La fin du domicile fixe ?

26 Fév 2014

L’habitat évolutif est probablement l’une des plus fameuses utopies de l’architecture contemporaine. Imaginez : un logement qui s’adapte et se modifie en fonction des personnes qui l’habitent, voire qui y transitent simplement. Sur le plan prospectif, la question est en effet particulièrement jouissive à traiter. Elle exige néanmoins un vrai renversement de paradigme, et plus précisément d’en finir avec l’équation logement = sédentarité. Plus facile à dire qu’à faire ! Mais tentons malgré tout l’expérience…

Les réflexions sur “l’habitat modulaire” ont émergé dans les années 1960-1970, en particulier avec la célèbre Nakagin Capsule Tower de l’architecte Kisho Kurokawa. Crédits : La Boite Verte

Les réflexions sur “l’habitat modulaire” ont émergé dans les années 1960-1970, en particulier avec la célèbre Nakagin Capsule Tower de l’architecte Kisho Kurokawa. Crédits : La Boite Verte

L’habitat du futur se conjugue au passé

Le sujet est d’autant plus passionnant qu’il s’appuie sur un richissime corpus créatif, quoiqu’un peu difficile d’accès, hérité de divers mouvements architecturaux au cours des décennies précédentes. La question nourrit en effet utopies plus ou moins réalistes de nombreux architectes et urbanistes, notamment depuis les Trente Glorieuses et les nombreuses transformations socio-économiques qu’elles ont engendrées.

Celles-ci ont en effet contribué à faire évoluer la définition même de l’habitat, en chamboulant les temporalités et structures familiales des occupants, et même le rapport à certaines pièces de vie. Prenons pour témoin les emblématiques mutations de la cuisine et des pratiques de table, suite à l’apparition du réfrigérateur, du four micro-ondes, du lave-vaisselle, etc.

C’est en partie en réaction à ces constats que les réflexions sur “l’habitat modulaire” ont émergé dans les années 1960-1970, en particulier au Japon. On pensera par exemple à la célèbre Nakagin Capsule Tower de l’architecte Kisho Kurokawa, qui a grandement inspiré les architectes et urbanistes de la fin du XXe siècle. Un petit détour historique s’impose donc.

Métabolisme de l’habitat

Kisho Kurokawa était en effet l’un des porte-drapeaux du “mouvement métaboliste”, fondé en 1959 et dont la vision de la ville “offrait la particularité de s’étendre sur une large échelle, d’être flexible et d’avoir une structure extensible rendant possible un processus de croissance organique.”

Cette vision rappelle inévitablement (puisqu’elle s’en inspire en partie) l’utopie rétro-futuriste de la « Plug-in City », inventée dans les années 1960 par Peter Cook, l’un des fondateurs du collectif Archigram. Le concept connaît une nouvelle jeunesse depuis quelques années sur la scène urbanistique à travers différents projets d’architectes, designers, et artistes.

Qu’il s’agisse de remettre au goût du jour cette « ville-container » pour tenter de répondre à la surpopulation croissante, ou même de résoudre la fatale pérennité du bâti urbain, l’utopie générale de la Plug-in city dépeint une ville « constamment en mouvement, vivante, comme un organe végétal, des cellules se branchent les unes aux autres. » (La Tribune du Grand Paris n°1, décembre 2013)

Imprévisibles habitats

Ces deux conceptions de la ville, pensées à l’époque à l’échelle d’une mégalopole et s’incarnant donc à la dimension d’un quartier ou d’un gratte-ciel, mériteraient d’irriguer les réflexions actuelles sur les mutations de l’habitat. Celui-ci, on l’a vu, connaît de profondes évolutions.

Les secondes Assises de l’Habitat, initiées par Leroy-Merlin en partenariat avec l’Agence nationale de l’habitat, avaient particulièrement bien posé les enjeux du débat en évoquant les “adaptations, résistances et paradoxes” des “imprévisibles habitants” qui occupent ces logements. Une manière de rappeler que l’habitat lui-même est un métabolisme en mouvement constant… Et c’est là toute la difficulté du sujet, dans un monde baigné par l’accélération des mutations sociologiques, en partie sous l’impact du numérique ambiant. Dès lors, comment traduire les principes métabolistes à l’échelle du logement ?

