La France est-elle hermétique à la verticalisation des villes ?
Les constructions de grandes hauteurs sont encore rares dans le paysage urbain français. Largement contestées lors de projets urbains, elles font l’œuvre de débats intenses et ne laissent personne indifférent. Pourtant, la verticalisation des espaces urbains répond à des enjeux de densification, de réduction de l’artificialisation des sols, au cœur des préoccupations de la fabrique urbaine. Quels sont les rapports des français à la verticalité ? Pourquoi ces types de projet provoquent-ils autant de débats ?
Depuis la création des villes, les hommes ont cherché à atteindre les cieux. Signe de puissance chez les notables ou de proximité divine pour le clergé, la construction d’éléments urbains de grande hauteur est une pratique universelle et atemporelle. Avec le développement de nouveaux matériaux, modes constructifs ou encore des techniques humaines, les hauteurs se sont amplifiées et les paysages urbains peu à peu verticalisés. Des cathédrales gothiques aux beffrois, nos villes contemporaines gardent encore des témoins de cette course à la hauteur, qui sont peu à peu rattrapés et dépassés par de nouveaux objets : les grattes-ciels.
La fin du XIXème et le XXème siècles marquent une nouvelle étape dans la verticalisation des villes. Le déploiement du béton permet de construire plus vite mais surtout plus haut. De nouveaux défis techniques sont relevés par les architectes et ingénieurs du monde entier qui poussent alors les limites dans la construction de bâtiments de grandes hauteurs, créant ainsi de nouvelles skylines urbaines. Parallèlement, la mise au point du système d’ascenseur offre de nouvelles possibilités, permettant à chacun d’accéder aux étages les plus élevés.
Enfin, les logiques de spéculation immobilière et les besoins toujours plus croissants de construire en milieu urbain, démocratisent la verticalité dans de nombreuses villes, notamment là où leur développement est très rapide. Aujourd’hui, rares sont les espaces urbains qui ne succombent pas à la verticalité. De l’Asie à l’Amérique, en passant par le Moyen Orient, les tours font partie intégrante des paysages urbains. Symboles de la mondialisation économique, elles uniformisent des formes de villes à travers le monde.
Cette course à la hauteur séduit pourtant peu en Europe, et particulièrement en France. D’après le site allemand Emporis, on dénombre 1027 immeubles de grande hauteur (IGH, c’est à dire supérieur à 50 m de haut) sur le continent européen, ce qui équivaut à 5% des IGH mondiaux. La capitale française n’apparaît d’ailleurs pas dans les 100 premières villes possédant le plus d’IGH.
Mais alors pourquoi une telle différence culturelle ? Alors que les politiques d’aménagement françaises cherchent à limiter l’artificialisation des sols, pourquoi l’objet de la tour peine-t-il à s’imposer en France ?
Un héritage historique péjoratif
C’est en 1934 que le premier immeuble de grande hauteur est construit en France dans la commune de Villeurbanne. Le quartier Gratte-ciel, héritage de l’architecte lyonnais Tony Garnier, est le symbole de l’innovation architecturale du début du XXème siècle : le béton s’impose pour construire des logements de qualité, au sein desquels le confort sanitaire est largement amélioré. Mais c’est réellement au cours des années 60 que l’immeuble grande hauteur s’impose. Il est déployé dans construction de nouveaux quartiers de logement nommés les “grands ensembles”, mais également dans la construction de nouveaux quartiers d’affaires dont le plus emblématique reste aujourd’hui celui de La Défense. Ces nouvelles constructions marquent alors un tournant dans les paysages urbains français, mais également dans les imaginaires qu’ils créeront par la suite.
Car très vite la hauteur est le reflet d’une urbanisation passée qui aujourd’hui porte les stigmates d’une société divisée socialement. D’un côté, la grande majorité des immeubles d’habitation de grande hauteur accueille des logements sociaux, qui se sont grandement détériorés au fil des décennies, et qui sont souvent dénigrés dans l’imaginaire collectif. Les quartiers d’affaires connaissent également aujourd’hui des difficultés : les tours sont souvent isolées du reste des réseaux urbains et leur monofonctionnalité crée aujourd’hui des quartiers désertés en soirée et les week-end.
