Île de Nantes, qui prône et concrétise une culture accessible à tous et à toutes ?

LDV Studio Urbain
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