Sociologie de l’habitat coopératif mutant

Quelles sont donc ces mutations ? On peut y compter l’essor du télétravail, qui rend nécessaire une réflexion sur la place du bureau dans l’espace – souvent exigu – des domiciles urbains. Cette intégration du lieu de travail dans notre intimité fera-t-elle alors écho à un futur imaginé il y a bien longtemps et pourtant toujours à la mode, comprenant visioconférences projetées sur le mur de la salle à manger ? ou bien correspondra-t-elle plutôt à la conséquence d’un certain « développement social » d’une partie de la population qui, malgré elle, remettrait simplement au goût du jour l’usage de la pièce traditionnellement appelée « bureau » dans les demeures plus cossues ?

De même, n’oublions pas la démocratisation croissante des “partages” de domicile, avec des outils tels qu’Airbnb (pour transformer sa chambre en auberge de jeunesse), voire du contenu de son réfrigérateur (comme le propose l’association « Partage ton frigo »). Cet aspect coopératif du logement sera d’ailleurs bientôt reconnu par le projet de loi Alur, comme s’en réjouit l’association Habicoop, qui milite contre « la spéculation immobilière et l’engorgement du parc de logements sociaux » : « Le projet de loi Alur prévoit la reconnaissance de l’habitat participatif par la création de deux statuts : la coopérative d’habitants et la société d’autopromotion. »

Enfin, rappelons que tout ceci se structure autour d’une profonde reconfiguration des structures socio-familiales, comme le rappelait de façon concise et amusante la vidéo « Bonjour chez vous », projetée au sein de l’exposition « Habiter demain » qui avait lieu l’an passé à la Cité des Sciences et de l’Industrie. Ces enjeux sont d’autant plus complexes à traiter que la demande actuelle, du côté des habitants, est dominée par une certaine volonté de « s’éditorialiser » au travers de son domicile. « L’habitat c’est le lieu de l’hyper-réalisation de soi, il faut qu’on puisse s’éditorialiser partout » disait Pascal Dreyer – coordinateur de la structure Leroy Merlin Source – en citant La Fing (p.6).

Construire un avenir évolutif

Dans le même temps, l’émergence de pratiques de plus en plus nomades, notamment dues à des mutations sociales et technologiques (déplacements simplifiés donc multipliés) mènerait une partie de la population à devoir batifoler d’une maisonnée à l’autre. L’émergence de ces “néo-nomades”, comme les appelle Yasmine Abbas, qui transitent à travers différentes adresses qui toutes doivent leur être “familières”, est-elle contradictoire avec la tendance présentée précédemment ? Ou bien le croquis de l’habitat du futur ne se dessine-t-il pas justement au croisement de ces deux aspects a priori antinomiques ?

En d’autres termes : et si demain nous habitions une multitude de lieux, tous équipés en gadgets dits « intelligents » dans le but de palier le caractère non personnel – et intrinsèquement partagé – de chacune de ces résidences « secondaires » ? On peut imaginer que, dans quelques années, un studio loué à Tokyo pendant deux semaines à des inconnus sera fourni garni de matériel domotique permettant d’adapter l’espace à leurs goûts et spécificités… Voilà une manière concrète de répondre à ce qui transparaît entre ces lignes, et qui ne doit pas nous effrayer : se dessine en effet la fin de l’habitat « fixe », tel que nous l’avons connu depuis maintenant deux siècles d’urbanisation à l’ère industrielle.

Tous ces éléments, et quelques autres qu’on oublie sûrement, amènent à repenser ce que pourrait être l’habitat de demain… ou plutôt, à admettre qu’il ne ressemblera en rien à l’idée que nous nous en faisons aujourd’hui. C’est la principale source d’enseignement que nous pourrions tirer d’Archigram, des métabolistes japonais, et de tous les théoriciens ou praticiens qui leur ont succédé : penser l’habitat comme “naturellement” évolutif, c’est déjà franchir le pas nécessaire pour repenser la structure même de l’habitat coopératif de demain, tant dans sa forme que dans ses définitions. Nous aurons l’occasion d’y revenir dans d’autres billets consacrés à ce vaste sujet.

{pop-up} urbain
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lefevre
20 juin 2018

Nous travaillons sur la démarche d’un Habitat-universel (c) depuis 2002 et nous le développons avec le concept d’un Habitat Multiple Partagé (c)
un projet à La Rochelle en France va le démontrer

LEFEVRE
4 janvier 2019

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