Avec plus de 60 ans d’aménagement de tours en France, la verticalité s’est rendue bien souvent non désirable, et peine aujourd’hui à trouver de nouveaux adeptes. Une image difficile à casser malgré la volonté de certains élus, aménageurs et architectes qui voient dans la tour contemporaine la possibilité de réinventer les formes et les modes d’habiter.
Une passion pavillonnaire bien française
Ces dernières années, les tours, et notamment d’habitation, font leur retour dans les projets urbains. Répondant aux questions d’étalement urbain, elles apparaissent dans certaines situations urbaines comme des objets qui peuvent trouver du sens dans une mouvance d’une construction plus écologiste. Des tours en matériaux bio-sourcés, comme le bois, apparaissent par exemple dans les skylines urbaines.
Cependant, ces tours ne semblent pas séduire beaucoup de futurs habitants. Pour cause, selon un sondage réalisé en janvier 2022 par l’IPSOS, 80% des interrogés préfèrent habiter dans une maison plutôt qu’en appartement. La succession des confinements depuis le début de la crise sanitaire a par ailleurs renforcé cette envie chez bon nombre de citadins. Une habitude française qui ne semble pas disparaître de génération en génération et qui explique en partie le refus du modèle de tour pour habitation contrairement à d’autres pays et continents.
La construction d’immeubles d’habitation ne correspondrait donc pas aux besoins réels des français, ce qui expliquerait leur opposition face à des projets de tours d’habitation. Pourtant ces contestations ne se limitent pas seulement à ces dernières, mais bien souvent à toutes les typologies de tours, et ce peu importe le contexte urbain. Alors la hauteur fait-elle peur aux riverains ?
Vers une verticalité concertée
Les projets de tours dans les grandes métropoles françaises font souvent l’objet de nombreuses contestations habitantes, politiques et sont bien souvent largement médiatisés. Ce sont des projets longs qui se confrontent à de nombreux obstacles qui obligent certaines fois leurs porteurs à abandonner. Une perte importante d’argent pour l’ensemble des parties prenantes qui pourrait être diminuée par l’amélioration des échanges entre habitants, promoteurs et élus.
La construction d’une tour fait peur. Les arguments en sa défaveur sont nombreux : on parle d’impact visuel, d’ombre portée et encore de densité démesurée… Mais derrière ces mots, ce sont bien d’autres enjeux qui sont pointés du doigt, au premier rang desquels le manque de concertation habitante sur ce type de projet, qui implique de manière quasi automatique, la forte mobilisation habitante et associative lorsque le projet est dévoilé. Alors que la tour est une construction qui impacte largement son environnement, que ce soit d’un point de vue physique, mais également logistique (flux des résidents/usagers), elle reste un objet largement déconnecté de son contexte.
Une plus grande concertation des acteurs locaux et des riverains voisins lors des phases de conception permettrait la prise en compte des besoins locaux dans ces projets : il serait intéressant d’intégrer une ouverture au public, que ce soit en terme de programmation ou encore d’espace, et ainsi en faire des éléments actifs de la vitalité urbaine, regroupant une mixité d’usages.
La seule donnée d’entrée possible pour les habitants, en termes d’appréciation de ce nouvel objet urbain, ne serait donc plus uniquement son aspect physique, mais aussi son utilité. Si demain les habitants et acteurs locaux, tels que les commerçants pour ne citer qu’eux, peuvent choisir une programmation qui leur sera bénéfique, l’acceptation pourrait alors passer d’impossible, à probable…
Au vu des projets de tours toujours plus nombreux dans nos villes, il semble plus que jamais important d’investir le champ de la concertation et de la co-conception, pour qu’elles deviennent demain des lieux désirables, voire désirés, aux yeux d’une grande majorité.